Les premiers enseignements de quinze jours de la présidence élue de Donald Trump
EQUIPE DE COMBAT Il n’aura pas fallu longtemps. Quinze jours à peine marqués par des désignations en rafale, dont l’une des plus importantes vient d’imploser, auront suffi à se faire une première idée de la manière dont Donald Trump approche son second mandat. Il est préparé. Il sera radical. C’est une équipe de combat qu’il a mise en place pour mener à bien sa politique. Il privilégie la loyauté aux compétences. Fidèle à sa manière, il dynamite les usages, les normes et les pratiques.
Le plan
« Trump a décidé d’exploser les départements de la Justice et de la Défense, il cherche des hommes pour ça ». Ce n’est pas un Démocrate ou un commentateur politique qui parle, mais un proche de Donald Trump, habitué de longue date Mar-a-Lago, la résidence floridienne où le président élu prépare sa transition. Par cette confidence anonyme au Washington Post, ce proche du président élu confirme ce qui, au fil des jours depuis le 5 novembre, est devenu une évidence : l’une des plus hautes priorités de Donald Trump est bien de mettre très rapidement et brutalement à mal les institutions américaines et les structures du gouvernement fédéral. En demandant que le Sénat confirme ses nominations en urgence ou en confiant à des agences de sécurité privées plutôt qu’au FBI le travail d’enquêter sur les membres qu’il choisit pour son équipe, c’est, pour prendre une analogie militaire, une guerre hybride qu’il mène pour attaquer et affaiblir tous les dispositifs constitutionnels que les Pères fondateurs avaient mis en place afin d’éviter justement les ravages qu’un homme fort arrivé au pouvoir suprême pourrait infliger au pays, ce fameux système des « check and balances », constitué d’un entrelacement de garde-fous. Enfin, comme dans le cas d’Elon Musk, il place des personnalités à la tête de « commission d’experts » aux pouvoirs étendus, mais dont le choix n’est pas sujet à ratification par le Sénat.
Expulser rapidement et massivement 11 millions d’immigrants clandestins, mener tarifs battants une guerre commerciale globale, combattre ce qu’il appelle « l’ennemi intérieur », soit ses adversaires politiques, d’innombrables fonctionnaires, la presse et les médias, ces promesses de campagne constituent les éléments centraux du projet politique de Donald Trump. La question qui se pose est de mesurer l’intensité de son jusqu’au-boutisme dans chacune de ces croisades qu’il entend mener. Des promesses de campagne ne font pas encore un véritable programme politique. Le Projet 2025 de la Fondation conservatrice Heritage, lui, en revanche, en est indéniablement un. Craignant qu’il ne lui coûte des voix par son aspect radical, notamment sur la question de l’avortement, Trump et certains membres de son équipe s’en étaient distancés durant la campagne. Cette distanciation de cette somme de 992 pages largement écrites par d’anciens membres de sa première administration fut purement tactique et de courte durée. Il vient de choisir quatre de ses rédacteurs à des postes clés de sa future administration. Et même si le Projet 2025 devait ne pas être appliqué à la lettre, il éclaire en profondeur la philosophie de la nouvelle génération des conservateurs américains nationalistes d’obédience libertarienne.
La loyauté comme premier critère
Voici donc assemblée une véritable équipe de combat pour monter ce nouvel assaut, une congrégation de milliardaires, de CEOs, de grands partons de la tech. Ce qu’ils partagent ? À défaut, pour la plupart, d’une expertise des portefeuilles dont ils seront responsables, une loyauté totale envers le président-élu. Le mot a une signification particulière dans l’univers trumpien : en premier lieu, d’innombrables témoignages d’anciens collaborateurs ont rapporté que l’homme ne supporte aucune contradiction. Mais la loyauté qu’il demande est désormais d’une autre nature. À l’image de son vice-président, les hommes et les femmes qui l’entourent sont toujours restés ambigus à propos de l’irrégularité supposée de l’élection de Joe Biden en 2020. Tous considèrent qu’il ne fut pas directement responsable de l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021.
Détruire, dit-il
Pour les populistes, l’expertise est par définition associée à l’élitisme. Les nominations de Donald Trump aux postes d’un cabinet désormais au complet, reflètent certaines de ses fixations anciennes. Confier la santé au vaccinosceptique Robert Kennedy Jr est vu par de nombreux commentateurs comme une confirmation de son rejet de la science, manifeste dans sa gestion du Covid ou de ses positions climatosceptiques. Chris Wright, choisi comme ministre de l’Énergie, dirige une entreprise de fracturation hydraulique. Il n’y a selon lui « pas de crise climatique » et « nous n’avons constaté aucune augmentation de la fréquence ou de l’intensité des ouragans, tornades, sécheresses ou inondations, malgré l’alarmisme incessant des médias, des politiciens et des militants. » Avec Pete Hesgeth, un chrétien fondamentaliste qui entend se débarrasser des « généraux woke », Donald Trump semble vouloir prendre sa revanche sur un establishment militaire qui ne l’a jamais accepté. Et, comme l’analyse Stéphane dans son billet, il voit en Tulsi Gabbard , une justification de son admiration explicite pour Vladimir Poutine et possiblement une agente sous influence pour politiser le travail des agences de renseignements.
L’attrait que Tulsi Gabbard et Robert Kennedy Jr. représentent pour Donald Trump est non seulement que les deux rejettent les idées reçues, mais « qu’ils sont activement hostiles aux institutions qu’ils devront diriger. Autrement dit, Trump les veut précisément, car ils sont anti-insitutionnels », analyse l’éditorialiste conservateur Rich Lowry avec une certaine inquiétude. S’ils devaient être confirmés, poursuit-il, « l’expérience se terminera vraisemblablement mal », prédit-il. Pour rester sur une nomination d’importance pour la conduite de la politique étrangère de la future administration, difficile de savoir si la même logique destructive a présidé à la désignation de Matthew Whittaker, autre loyaliste de Trump sans aucune qualification en relations internationale, comme ambassadeur à l’OTAN. L’idée que Whittaker puisse, comme Gabbard et Kennedy Jr. être « hostile » à l’OTAN et aux Européens en général, dont on sait le peu d’estime que leur accorde Donald Trump ne peut que profondément inquiéter les alliés et amis de l’Amérique, à commencer par les Ukrainiens. Difficile ainsi d’interpréter son message d’annonce dans lequel il affirmait que « Matthew Whittaker « renforcera les relations avec nos alliés de l’OTAN et restera ferme face aux menaces contre la paix et la stabilité. Il défendra America First ».
Banquiers, hommes d’affaires, industriels, c’est une vieille tradition américaine qui voit des représentants des élites fortunées répondre à l’appel de servir le locataire de la Maison-Blanche et devenir, pour un temps, des grands commis de l’État. Mais probablement jamais n’avait-on vu de tels risques de conflits d’intérêts qu’avec la nomination d’Elon Musk et de Vivek Ramaswamy à la tête du nouveau « Department of Government Efficiency » , DOGE. (L’acronyme reprend le nom d’une cryptomonnaie fondée par Musk.) Musk auditera en effet des agences avec lesquelles il a des relations d’affaires. Les deux hommes ont récemment publié les lignes fortes de leur plan de réduction du budget fédéral dans le Wall Street Journal. Ils appellent à des coupes claires de l’ordre de 2 trillions de dollars, soit près d’un tiers du budget fédéral.
Au-delà des chiffres, il vaut la peine de s’arrêter sur la vision de leur mission qu’expriment les deux hommes. « Notre nation », écrivaient-ils dans le quotidien financier « a été fondée sur l’idée fondamentale que les représentants que nous élisons dirigent le gouvernement. Ce n’est pas ainsi que l’Amérique fonctionne aujourd’hui. La plupart des décrets juridiques ne sont pas des lois votées par le Congrès, mais des “règles et des réglementations” — des dizaines de milliers chaque année — édictées par des bureaucrates non élus. La plupart des décisions d’application des lois et des dépenses discrétionnaires ne sont pas prises par le président démocratiquement élu ou même par ses responsables politiques nommés, mais par des millions de fonctionnaires non élus et non nommés, travaillant dans des agences gouvernementales et se considérant comme à l’abri d’un licenciement grâce aux protections offertes par le statut de la fonction publique ».
La réforme du gouvernement est en fait, comme partout ailleurs, un très vieux débat aux États-Unis. En 1993, la pression des Républicains avait déjà poussé Bill Clinton à lancer The National Partnership for Reinventing Government (NPR). Il avait confié ce vaste plan à son vice-président Al Gore. Les débats dont je fus témoin à l’époque furent extraordinairement vifs, la gauche du Parti démocrate accusant alors le jeune président démocrate réformiste de céder à la droite. Le plan promettait près de 100 millions de dollars d’économie qui passaient essentiellement par une optimisation de la gestion des programmes fédéraux. Mais à la différence de l’initiative de Donald Trump confiée à Musk et à Ramaswamy, NPR ne profitait pas financièrement à ses initiateurs ni n’était portée par la vision ultralibertarienne des deux milliardaires. Ancien rival de Donald Trump durant les primaires, Vivek Ramaswamy pourfend ce qu’il appelle le « complexe wokiste-industriel » américain qui à ses yeux affaiblit la compétitivité de l’industrie américaine. Il dénonce les critères ESG dans les entreprises, considère que le réchauffement climatique est un leurre (hoax) et que le mouvement LGBTQI+ est un « culte ».
Face aux efforts de Donald Trump d’affaiblir durablement les institutions, les moins pessimistes trouvent une réassurance dans le fait que les digues constitutionnelles et légales ont résisté lors de son premier mandat. En réalité, elles avaient déjà été affaiblies, par la guerre menée contre le Département de la justice, ou contre les agences du renseignement déjà, puis dans l’assaut du 6 janvier 2021 contre le Capitole. Toutes les branches du pouvoir étant contrôlées par Donald Trump et son parti dès janvier, le sort futur des institutions américaines pourrait ainsi dans l’immédiat largement dépendre du courage d’une poignée de sénateurs qui pourraient refuser de confirmer certaines de ces nominations. À plus long terme, écrivait récemment le constitutionnaliste influent David Cole, ancien directeur de l’American Civil Liberties Union, même si la Constitution peut nous protéger de présidences du type trumpien, c’est seulement quand « le peuple résiste » que les « checks and balances » fonctionnent. Beaucoup aujourd’hui sont pourtant ceux qui se demandent si cette vision n’est pas indûment optimiste. Après tout, Donald Trump a remporté le vote populaire. C’est en « toute connaissance de cause » que cette majorité l’a élu. Les guillemets s’imposent en effet au vu de la désinformation massive qui a marqué cette campagne.
Philippe Mottaz