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Conférence. La question climatique, au-delà des négociations

SIGNAL. La conférence de Lima sur le climat est arrivée à son terme sans grand faste, avec des résultats en deçà de ce que l’on pouvait attendre.

Sur les deux points principaux, à savoir le contenu du texte qui servira de base de négociation à Paris en décembre 2015 et les modalités selon lesquelles les Etats devraient déclarer leurs objectifs en matière de réduction des émissions dans les premiers mois de l’année 2015, les progrès ont été bien maigres.

Certes, la conférence a permis d’avancer sur le front de l’adaptation aux changements climatiques ainsi que sur celui de l’évaluation multilatérale de l’action de certains Etats développés, mais la communauté internationale a gaspillé une occasion importante (car négociée au niveau ministériel) de rapprocher ses positions sur des points-clés du tant souhaité (du moins par certains secteurs) accord de Paris. Or, un tel bilan ne surprend plus personne. Nous avons pris l’habitude de cette lenteur, de ce décalage entre le droit et la réalité.

Tout au long de l’année 2015, l’opinion publique sera confrontée à une véritable cacophonie médiatique portant sur les nombreuses questions que posent les changements climatiques. Je souhaiterais ici aller à l’essentiel, en embrassant du regard un champ plus large de considérations pour les ramener au noyau du problème. Ce que l’on cherche à faire depuis quelques décennies est d’abord de comprendre les changements climatiques (en ceci, il faut saluer le travail du Groupe d’experts intergouvernementaux sur l’évolution du climat – GIEC), puis d’envoyer un signal clair et crédible à la société, et en particulier aux producteurs (une grande partie du secteur privé), quant au besoin de réorienter la matrice industrielle de notre civilisation.

En effet, notre style de vie est entièrement fondé sur la production d’électricité, de chaleur et de combustibles. Ce sont les résidus de cette production (les gaz à effet de serre, en particulier le dioxyde de carbone) qui sont à l’origine des changements climatiques. Pour briser le lien direct entre cette production et ces résidus, il faut une révolution technologique permettant de continuer cette production sans les résidus ou, du moins, un captage suffisant des résidus. Certains envisagent des solutions plus extrêmes, comme une intervention sur le climat lui-même (ladite géo-ingénierie) ou un changement des pratiques culturelles plus ou moins radical (une « décroissance » difficilement acceptable pour la Chine, l’Inde et de nombreux pays d’Afrique qui, de manière justifiable, emploient leurs efforts à se développer).

Comment opérer un changement si vaste ? Deux voies s’ouvrent. La première, la plus rationnelle – mais aussi la plus difficile –, est d’envoyer le signal clair et crédible que j’ai mentionné plus haut, pour susciter des investissements suffisants qui permettent, à leur tour, une révolution technologique. A une bien moindre échelle, cela est déjà arrivé en matière environnementale. Lorsque des secteurs importants de l’industrie trouvent – et protègent par des brevets – les technologies appropriées (par exemple, les substituts aux substances qui appauvrissent la couche d’ozone ou, actuellement, des substituts moins nuisibles, mais plus chers, aux substituts précédents), ces secteurs deviennent des forces de changement et poussent leurs Etats à prendre des positions plus progressistes. Cela peut, certes, heurter le sentiment de justice, car la réglementation environnementale se transforme en un avantage concurrentiel pour ces industries. Le droit de l’environnement est très largement un droit économique. Pour cette raison, les négociations internationales butent souvent sur des questions de financement et de transfert de technologies, car les Etats qui se voient désavantagés sur un plan concurrentiel ne sont pas prêts à changer les règles du jeu à leur détriment. Cela explique aussi pourquoi on ne peut pas comprendre les négociations climatiques en limitant notre regard à un processus spécifique, négligeant des questions relatives au commerce, à la propriété intellectuelle, aux investissements, et à bien d’autres domaines connexes. En matière de changements climatiques, cette « voie technologique » est d’autant plus difficile à emprunter que, le changement nécessaire affectant les bases de notre civilisation, quelques technologies ponctuelles ne suffiront pas à changer la configuration d’intérêts (comme cela a été le cas pour la protection de la couche d’ozone). Mais le point de départ de cette voie reste le même : un signal clair et crédible.

La seconde voie, malheureusement fort probable, est bien moins souhaitable car plus destructrice et encore plus injuste dans ses effets: une réglementation introduite à la hâte pour faire face à des catastrophes naturelles récurrentes. J’espère me tromper quand je pense que nombre d’entre nous assisterons au développement de cette voie au coût humain et financier énorme en quelques décennies seulement, lorsque les effets des changements climatiques se préciseront dans notre quotidien.

Cette vue plus générale de la question climatique aidera, je le souhaite, les lecteurs et lectrices à faire face au flot d’information et de désinformation sur les changements climatiques qui nous attend en 2015. Prendre du recul par rapport à l’actualité ne revient pas à minimiser l’importance de tel ou tel développement, mais au contraire à s’affranchir de la cacophonie d’informations pour pouvoir distinguer ce qui est véritablement important de ce qui ne l’est pas et, enfin, choisir entre l’une ou l’autre voie.

Jorge E. Viñuales, professeur de droit de l’environnement à l’Université de Cambridge et professeur invité de droit international à l’Institut des hautes études internationales et du développement.

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