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Iran. Les adolescentes iraniennes veulent « que le monde regarde leur combat »

VIOLENCE Les collégiennes, lycéennes et même écolières, qui ont rejoint la contestation, veulent faire entendre leurs voix au-delà des frontières. Une douzaine d’entre elles ont été battues à mort, d’autres se sont suicidées à la suite de leur arrestation.

Les protestataires les appellent, non sans admiration et avec beaucoup d’affection, « les jeunes filles de l’Iran » (« dokhtar-e Iran »). Elles sont écolières, collégiennes, lycéennes, étudiantes, âgées de 11 à 18 ans. Ou elles ont quelques années de plus.

À la surprise générale, elles ont fait irruption peu après le début du soulèvement, avec des vidéos dévastatrices pour le régime, dont la plus sidérante représente une poignée d’entre elles, sans foulard et de dos pour ne pas être reconnues, adressant chacune un doigt d’honneur au Guide de la révolution, Ali Khamenei, incarné par son portrait sur un mur de classe.

Une transgression absolue dans la République islamique, où la moindre critique du leader suprême est punissable d’une peine de prison.

La vidéo, devenue immédiatement virale sur les réseaux sociaux, a été accompagnée par d’autres montrant des groupes d’adolescentes déchirant les photos des dirigeants iraniens et les remplaçant par celle de Mahsa Amini, la jeune Kurde de 22 ans dont la mort sous les coups pour un voile mal ajusté, le 14 septembre à Téhéran, a provoqué l’actuel embrasement du pays.

« Ces images ont été consciemment créées pour être vues sur les réseaux sociaux, souligne Afsaneh*, une enseignante de Téhéran qui est en contact avec des adolescentes. C’est un désir et un objectif importants et affichés des jeunes Iraniennes qui veulent que le monde les regarde prendre en main ce combat. Elles sont très conscientes de l’importance de faire entendre leurs voix au-delà des frontières, car leur vie entière se vit déjà, depuis des années, dans un monde virtuel où les frontières sont sans objet. »

Il est difficile de savoir combien de collèges et de lycées ont connu des révoltes semblables, qui semblent concerner essentiellement des élèves de la classe moyenne et moyenne supérieure de la capitale et de certaines grandes villes, comme Ispahan, où on a vu de très jeunes filles manifester le soir sur l’avenue principale.

La répression n’en est pas moins terrible : au moins une douzaine de « filles de l’Iran », pour ne parler que de celles dont les noms ont été « vérifiés »,ont payé leur engagement de leur vie. Beaucoup d’autres ont été emprisonnées.

De prétendus suicides

La plus emblématique est Nika Shakarami. Âgée de 16 ans, elle avait été kidnappée le 21 septembre après une manifestation et retrouvée le visage complètement fracassé. Son corps avait été enlevé ensuite à ses parents et enterré secrètement dans un village près de Khorramabad (ouest de l’Iran). Les autorités avaient d’abord prétendu qu’elle avait été poussée par huit voyous du haut d’un immeuble, avant de changer de version, face à l’accumulation de preuves contraires, et d’affirmer qu’elle s’était suicidée.  

Après elle, il y eut Sarina Esmailzadeh, une autre lycéenne de 16 ans, dont le blog permettait à de nombreuses jeunes Iraniennes de s’identifier à elle parce qu’elle entendait mener une vie libre. Selon Amnesty International, la jeune fille a elle aussi été battue à mort, le 23 septembre, lors d’une manifestation à Karaj, dans la grande banlieue de Téhéran.

Comme pour Nika Shakarami, le pouvoir iranien a affirmé qu’elle avait mis fin à ses jours en se précipitant depuis le haut d’un bâtiment. Mais, selon l’ONG Iran Human Rights, basée à Oslo, quand la famille est allée identifier le corps, des « blessures multiples étaient clairement visibles sur son visage, et le côté droit de son front était complètement écrasé en raison de la force des coups ». La même ONG a aussi fait savoir que sa famille, comme celle de Nika, avait subi d’intenses pressions d’agents du gouvernement pour « la forcer à répéter la version officielle du suicide ».

Le 19 octobre, Asar Panahi, encore une lycéenne de 16 ans, décédait une semaine après avoir été violemment battue par les services de sécurité iraniens à l’intérieur de son établissement scolaire à Ardebil (nord-est de l’Iran). Selon le syndicat des enseignants, elle avait refusé de participer à un rassemblement prorégime.

Nous n’avons pas peur de la mort, nous avons vécu la mort. Nous sommes dans ce combat avec les mains vides.

Nasrine Ghaderi, décédée le 6 novembre après un passage à tabac

Puis, le 1er novembre, Nassim Sedghi, une championne de taekwondo de 23 ans, tombait d’une balle dans la poitrine et d’une autre en plein front, à Ouroumieh, dans le nord-ouest du pays. On ne connaît pas les circonstances exactes de sa mort mais son père, dans une vidéo poignante, a demandé au régime pourquoi sa fille qui manifestait « les mains nues » avait été tuée.

Le 6 novembre, Nasrine Ghaderi, doctorante en philosophie à l’université de Téhéran, succombait à la suite des nombreux coups de matraque qu’elle avait reçus et qui l’avaient plongée dans le coma. Dans un de ses derniers messages, adressé à une amie, elle avait écrit : « Nous n’avons pas peur de la mort, nous avons vécu la mort. Nous sommes dans ce combat avec les mains vides. »

Il faut ajouter Mahsa Mougouyi, 18 ans, battue à mort à Ispahan, Hannaneh Kia, 22 ans, étudiante en art, assassinée d’un coup de fusil à Nowshahr, une localité du Mazanderan (nord du pays).

La mort de Hadis Nadjafi, 20 ans, tuée de plusieurs balles d’un fusil de chasse – de nombreux projectiles ont été retirés de son corps – à Karaj, a eu un grand retentissement : bien avant les manifestations, elle incarnait les désirs de liberté d’une partie de la jeunesse en n’hésitant pas sur TikTok à se mettre en scène avec des vêtements très ajustés et en présentant des chorégraphies qui scandalisaient les « gasht-e ershad » (littéralement « les rondes pour faire respecter l’orientation islamique »).

Juste avant d’être tuée, elle avait posté une vidéo où elle se filmait sur le chemin de la manifestation et expliquait qu’elle s’y rendait pour se souvenir d’avoir fait partie du mouvement.

Il faut encore ajouter Setareh Tadjik, une Afghane de 17 ans, dont la famille avait fui les talibans, qui, elle aussi, a été battue à mort. Et la petite Baloutche Mona Naghibi, 8 ans, tuée, le 23 octobre, par un sniper du régime alors qu’elle se rendait à son école de Zahedan.

Consciente des mensonges du régime, qui prétend que les victimes de la répression sont décédées de maladie ou se sont suicidées, la jeune journaliste Nazila Maroufian a tweeté peu avant son arrestation, le 3 novembre, qu’elle n’avait ni « l’envie de se suicider » ni ne souffrait de « maladies sous-jacentes ».

Des tortures insupportables

Mais certaines « dokhtar-e Iran » ont effectivement voulu mettre fin à leurs jours après des détentions ou des interrogatoires particulièrement éprouvants.

Yalda Aghafazeli, 19 ans, s’est suicidée le 10 novembre, seulement deux jours après sa libération de la prison pour femmes de Qarchak, où elle était demeurée détenue pendant 11 jours après son arrestation place de la Révolution, à Téhéran. Sur des messages audio diffusés par ses proches, elle parle des tortures subies pendant sa détention et raconte qu’elle n’a « jamais pleuré, seulement crié très fort. Tellement fort et tellement longtemps qu[’elle en a] la voix cassée ».

Hasti Hossein Panahi, encore une lycéenne kurde, âgée de 16 ans, est dans le coma après s’être jetée d’une voiture, le 9 novembre à Dehgolan, dans le Kurdistan iranien. Selon l’opposition kurde, elle revenait d’une convocation des etela’ati (les « agents de renseignement ») qui l’avaient menacée, si elle ne coopérait pas avec eux, de publier une vidéo la représentant en train de déchirer le portrait de Khomeini dans ses cahiers et de la faire expulser de son école.

Il est à craindre que le nombre des suicides soit plus élevé, certains parents, notamment pour des raisons religieuses, refusant de faire savoir que leur fille s’est donné la mort.

« Vivre comme à Los Angeles »

« C’est comme si toutes ces jeunes filles faisaient partie de notre famille, précise une Iranienne qui vit entre Paris et Téhéran, et communique sur les réseaux sociaux sous le pseudonyme de « Sirine Alkonost ». Il ne faut pas négliger leur implication dans le mouvement : il a un impact sur celui-ci. Elles en sont aussi les actrices. Elles sont porteuses de son identité, peut-être même qu’elles changent sa nature. Elles ne sont pas des victimes que l’on doit protéger, même si, du fait qu’elles sont mineures, on fait preuve d’une grande attention pour cacher leur identité. C’est pourquoi on les montre toujours de dos. »

La sociologue franco-iranienne Azadeh Kian, directrice du Centre d’enseignement, de documentation et de recherches pour les études féministes de l’université Paris-Diderot et autrice de Femmes et pouvoir en islam (Michalon, 2019), s’interroge pourtant sur leur importance au sein du mouvement :

« En arrachant les portraits du Guide suprême ou en lui faisant un doigt d’honneur, elles ont été les premières à transgresser de façon très importante les codes dans certaines écoles et lycées, mais peut-on dire pour autant qu’elles ont impacté l’ensemble du mouvement ? Influencé, oui, certainement. Mais je pense que ce sont d’abord les jeunes âgés de 18 à 22 ans, c’est-à-dire celles et ceux qui ont commencé le mouvement, qui ont influencé ou impacté les lycéennes, voire les écolières, lesquelles ont voulu suivre leur exemple. »

Azadeh Kian poursuit : « On sait par ailleurs qu’il y a, depuis longtemps, un mouvement dans les lycées pour ne plus tolérer les injonctions de l’État islamique, y compris le port obligatoire du voile. Car pourquoi dans une école de filles devraient-elles le porter puisqu’elles sont entre filles ? Sans compter que cela crée toutes sortes de problèmes, notamment capillaires. »

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Pour aller manifester, beaucoup de ces adolescentes doivent d’abord échapper à la surveillance de leurs parents. D’autres tentent de les rassurer en leur faisant croire qu’elles ne prendront aucun risque ou qu’elles se tiendront à l’écart des affrontements. Mais leur bataille se passe tout autant sur les réseaux sociaux, au travers desquels la jeunesse iranienne a grandi, avec lesquels elle vit au jour le jour et qu’elle maîtrise en général très tôt, souvent dès l’âge de 12 ans.

« Les réseaux sociaux ont été décisifs pour la tranche d’âge entre 12 et 16 ans, insiste Azadeh Kian. Je vois leur influence mais aussi leur danger, à savoir prendre le virtuel pour le réel, croire que tout va changer sur un claquement de doigts, penser que si on fait un doigt d’honneur au Guide suprême, ça va bouleverser la situation parce que tout le monde aura vu leur geste sur ces mêmes réseaux. C’est intéressant de voir leur adhésion massive au mouvement mais leur acte n’est pas vraiment politisé. Il n’y a pas chez elles d’analyse sur la nature du régime ni de revendications proprement politiques ou économiques. Elles veulent vivre comme les autres jeunes filles dans le monde, comme à Los Angeles, ou plutôt comme la diaspora iranienne à Los Angeles, ou ailleurs… Ce sont donc essentiellement des revendications individuelles : ne plus porter le voile, ne plus être dérangée à tout bout de champ par la police des mœurs, avoir un petit ami… »

« Mais,ajoute la sociologue, comme sous le régime islamique tout est politique, ces revendications deviennent politiques. La génération du “mouvement vert” [qui protestait contre l’élection truquée de Mahmoud Ahmadinejad, en 2009 – ndlr] ou celle de la révolution islamique de 1979 était beaucoup plus politisée. Aujourd’hui, on se fait tuer pour un bout de tissu. C’est terrifiant ! »

Jean-Pierre Perrin

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