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NOYAUZERONETWORK.ORG / GENEVA, SWITZ.
Moyen Orient. L’Iran, une puissance si indomptable ?

VISION. La domination militaire des communautés chiites embrigadées par l’Iran provoque une rupture stratégique majeure aux Proche et Moyen-Orients.

Que les négociations sur le nucléaire aboutissent ou non, Téhéran devient une puissance incontournable, qui structure les communautés chiites. Pourtant, son ascension a été jalonnée d’obstacles: il a déjoué un millefeuille de sanctions pour s’imposer. Dès qu’elles seront levées, il disposera du dégel de 100 milliards de dollars et aura les moyens d’accentuer son influence et de développer ses arsenaux.

Le premier coup d’arrêt aux conquêtes iraniennes est intervenu ce 25 mars: tombé aux mains d’une faction chiite, les Houthis, le Yémen devient le théâtre d’une réplique militaire d’une coalition sunnite menée par l’Arabie. Il s’agit d’un sursaut à l’encerclement de Riyad par son rival régional. Mais l’Iran maintient sa supériorité stratégique. Des voix s’élèvent discrètement à Téhéran pour demander que le «Chiistan» irakien élargi, puisse être intégré à l’Iran afin de devenir la première puissance énergétique, devant l’Arabie.

Les desseins iraniens sont servis par un prétexte religieux: huit des douze sanctuaires les plus saints du chiisme se trouvent en Irak. L’antagonisme identitaire entre Arabes et Perses a été gommé au profit de l’accentuation de l’opposition confessionnelle entre Sunnites et Chiites, vieille de 14 siècles.

La vision stratégique iranienne est animée par une foi messianique dans la victoire du chiisme qui prépare le retour du Mahdi (le 12ème imam caché). Elle semble aujourd’hui triompher, notamment grâce aux Gardiens de la Révolution qui mettent en œuvre une diplomatie militaire basée sur des réseaux souterrains au sein des communautés chiites.

Outre les révoltes arabes, une conjoncture a contribué aux succès du plan iranien: les États-Unis se sont perdus dans les excès de George W. Bush qui a frappé sans discernement au lendemain du 11 septembre, puis de Barack Obama, brillant orateur mais diplomate frileux, qui, à l’inverse, a renié les responsabilités internationales de l’Amérique. Obama voulait désengager l’Amérique des deux guerres dont il a hérité, celles d’Afghanistan et d’Irak et d’éviter tout réengagement des États-Unis sur de nouveaux théâtres. Comme la Russie dans ses ex-satellites de l’Europe de l’Est, l’Iran y a perçu une opportunité qu’il n’a pu que saisir.

Les attentats du 11 septembre commis par des djihadistes sunnites ont effacé des mémoires les multiples attaques (QG des Marines, des Marsouins et de l’ambassade américaine à Beyrouth), assassinats, prises d’otages… commis par des chiites aux ordres de l’Iran. La propagande des djihadistes chiites maîtrise une communication parfaitement lissée, comparée à la mise en scène d’actes de barbarie commis par les djihadistes sunnites. Pourtant, sur le champ de bataille les djihadistes chiites pratiquent la même horreur. Les «crimes de guerre» dénoncés par Amnesty en Irak, l’usage d’armes chimiques par Assad et les 11.000 suppliciés morts sous la torture dans ses geôles suscitent moins d’émotion que les exactions de Daech.

L’inconsistance des arabes sunnites, qui ont toujours compté sur le «bouclier» américain, a contribué à l’accession de Téhéran au rang de première puissance régionale. Là où la «Mollahrchie» dispose d’une structure offensive et centralisée et de la volonté d’exporter sa «Révolution islamique», les pays arabes se perdent dans des querelles stériles, sans redresser le caractère schizophrénique de leurs sociétés. Et si la richesse se trouve dans les monarchies dépeuplées du Golfe, l’Égypte, pays sunnite le plus peuplé, est encore handicapé par une transition politique. Quant aux pays du Maghreb, ils sont focalisés sur leurs querelles autour du Sahara Occidental.

Le principal théâtre de la confrontation entre Sunnites et Chiites se situe dans le triangle Beyrouth-Téhéran-Sanaa, où l’Iran a patiemment implanté ses cellules et collectionné les succès depuis plus de trente ans. Le Hezbollah a légitimé l’ingérence perse dans l’espace arabe et permis à l’Iran de revendiquer le titre de premier ennemi d’Israël, gagnant les faveurs des Arabes humiliés. Parallèlement, les Iraniens ont noué des alliances avec les alaouites de Syrie (secte intégrée au chiisme par une fatwa de 1972) et les chiites d’Irak dont ils ont hébergé les représentants persécutés par Saddam Hussein. Après la chute de ce dernier, Téhéran a créé son «Croissant chiite», de la Caspienne à la Méditerranée.

Lorsque le «Tsunami» arabe a frappé à la porte de Damas, cette alliance s’est activée pour secourir Assad. La détermination de Téhéran, doublée de celle de Moscou, a fait avorter le rêve de renverser Assad, lequel a transformé une révolution initialement pluraliste et porteuse de valeurs démocratiques en une guérilla confessionnelle, justifiant l’afflux de dizaines de milliers de mercenaires chiites au nom de la défense de leurs rares sanctuaires et autant de djihadistes sunnites pour évincer le dictateur. Si les chiites sont efficaces et coordonnés, les muhajireen sunnites se battent davantage contre les rebelles et les affaiblissent.

En s’emparant de plusieurs capitales arabes et en le revendiquant avec arrogance, les djihadistes chiites ont dopé leurs homologues sunnites qui cultivent le germe de l’extrémisme, au prétexte de contrer l’hégémonie chiito-iranienne. Ainsi, le «Croissant chiite» a été brisé en son centre par la prise de Mossoul et Raqqa, en juin 2014, à la satisfaction dissimulée des États sunnites du Golfe. Mais ces derniers se trouvent doublement bernés: l’Irak sous tutelle iranienne leur interdit d’intervenir contre Daech sur son sol, alors que l’Iran est autorisé à envoyer ses Pasdarans et ses bombardiers pour combattre les djihadistes sunnites et créer des milices chiites qui sont devenues plus puissantes que la fantomatique armée irakienne. Aussi, en Syrie, les aviations arabes partenaires de la Coalition n’ont le droit que de bombarder Daech, sans jamais pouvoir cibler les forces d’Assad, ni les factions chiites.

En se plaçant sous les ordres de Washington, les Arabes se sont mis de facto au service de l’Iran qui intervient en Irak et en Syrie aux dépens des communautés sunnites locales. Cette situation est très inconfortable pour les arabes qui devront justifier cette posture contreproductive. En France, des voix encore timides s’interrogent sur la pertinence de placer les moyens de l’armée française sous la tutelle du Pentagone, au moment où Washington semble tenté d’exercer un condominium avec l’Iran sur la région.

Le roi Salman d’Arabie doute désormais de la validité de «l’assurance tous risques», contractée par son père auprès d’Eisenhower en 1945. Le «feu orange» dont bénéficient les Iraniens pour exercer leur hégémonie, pousse l’Arabie à lancer son programme nucléaire en s’appuyant sur l’expertise duPakistan dont elle a financé l’accès à la Bombe.

La bombe iranienne, ou tout au moins l’arrivée au seuil nucléaire, annonce une prolifération régionale: l’Arabie, l’Égypte et la Turquie chercheraient alors à rejoindre Israël et l’Iran dans le club des nations atomiques. Téhéran serait tenté de provoquer des troubles en Arabie pour la détourner du lancement d’un programme fiable.

Le conflit qui oppose les djihadistes chiites et sunnites n’est pas prêt de s’estomper, d’autant plus que l’Amérique d’Obama n’exerce plus son rôle arbitral. Le «Yalta» régional que Téhéran voudrait négocier avec Obama remettra en cause les frontières de Sykes-Picot, cent ans après leur instauration. Mais l’hégémonie iranienne ne saurait être synonyme de paix régionale. Le Yémen en est l’éclatante illustration.

Antoine Basbous est fondateur et directeur de l’Observatoire des pays arabes. Dernier livre paru: «Le tsunami arabe». Éd. Fayard.

 

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