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Movie. Un festival de came

UN CERTAIN REGARD. Dans «The Other Side», l’Italien Roberto Minervini s’immerge dans le quotidien d’un couple de junkies en Louisiane, entre fascination et embarras.

Quelques rangées de spectateurs ont quitté la salle lors de la présentation deThe Other Side, notamment après que l’on a assisté à un shoot de femme enceinte dans la loge d’une boîte de strip-tease avant qu’elle ne monte sur le bar pour se déhancher, complètement stone, exhibant aux clients hilares son

Bienvenue de l’autre côté, l’«other side» du titre qui est en effet une incursion sur une espèce de planète maudite qui ressemble à l’Amérique. Roberto Minervini nous fait partager le quotidien de défonce d’un couple, Mark et Lisa, vivant dans la ville de West Monroe, en Louisiane, fief d’importantes communautés de junkies et d’alcooliques en perdition. Plus si jeune bien qu’il soit difficile de lui donner un âge, le duo fume et se pique à longueur de journées et de nuits moites, baise et s’engueule selon des cycles de montées et de descentes perpétuellement hagardes. Mark embrasse Lisa de sa bouche édenté, lui enfonce les aiguilles d’héroïne ou autres poudres fabriquées à la maison directement dans les seins, ils vont nus dans la campagne, ou pique-niquent à la fraîche avec des potes encore plus décavés, sifflant des bouteilles d’alcool au soleil.

Tatouages. Tous tiennent à leur liberté, celle de se défoncer et de picoler, de n’avoir de comptes à rendre à personne, ils veulent qu’on leur foute la paix, et pourtant, Mark sombre sous nos yeux dans une dépression. Les séquences de flip se succèdent et on le voit quémander du Xanax à une vieille femme qui le lui promet avant d’en croquer elle-même, un, puis deux et trois comme des tic-tac. La haine d’Obama revient souvent dans les propos de Mark et de son pote Jim, ivrogne de 70 piges. Ils détestent ce «crétin de négro» et espèrent l’arrivée au pouvoir non d’un républicain conservateur comme on pourrait le croire mais de Hillary Clinton.

Roberto Minervini a connu Mark et Lisa par le truchement des personnes qu’il a filmées lors de ses précédents films, une trilogie texane composée deThe Passage (2011), Low Tide (2012) et Stop the Pounding Heart (2013). Il a bougé à West Monroe où, dit-il, 60% de la population est au chômage et vit en dessous du seuil de pauvreté. La méthamphétamine y fait des ravages.

Il raconte dans une interview comment il a ressenti le violent désir de ces«white trash» de témoigner d’un sort qu’ils estiment injuste, une relégation hors de la société telle qu’elle leur semble marcher, avec d’un côté les riches Blancs et les pauvres Noirs mais où il n’y aurait pas ou plus de place pour les pauvres Blancs : «Nous sommes à la marge, nous ne voulons pas y rester et nous sommes en colère.» Le prisme politique et la tératologie existentielle peine à se différencier dans le magma des jours de dope.

Quand Mark propose le mariage à Lisa, il n’y va pas par quatre chemins :«Tu seras ma pute jusqu’à ce que la mort nous sépare.» Il a fait de la taule, il pourrait y retourner. La recherche de travail et la quête d’amour sont pareillement déçues, la pénurie domine en toute chose. Soudain le film change, sans prévenir, de lieux, se déplace pour une dernière partie dans une communauté paranoïaque du Middle West, des gens qu’assemblent le goût des armes et la peur d’une imminente invasion de l’intérieur qui, au nom de la loi martiale imposée, les priverait de leurs droits constitutionnels. Ils tirent à l’arme automatique sur des effigies d’Obama. Ils veulent être ensemble «une famille», ils s’appellent «frères» entre eux et sont au bord des larmes quand ils évoquent le 4 Juillet, fête de l’indépendance. Leur fierté patriotique est assortie d’une passion sans limite pour la bière, les tatouages et un climat ultrasexuel de bacchanales ivres en rase campagne. Ils sont eux aussi politiquement difficile à situer, on a l’impression de voir un ramassis de suprémacistes blancs mais, en réalité, ils condamnent l’intervention américaine au Moyen-Orient au prétexte qu’en tant que jeune nation, les Etats-Unis ne peuvent imposer leur vision du monde à des pays de culture millénaire. Et leur racisme ne va pas jusqu’à ne pas compter dans leurs rangs quelques Blacks à dreadlocks qui s’entraînent à leurs côtés en tenue paramilitaire et fusil d’assaut.

Témoin. Roberto Minervini n’est pas américain. Il est né à Fermo, en Italie, et a grandi dans une famille d’intellectuels. Il a eu un parcours assez compliqué, faisant d’abord des études d’économie et de commerce à Ancone, puis d’histoire du cinéma à Madrid et de médias à New York. Il part enseigner ensuite à Manille avant de revenir aux Etats-Unis, au Texas qui devient le lieu privilégié de ses films qui rendent floue la frontière entre documentaire et fiction. Il s’approche en cela de son compatriote Gianfranco Rosi qui avait signé avec Below Sea Level un magnifique film à Slab City, dans le désert au sud-est de Los Angeles, dans le quotidien livide de gens brisés, comme claquemurés dans une étrange lisière du monde.

Minervini tourne énormément et s’efforce d’être le moins invasif possible. Son œil est vraiment celui du photographe, il a un sens admirable du cadre et du moment, et son point de vue est dicté par un souci de restitution graphique des situations dont il est le témoin privilégié. L’«Autre Côté» est donc non l’envers du décor mais le passage par un bain révélateur d’une réalité qui à la fois fascine et embarrasse, une mise à nu des plaies et ruines d’un pays conquérant et toujours partiellement vaincu.

Didier PÉRON

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