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Taïwan, pièce manquante du « rêve chinois »

TENSIONS Quel avenir pour Taïwan qui élit son président (en l’occurrence Mme Tsai Ing-wen), qui dispose de sa propre monnaie mais qui n’est pas reconnue internationalement ? Seuls quinze pays considèrent l’île comme l’unique représentante de la Chine. Si Pékin espère la réintégrer dans son giron, les Taïwanais doutent de plus en plus du slogan « un pays, deux systèmes », et Washington joue sur les peurs.

 L’endroit le plus dangereux du monde », titre The Economist au début du mois de mai dernier. La « une » du magazine est accompagnée d’une image radar de Taïwan, comme si l’île était la cible d’un sous-marin. L’ensemble s’inscrit dans une longue série d’articles aux titres similaires, qui font eux-mêmes écho à une avalanche de déclarations alarmistes sur l’avenir de l’île. Dans un rapport publié en mars 2021, l’influent groupe de réflexion américain Council on Foreign Relations considérait que Taïwan était en train de « devenir le point le plus explosif du monde pouvant conduire à une guerre entre les États-Unis, la Chine et probablement d’autres puissances majeures ». Au même moment, l’amiral Philip Davidson, commandant des forces américaines dans la région indo-pacifique, déclarait, lors d’une audition au Sénat, qu’un conflit dans le détroit de Formose pourrait survenir « au cours de cette décennie ».

Si les déclarations provenant des états-majors ne sont pas dénuées d’arrière-pensées budgétaires (la peur délie les bourses), ces craintes sont néanmoins fondées sur une réalité : la pression militaire croissante de la Chine à l’égard de ses voisins, et notamment de Taïwan. Pékin a d’abord coupé tous les canaux de discussion avec l’administration de la présidente Tsai Ing-wen, élue en janvier 2016 et de tendance indépendantiste. La tension est ensuite montée d’un cran après sa réélection quatre ans plus tard. Selon Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique, on dénombre 380 incursions de l’aviation chinoise dans la zone d’identification de défense aérienne taïwanaise au cours de l’année 2020 (. La fréquence de ces vols a encore augmenté en 2021.

Les tensions récentes ont une double origine. L’une prend racine dans l’histoire géopolitique des relations entre les deux rives du détroit de Formose, l’autre est liée à la place qu’occupe l’île dans la rivalité entre les États-Unis et la Chine.

En 1945, après cinquante ans de colonisation japonaise, le Kuomintang (KMT), qui dirige alors la Chine, prend le contrôle de Taïwan. Quatre ans plus tard, défait dans la guerre civile qui l’oppose au Parti communiste chinois (PCC), il y replie les institutions de la République de Chine, fondée sur le continent en 1912, après le renversement de la dynastie Qing. Confronté à l’imminence d’une invasion des forces communistes, le KMT doit sa survie à l’éclatement de la guerre de Corée, en juin 1950, et à la protection américaine de Taïwan dans le cadre de la politique d’endiguement du communisme en Asie. La situation dans le détroit de Formose est alors gelée pour deux décennies.

Avec le soutien des États-Unis, la République de Chine, dirigée d’une main de fer par Tchang Kaï-chek, conserve le siège de représentante de la Chine aux Nations unies, au détriment de la République populaire de Chine (RPC), qui en est exclue. Mais en 1971, la résolution 2758 des Nations unies donne le siège à Pékin et expulse les « représentants de Tchang Kaï-chek » (lire l’encadré « Les Nations unies dans le texte »). Dans la foulée, Taïwan est confrontée à une cascade de ruptures diplomatiques, et, finalement, Washington met fin à ses relations avec Taipei pour reconnaître Pékin, le 1er janvier 1979. Depuis, la politique des États-Unis à l’égard de Taïwan est guidée par cinq textes majeurs (le Taiwan Relations Act, les trois « communiqués conjoints sino-américains » et les « Six Assurances »). Ils considèrent qu’il n’existe qu’une seule Chine, la RPC, mais ne prennent pas position sur la « question de la souveraineté de Taïwan » et insistent sur sa « résolution pacifique ». En effet, ces textes ne font que prendre note de la position de Pékin selon laquelle Taïwan fait partie de la RPC sans l’endosser explicitement.

En 1979, l’île ne dispose plus que de vingt-quatre alliés diplomatiques, un chiffre proche des quinze chancelleries qui reconnaissent aujourd’hui l’existence d’un État à Taïwan. Consciente d’être en position de force, la RPC change alors de stratégie pour passer de la « libération » de l’île par les armes à la promotion d’une unification pacifique par le renforcement de liens économiques et humains. Dans un « message aux compatriotes taïwanais » publié le jour de l’établissement des relations officielles avec Washington, les autorités communistes proposent l’ouverture d’échanges dans tous les domaines. L’usage éventuel de la force n’est pas abandonné mais relégué en solution de dernier recours.

Deux ans plus tard, la Chine va un peu plus loin en formulant les conditions de l’intégration pacifique : l’île pourra conserver « un haut degré d’autonomie en tant que région administrative spéciale » et Pékin ne s’ingérera pas dans tout ce qui relèvera des « affaires locales ». Autrement dit, les Taïwanais pourront conserver leur système économique et leur mode de vie. Ces propositions constituent l’acte de naissance de la formule « un pays, deux systèmes », finalement appliquée à Hongkong. La position de Pékin n’a ensuite plus évolué. Dans le discours qu’il a prononcé à l’occasion des 40 ans du « message aux compatriotes taïwanais », le 2 janvier 2019, le président Xi Jinping rappelait encore que la seule perspective pour Taïwan était l’intégration à la Chine populaire dans le cadre d’« un pays, deux systèmes », Taipei ne pouvant prétendre qu’au statut d’autorité locale.

Cette intransigeance prend racine dans la persistance d’une conception essentialiste de la nation qui considère les liens du sang comme primordiaux : étant originaires du continent, les Taïwanais sont forcément chinois. Ils n’ont pas leur mot à dire à ce sujet, l’histoire et leurs ancêtres parlent pour eux. Or l’histoire, selon M. Xi Jinping et son « rêve chinois » formulé en 2012, après son accession à la tête du PCC, pousse l’ensemble des Chinois à redonner sa fierté à leur pays en effaçant le « siècle d’humiliations » subi à partir de la fin de la première guerre de l’opium (1842). Après le retour de Macao et de Hongkong, Taïwan reste le dernier territoire perdu, la dernière « humiliation ».

par Tanguy Lepesant 

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