Justice. Le créateur présumé du plus grand service de vente de drogue devant la justice américaine

ROSS ULBRICHT. Le procès du créateur supposé de Silk Road (« route de la soie », en anglais), une plateforme en ligne qui aurait généré plus de 1 milliard de dollars de vente de produits illégaux, a commencé mardi 13 janvier à New York.
Silk Road est décrit par l’accusation comme « le plus grand marché noir de la criminalité sur Internet », un « paradis du shopping » où, de 2011 à 2013, des milliers d’internautes pouvaient acquérir LSD, cocaïne, faux papiers et même les services de tueurs à gage. Utilisant la monnaie virtuelle et anonyme bitcoin, il était l’un des plus importants du darknet, cette partie d’Internet non indexée dans les moteurs de recherche et accessible uniquement par le biais du système d’anonymisation Tor,
De son vrai nom Ross Ulbricht, le créateur de Silk Road avait été arrêté en octobre 2013 par le FBI dans la section science-fiction d’une bibliothèque publique de San Francisco. Pris « la main dans le sac », selon le procureur Timothy Howard, Ross Ulbricht récuse sa responsabilité dans les achats effectués sur sa « route de la soie ». Il plaide non coupable aux sept chefs d’inculpation, parmi lesquels blanchiment d’argent et trafic de stupéfiants, qui pourraient le conduire à une peine de prison à perpétuité.
UN JEUNE HOMME « PLEIN D’IDÉES »
Selon son avocat Joshua Dratel, le Texan « plein d’idées » de 30 ans, ex-doctorant en physique de l’université de l’Etat de Pennsylvanie, aurait bien lancé le site en 2011, mais comme « expérience économique » (comme il l’affirme son son profil LinkedIn). Le jeune homme se serait ensuite vite lassé du « stress » attaché à l’administration de la plateforme et aurait confié le profil « Dread Pirate Roberts » à d’autres administrateurs. Ce transfert de pseudonyme, qui pourrait le dédouaner, Ross Ulbricht a une histoire, un roman même, pour le justifier. Dans Princess Bride, le roman de fantasy de William Goldman dont il est tiré, Dread Pirate Roberts est le capitaine d’un navire pirate redouté sur toutes les mers du monde. Au fil du roman, le personnage d’une longévité exceptionnelle se révèle être une multitude d’individus qui se passent à tour de rôle son identité.
Pour la défense, Ross Ulbricht aurait donc été piégé par un autre administrateur qui, sentant le vent tourner, lui aurait rendu son profil juste avant l’arrestation d’octobre 2013.
ÉCHAPPER À LA RÉGLEMENTATION DE L’ÉTAT
Ross Ulbricht se réclame d’une idéologie libertaire ayant pour objectif d’échapper à la « coercition » de l’Etat. Dans un entretien au magazine Forbes en août 2013 , il déclarait ainsi :
« Silk Road est avant tout un moyen d’échapper à la réglementation de l’Etat. […] L’Etat essaye d’avoir la mainmise sur la quasi-totalité de nos vies, et pas seulement sur la consommation de drogues. […] Par exemple, les armes et les munitions sont de plus en plus contrôlées. Si je peux proposer un modèle qui permet aux gens de trouver l’équipement dont ils ont besoin pour se défendre, eux et leur famille, malgré et souvent contre l’Etat lui-même, je suis heureux de le faire. »
Pour l’accusation, pourtant, Ross Ulbricht est loin d’être un idéaliste. Sa fortune personnelle, estimée à 18 millions de dollars, proviendrait en grande partie de commissions d’au moins 10 % prélevées sur chaque transaction du site. Selon Timothy Howard, plusieurs meurtres auraient en outre été commandités par le programmeur dans l’Etat de New York et du Maryland, sans être pour autant menés à bien.
APRÈS LA FERMETURE, UN SILK ROAD 2.0
Depuis sa fermeture en 2013, de nouveaux administrateurs s’étaient mobilisés pour rouvrir une nouvelle « route de la soie ». Silk Road 2.0 promettait des transactions encore plus sûres avec une interface conforme en tou point de l’ancienne, avant que son dirigeant, Blake Benthall, 26 ans, ne soit arrêté à son tour à San Francisco par le FBI, en novembre dernier. Malgré les arrestations, les marchés noirs restent florissants selon l’association Digital Citizens Alliance. Dans un marché très lucratif, il reste facile pour d’anciens employés de lancer de nouveaux sites à un rythme bien plus soutenu que celui des enquêtes de police. Que Ross Ulbricht soit coupable ou non, la « route de la soie » qu’il a lancée ne devrait donc pas prendre fin avant longtemps. (Le Monde)