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Interview. Nicolas Hénin : «La tolérance turque envers Daech n’était plus tenable»

TURQUIE – Le journaliste spécialiste du djihadisme Nicolas Hénin analyse les conséquences de l’engagement turc contre Daech. La fin du double jeu d’Ankara pourrait coûter cher à l’État islamique.

La Turquie a pris la décision de bombarder des zones contrôlées par Daech. Est-ce un tournant dans la lutte contre l’État islamique?

NICOLAS HÉNIN: La grande nouveauté de ce changement de position de la Turquie est l’ouverture de la base aérienne d’Incirlik aux avions de la coalition contre Daech. C’est une décision importante car cette base a l’immense avantage de se situer à la frontière turco-syrienne. Le bénéfice logistique pour la coalition va être énorme, sachant que les avions bombardiers, venant de bases situées dans le Golfe (3h de vol), consomment énormément de carburant et doivent souvent être ravitaillés en vol. Grâce à la base d’Incirlik, les économies vont être considérables, et la fréquence des opérations va pouvoir s’accélérer.

Pourquoi la Turquie refusait-elle d’ouvrir cette base auparavant?

La Turquie refusait cette coopération à cause du mandat de la coalition, qui était exclusivement anti-Daech et pas contre Bachar-el-Assad, dont Ankara désire la chute depuis le début de la révolution. Depuis le début, la Turquie se sert de ce moyen de pression pour demander à la coalition la création de zones d’exclusion aérienne dans le nord syrien. Ces zones tampons serviraient à casser la constitution d’une zone indépendante kurde, mais surtout à résoudre le problème des réfugiés syriens qui créent des tensions dans le sud du pays. Mais après l’attentat de Suruç, le plus meurtrier sur le sol turc depuis une attaque à un poste frontière turc en 2012, la Turquie a décidé de s’engager pleinement dans la lutte contre Daech.

Est-ce la fin du fameux «double jeu» turc?

Certains esprits complotistes voudraient croire que l’attentat de Suruç a été permis par les services secrets turcs. Les Kurdes commençaient à se mobiliser pour exiger que cesse le double jeu d’Ankara. Mais la réaction d’Ankara après l’attentat plaide plutôt contre ces thèses.

La Turquie et l’État islamique se «tiennent par la barbichette» depuis le début du conflit. La Turquie était dans une logique de tolérance vis-à-vis de Daech. L’enfer à ses portes, Ankara comptait sur ce pacte tacite de non-agression, et l’EI suivait la même logique. Pourtant, déjà, pendant la prise de Mossoul, une cinquantaine d’otages turcs avaient été capturés, puis libérés en échange de détenus de l’organisation djihadistes, dont des Occidentaux.

La Turquie va devoir payer l’addition d’une politique d’équilibriste menée ces dernières années. Le soutien d’Erdogan à l’opposition syrienne est de plus en plus mal vu dans l’opinion publique turque. La tolérance vis-à-vis de Daech n’est plus tenable. Fondamentalement, la Turquie et l’État islamique sont des ennemis.

La Turquie va devoir payer l’addition d’une politique d’équilibriste menée ces dernières années. Le soutien d’Erdogan à l’opposition syrienne est de plus en plus mal vu dans l’opinion publique turque. La tolérance vis-à-vis de Daech n’est plus tenable. Fondamentalement, la Turquie et l’État islamique sont des ennemis.

De Daech ou des Kurdes du PKK, quel est l’ennemi prioritaire?

Auparavant, le PKK (parti indépendantiste kurde) était considéré comme plus dangereux que les djihadistes. Désormais, les deux menaces terroristes sont considérées comme équivalentes.

Si la Turquie entre enfin dans la danse, n’est-ce pas un arrêt de mort pour Daech, qui se retrouverait complètement isolé des pays pourvoyeurs de djihadistes?

Tout l’enjeu se trouve dans l’imperméabilisation de la frontière turque. Si la frontière devient hermétique, ce sera un coup très dur pour Daech, dont l’afflux de combattants étrangers passe par la Turquie. L’armée turque est pléthorique (le service militaire obligatoire dure 15 mois) et celle-ci a tout à fait la capacité sécuritaire de fermer sa frontière.

Peut-on s’attendre à une intervention militaire au sol de la Turquie dans le Nord de la Syrie?

La rumeur d’une intervention circulait il y a quelques semaines dans les médias. Les Turcs en rêvent. Pour régler leur compte à leurs deux ennemis: les Kurdes indépendantistes et les djihadistes. S’ils se déclarent agressés, les pays de l’OTAN seront obligés de se déclarer cobelligérants au titre de l’article 5 de la Charte.

Nicolas Hénin est journaliste, spécialiste du djihadisme et des conflits au Moyen-Orient. Son dernier livre Jihad Academy a été publié chez Fayard.

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