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Livre. 1945, de Jean Christophe Buisson, l’année où tout a basculé

CHRONIQUE – L’auteur raconte très bien le maelström, d’autant plus fascinant que les figures tutélaires sont légion à cette époque. Avec des leaders très établis, comme de Gaulle ou Eisenhower, ou émergents, comme Ibn Saoud ou Peron.

Une plongée en eaux troubles. La formule est peut-être imagée, mais elle résume bien ce travail relatif à une période hautement inflammable : Jean-Christophe Buisson, directeur adjoint du Figaro Magazine et spécialiste d’histoire, a choisi de s’immerger dans l’année 1945, présentation chronologique et photos signifiantes à l’appui. 

Le calendrier est trompeur : au terme de la Seconde Guerre mondiale, après le double séisme de la découverte des camps de la mort et de l’utilisation de la bombe atomique, d’aucuns croient la planète capable de (re)trouver un peu de sérénité. Il n’en est rien. Entre les ferments de la guerre froide, la décolonisation en marche ou encore la charte des Nations unies très vite malmenée, les incertitudes progressent à vitesse accélérée.

Joies et drames

L’auteur raconte très bien le maelström, d’autant plus fascinant que les figures tutélaires sont légion à cette époque. Avec des leaders très établis, comme de Gaulle ou Eisenhower, ou émergents, comme Ibn Saoud ou Peron. La vie de ce dernier est un roman. Avant d’accéder à la présidence de la République argentine en février 1946, il a déjà participé à deux coups d’État. Il est marié aussi à une actrice, Eva Duarte, au sens politique prononcé et dont la fibre sociale rallie les suffrages.

Une autre force de l’ouvrage tient dans son dépassement du seul champ géopolitique, si dense soit-il. Le débat intellectuel aussi est enflammé : le trio constitué par Camus, Sartre et Beauvoir est moteur, relayé ou contesté par d’autres écrivains ou penseurs de renom. En toile de fond, la question de l’adhésion, ou pas, au communisme. C’est en septembre 1945 que Caligula est donné – pour la première fois au théâtre Hébertot à Paris. Avec un succès retentissant. « À 30 ans, j’ai connu la renommée, écrit Camus quelques semaines plus tard dans ses Carnets. Maintenant, je sais ce que c’est. C’est peu de chose. » Voilà ce qu’on appelle du recul sur les événements. Le même Camus mourra quinze ans plus tard, victime d’un accident de voiture.

Parmi la galerie de photos qui rythment ce 1945, lesquelles retenir en priorité ? Celles attestant des ravages ou au contraire des images plus légères, à l’instar de la première apparition de Grosminet, dans le dessin animé Les oiseaux se mâchent pour nourrir, produit par les studios Warner. Voire Jean Borotra sur un court de tennis. Ces environnements ne sont pas antagonistes. 

« Toute l’année 1945 est empreinte d’un double visage, rappelle Jean-Christophe Buisson, se télescopent joies et drames d’une intensité égale. » Double aussi comme cette addition de personnalités des arts et du spectacle, obligés de prouver avec plus ou moins d’efficacité que leurs agissements ne furent pas aussi noirs pendant l’Occupation. L’année 1945 se termine d’ailleurs de la façon suivante : le 31 décembre, Marcel Aymé, l’un des écrivains accusés d’accointances avec l’ennemi, apprend que La Bataille, une revue dirigée par un ancien résistant, va publier sous forme de feuilleton son texte Le Chemin des écoliers. Un jalon sur le chemin de la rédemption.