International Geneva. Le DFAE tire sur le messager : une décision désastreuse pour la liberté de la presse et l’image de la Suisse
JOURNOS Alors que la Genève internationale traverse une période de profonde fragilité, le Département fédéral des Affaires étrangères (DFAE) choisit le pire moment pour fragiliser encore davantage le journalisme. En annonçant la suppression du Règlement sur l’accréditation des représentants de médias étrangers et de la carte délivrée aux membres de la presse internationale, le DFAE ne se contente pas d’un acte administratif. Il sape un pilier symbolique et pratique de la liberté d’informer en Suisse.
Une suppression brutale, sans dialogue
Sans même respecter la clause de consultation prévue par le règlement de 1992, le DFAE a informé l’Association de la Presse Étrangère en Suisse et au Liechtenstein (APES) de sa décision de mettre fin à l’accréditation d’ici à la fin de l’année. Une communication unilatérale, bureaucratique, et surtout indigne d’un État qui se présente comme défenseur de la liberté d’expression sur la scène mondiale.
L’APES rappelle que cette accréditation ne concernait pas seulement la couverture parlementaire à Berne : elle était une clé essentielle pour accéder aux institutions publiques, aux organisations internationales, et à la vie politique suisse dans son ensemble. À Genève notamment, elle permettait aux correspondants étrangers de couvrir les Nations Unies, les ONG et les missions diplomatiques – tout ce qui fait de la ville un carrefour mondial du dialogue et des droits humains.
Un coup porté aux indépendants, et à la diversité de la presse
Les premiers touchés par cette mesure seront les journalistes indépendants, déjà fragilisés par la précarité du métier. Sans carte officielle, ils perdront l’accès à de nombreux espaces d’information, se verront refuser des accréditations locales, et seront privés d’une reconnaissance professionnelle indispensable pour exercer leur rôle.
En d’autres termes, cette décision ne fera pas que compliquer la vie administrative de quelques reporters : elle exclura du terrain ceux qui, souvent, assurent la couverture la plus libre, la plus internationale, la plus essentielle à la vitalité démocratique.
Une incohérence nationale, un signal désastreux
Comment un pays qui se targue d’être la capitale mondiale des droits humains peut-il, dans le même temps, restreindre l’accès à l’information sur ce qui s’y passe ?
Comment la Suisse peut-elle continuer à se poser en modèle de liberté de la presse tout en affaiblissant les journalistes étrangers installés sur son sol ?
Cette contradiction est d’autant plus choquante que, dans le même temps, les budgets internationaux sont en chute libre. Les grandes rédactions étrangères réduisent leur présence à Genève, et de nombreux médias suisses ont déjà drastiquement limité leur couverture de la Genève internationale. À l’heure où le monde a plus que jamais besoin d’une presse indépendante pour documenter les enjeux globaux — du climat aux droits humains —, la Suisse tourne le dos à sa propre responsabilité historique.
Un mauvais calcul politique et diplomatique
Le DFAE justifie cette mesure par une révision technique des règles d’accréditation fédérales. Mais sous couvert de simplification administrative, c’est bien une dégradation politique et symbolique majeure. Supprimer un statut reconnu internationalement, sans concertation, revient à fragiliser non seulement la profession journalistique, mais aussi l’image de la Suisse comme terre de dialogue et de liberté.
Ce geste, qui peut paraître anodin vu de Berne, envoie un signal catastrophique vu de l’étranger : celui d’un pays qui se replie, qui doute de ses institutions, et qui oublie que la liberté de la presse n’est pas une formalité, mais une garantie démocratique.
Genève et la Suisse méritent mieux
La Suisse a bâti sa réputation sur la confiance, la transparence et la défense du débat public. En retirant cette accréditation, elle trahit ces valeurs et alimente la méfiance envers ses institutions.
C’est un choix politique lourd de conséquences — un choix qui dit à demi-mot : nous préférons moins de journalistes, moins de regards, moins de questions.
À l’heure où les libertés reculent dans le monde, où les reporters sont menacés et où la désinformation prospère, la Suisse devait être un refuge. Elle risque désormais de devenir un symbole d’ambiguïté.
Et cela, pour un pays qui abrite le siège de l’ONU et du Conseil des droits de l’homme, est tout simplement incompréhensible.

