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Succession. Le roi Abdallah mort, l’Arabie saoudite doit changer

ADELPHIQUE. Le caractère multipolaire du pouvoir saoudien permettait toutes les dérives. Sans réformes profondes, la pétromonarchie sombrera.

La gérontocratie saoudienne vacille. Le roi Abdallah d’Arabie saoudite, qui était âgé de 90 ans, est décédé jeudi soir à 23 heures en raison d’une pneumonie. C’est le prince héritier Salmane, son demi-frère, qui lui a succédé sur le trône, à un moment extrêmement sensible de l’histoire de la jeune pétromonarchie : l’Arabie saoudite est directement menacée par la montée en puissance de l’organisation État islamique (EI). Problème, le nouveau monarque est lui-même âgé de 79 ans…

« Le système de succession en Arabie saoudite est adelphique, contrairement à l’Europe où il demeure patrilinéaire« , souligne Nabil Mouline*, grand spécialiste de l’Arabie saoudite au CNRS et à Stanford. À la différence des monarchies « classiques », où le trône se transmet verticalement de père en fils, le règne saoudien passe de frère en frère d’une même génération, à la mort de chacun d’entre eux, selon un ordre préétabli. Lorsque le dernier membre d’une fratrie décède, le relais est alors passé à la génération suivante. « Chaque transition générationnelle donne lieu à des guerres fratricides acharnées où c’est le prince le plus fort qui l’emporte », souligne Nabil Mouline. 

Lutte de factions

À sa mort en 1953, Abdelaziz al-Saoud, premier roi de l’Arabie saoudite moderne, laisse derrière lui une trentaine d’épouses avec lesquelles il a eu une cinquantaine de fils. Cinq d’entre eux – Saoud, Fayçal, Khaled, Fahd et Abdallah – lui succéderont sur le trône jusqu’à aujourd’hui. Pour que les autres frères ne se sentent pas lésés, la famille Saoud a mis en place un système de répartition horizontale du pouvoir. « Le roi n’est pas un monarque absolu », pointe Nabil Mouline. « Chaque prince s’approprie un fief et essaie de thésauriser un maximum de ressources afin de conquérir le plus de pouvoir possible. » 

Pour peser au sein de la famille royale, les plus grands princes se réunissent autour de factions regroupant des personnalités influentes du royaume : oulémas (religieux), bureaucrates, hommes d’affaires et intellectuels. Jusqu’ici, les deux plus grandes étaient la faction du roi Abdallah – le roi, ses fils, des demi-frères et leurs clients – et celle dite des « Soudayri » : sept frères germains (ils ont la même mère, NDLR) réunis autour du prince héritier (et nouveau roi, NDLR) Salmane. Par ministères interposés, les deux groupes se livrent une lutte sans merci. « Le plus grand terrain de cette rivalité demeure l’étranger, où chaque faction joue sa propre diplomatie pour mieux la réinvestir sur le plan interne », explique Nabil Mouline.

Menaces de l’État islamique

Or, la multiplication des centres de décision brouille considérablement la diplomatie du pays. La crise syrienne en est le parfait exemple. Officiellement engagée auprès de l’opposition modérée à Bachar el-Assad, l’Arabie saoudite finance aussi certains groupes djihadistes parmi les plus radicaux en raison de la volonté de certains princes à voir le Front al-Nosra (al-Qaida en Syrie) et l’EI obtenir la tête du président syrien. Une politique incendiaire qui se retourne aujourd’hui contre la pétromonarchie, première cible de l’organisation État islamique. Le 5 janvier, un attentat suicide attribué à l’EI a d’ailleurs coûté la vie à trois gardes-frontières saoudiens, dont un haut gradé, à proximité de l’Irak, où est implantée l’organisation. 

Du point de vue régional, l’Arabie saoudite, royaume wahhabite (version ultra-rigoriste de l’islam sunnite), demeure en perte de vitesse dans sa « guerre froide » contre l’Iran chiite. En Irak, en Syrie, au Yémen ou encore à Bahreïn, Riyad voit les chiites – pourtant ultra-minoritaires (10 %) dans le monde musulman – gagner en influence dans la région, au détriment des sunnites. « La nature même du pouvoir saoudien empêche le pays de jouer pleinement son rôle régional que lui confèrent pourtant sa taille et ses ressources », pointe Nabil Mouline. Or, la menace résonne jusqu’au coeur de la pétromonarchie saoudienne, régulièrement secouée par des manifestations de sa minorité chiite, présente en grand nombre dans sa province pétrolière du Hasa (est du pays).

Le pétrole, talon d’Achille du royaume

Principale source de revenus de l’Arabie saoudite, le pétrole constitue pourtant aujourd’hui son talon d’Achille. Jusqu’ici, l’alliance pétrole contre protection entre Washington et Riyad, scellée en 1945 par le pacte de Quincy, garantissait la sécurité du royaume. Or, cette entente est remise en cause par les formidables réserves de gaz de schiste désormais exploitées aux États-Unis. L’entrée sur le marché du pétrole américain explique d’ailleurs en partiela chute ve rtigineuse des cours du brut, qui coûte très cher au royaume : Riyad prévoit un déficit budgétaire de 38,6 milliards de dollars pour l’année 2015. 

Si les formidables réserves saoudiennes en liquidités (environ 800 milliards de dollars) accordent indéniablement un sursis à la monarchie, une crise prolongée menacerait, à terme, le pacte rente pétrolière contre paix sociale entretenu avec sa population. Car, contrairement au Qatar et aux Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite est un pays fortement peuplé (21,3 millions de Saoudiens), jeune (47 % de la population a moins de 25 ans) et lourdement frappé par le chômage (25 % de chômeurs). Une bombe sociale à retardement que la gérontocratie saoudienne ne peut se permettre d’ignorer. 

Dans ce contexte explosif, la monarchie Saoud n’a pas le droit de rater sa succession. « Pour faire face aux défis régionaux comme internes, l’Arabie saoudite doit absolument se métamorphoser en adoptant un système politique monocéphale autour d’une personnalité nouvelle forte de la famille royale », insiste le spécialiste Nabil Mouline. Une obligation pour le royaume, compte tenu de l’âge avancé du nouveau prince héritier – Moqren, 69 ans -, et surtout de la lutte déjà acharnée que se livre en coulisse la pléiade de petits-fils de la troisième génération Saoud. Dans le cas contraire, la gérontocratie pourrait signer son arrêt de mort. (Le Point)

(*) Nabil Mouline, auteur de Les Clercs de l’islam. Autorité religieuse et pouvoir politique en Arabie saoudite (PUF).

 


 

ARABIE SAOUDITE

Les défis qui attendent le futur monarque

L’arrivée du prince Salmane au trône pour succéder au roi Abdallah décédé ce 23 janvier, devrait se passer sans heurt même si les membres de la famille royale se livrent à une concurrence acharnée pour décrocher des postes clés.

Quand on aborde la question de la succession en Arabie Saoudite, il faut prendre plusieurs points en considération. On doit tout d’abord tenir compte du Hay’at Al- Bay’ah (le Conseil d’allégeance), instauré en 2006. Ce conseil se compose des fils ou des descendants du roi Abdelaziz Al-Saoud, et il a pour mission d’élire le roi et son prince héritier.

Ensuite, il y a l’influence de la personnalité du roi Abdallah ben Abdelaziz Al-Saoud. Et enfin, il y a les défis qui attendent le futur monarque. Si l’on considère ces trois facteurs dans leur ensemble, on peut en conclure que l’Arabie Saoudite a de grandes chances de connaître une transition sans heurt.

L’influence du roi Abdallah est immense. Il est à l’origine du quatrième Etat saoudien (le premier a existé de 1744 à 1818, le deuxième de 1824 à 1891 et le troisième de 1902 à 2006) et l’auteur d’un bouleversement dans l’équilibre du pouvoir dans le pays. Depuis 1964, les centres du pouvoir au sein de la famille royale se contrebalançaient, le roi Fayçal jouant alors à la fois le rôle d’arbitre final et de force décisive. Une équation qui, en 1975, s’est trouvée transformée en un système de domination partagée, où les centres du pouvoir s’équilibraient les uns les autres, sans arbitre final.

Le rôle de force décisive

Actuellement, nous sommes en présence d’un nouveau système de « pyramide du pouvoir ». Les forces de sécurité – l’Intérieur, la Défense et la Garde nationale – sont au sommet, le Conseil d’allégeance au milieu, et en dessous se trouve la succession au trône, sous l’influence du roi.

Les forces de sécurité guident le Conseil d’allégeance, contrôlant ainsi le cadre général dans lequel se déroule le processus de succession. En d’autres termes, conformément à la nouvelle loi, le futur roi a moins de pouvoir sur la question de la succession que les forces de sécurité et le Conseil d’allégeance. Par conséquent, dans ce nouvel agencement, [feu] le roi Abdallah a pu jouer le rôle de force décisive, comme le roi Fayçal en son temps.

Toutefois, de récentes nominations à des postes clés – comme le ministre de la Défense, son adjoint et les gouverneurs régionaux – semblent être la preuve que les membres de la famille royale se livrent à une concurrence acharnée.

Dans toute famille royale, il y a des règles écrites (comme le Conseil d’allégeance) et des règles tacites (les traditions). Historiquement, les traditions de la famille royale saoudienne reposent sur deux expériences : le système complexe de valeurs et d’alliances né des guerres de l’unification (1902 à 1932) et le conflit pour le trône à la mort du roi Abdelaziz.

Rupture progressive avec les traditions

Avec l’avènement de la génération des petits-fils, des personnalités qui ne s’identifient pas à ces deux expériences ont fait leur entrée sur la scène du pouvoir. On assiste donc à une rupture progressive avec les anciennes traditions et à la mise en place de nouvelles, ce qui prendra du temps. C’est au futur souverain qu’il incombera de gérer cette transition tout en stabilisant le quatrième Etat saoudien.

Les réformes politiques seront un facteur clé, comme le fait d’accroître la participation politique du peuple saoudien. Ainsi, du fait de ces réformes, le conseil de la Choura (l’Assemblée consultative) pourrait être élu, et non plus désigné comme c’est le cas aujourd’hui. Un Parlement élu peut jouer un rôle important dans la prise de décision sur les questions liées à la succession. Nous avons été témoin d’une évolution semblable au Koweït, où le conseil de l’Oumma décide de qui sera émir.

La politique étrangère représente un autre défi. La gestion des relations avec les Etats-Unis s’avèrera difficile, d’autant plus que le pays est pour Washington une plaque tournante stratégique vers l’Asie. Le futur roi devra faire face à l’influence montante de l’Iran, qui s’appuie sur des acteurs non-étatiques et sur un discours idéologique pour nouer des alliances, affaiblissant du même coup les gouvernements centraux tout en créant une atmosphère de conflit généralisée.

Les forces de sécurité au cœur du processus

En dépit des spéculations et des inquiétudes que suscite le secret entourant la succession, l’Arabie Saoudite continuera d’exercer une formidable influence sur les événements tant régionaux qu’internationaux. L’opinion publique saoudienne a tendance à se méfier de tout changement radical. De plus, la stabilité de la transition dépend des forces de sécurité. Ce qui devrait permettre d’empêcher que la compétition entre les membres de la famille royale n’aille trop loin.

Par conséquent, le système de « domination partagée » s’étant transformé en une « pyramide du pouvoir » qui place les forces de sécurité au cœur du processus de transition – et sachant que cette pyramide détient le pouvoir aussi bien militaire que financier, la transition du pays, aussi lente et pénible soit-elle, s’effectuera selon toute vraisemblance dans la paix et la stabilité. (CI)

 

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