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Almodóvar en format court et entre deux eaux

SPAIN Son court métrage et western gay, «Strange Way of Life», sort couplé avec un autre court, «La Voix humaine», et donne l’impression qu’une boucle de sa carrière se termine.

Comme une boucle qui se referme. La sortie dans une formule un peu différente que d’ordinaire de deux courts métrages signés par Almodóvar, «La Voix humaine» et «Strange Way of Life», suggère en tout cas cette impression. Antérieur au second film, «La Voix humaine» avait été dévoilé à la Mostra de Venise en 2020. Tiré d’une célèbre pièce de Cocteau déjà plusieurs fois adaptée, notamment par Rossellini, il met en scène une femme qui pleure d’avoir été abandonnée par son amant. C’est un écrin pour l’actrice Tilda Swinton qui l’incarne, mais visuellement, l’ensemble reste plutôt standard.

 «Strange Way of Life», de son côté, faisait partie cette année de la sélection cannoise et se présente comme un western gay, dans la lignée du «Secret de Brokeback Mountain» d’Ang Lee, qu’Almodóvar aurait d’ailleurs à l’origine dû réaliser. C’est une histoire de retrouvailles tardives entre deux cowboys. Deux hommes (Ethan Hawke, Pedro Pascal) qui se désirent, s’étreignent et s’aiment au cœur d’un lit promptement défait, et qui se remémorent leurs premières amours, résultante d’une bacchanale avec des femmes qui les avait paradoxalement rapprochés.

Tout cela est filmé chastement et avec luxe (le film est coproduit par la firme Saint Laurent, qui marque ainsi son entrée en cinéma), reproduisant une esthétique désuète mais carrée qui pouvait faire sens dans les années 80. Un peu moins aujourd’hui. L’ensemble a même l’air un peu daté, compassé, comme s’il s’agissait pour son auteur de cocher une case qu’il n’avait pas encore ouverte. Mais peut-on comparer ce film aux premiers courts du Madrilène, qui se fit connaître en abordant cette même thématique gay? Non, car ceux-ci demeurent invisibles. Voyons pourquoi.

Des films jamais montrés

Chantre dès les années 80 d’un cinéma queer qui commençait à peine à se libérer, marqué en Espagne du sceau d’un franquisme dont on venait tout juste de sortir, Pedro Almodóvar, 73 ans, aura d’abord surfé sur le mouvement de la Movida, qui symbolisait l’émergence et la renaissance de nouvelles générations actives dans le domaine culturel. Son but était alors de réaliser des films, par tous les moyens. Quitte à n’avoir justement aucun moyen. Dans les années 70, il bricole comme il peut avec une caméra Super 8. Se mêle de critique en écrivant dans des journaux ou en dessinant. Puis il réalise ses premiers courts métrages. Sans avoir un plan précis pour leur diffusion.

Alors il les montre dans des bars, lors de soirées, en mode muet, faisant parfois lui-même le son en direct. Ces courts métrages – il y en aura une douzaine – parlent de sexe, notamment. «La chute de Sodome», «Deux prostituées ou histoire d’amour qui finit en mariage», titres pris au hasard d’un début de filmographie abondante dans laquelle les thèmes des films qu’il signera plus tard, tel celui du désir masculin, semblent déjà se détacher. Mais tous ces films amateurs sont hélas invisibles. Almodóvar préfère lui-même qu’ils ne soient pas montrés ni même réédités, explique-t-il dans une interview d’un bonus DVD. Donc pas moyen de savoir quelles libertés ceux-ci reflétaient réellement.

Ce qui ne l’empêche pas de continuer et de gravir les échelons. Habitué à travailler avec une bouchée de pesetas, il réalise un premier long métrage totalement amateur et jamais montré, puis un vrai premier film, «Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier». Nous sommes en 1980, et cette année marque les débuts officiels d’un cinéaste moderne qui va avoir une très grande influence durant les trente prochaines années au moins.

Au départ, l’homme, sans doute habitué à créer dans l’urgence, tourne vite. Se succèdent «Le labyrinthe des passions», «Dans les ténèbres», «Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça?» «Matador» et «La loi du désir». Presque un titre par année. Les festivals commencent à s’intéresser à lui, ses films y sont sélectionnés, on les découvre dans le désordre. Et puis «La loi du désir» remporte le premier Teddy Award (qui récompense un film sur l’homosexualité) de la Berlinale, en 1987. Sa compagnie de production, El deseo («le désir»), s’est professionnalisée. C’est ainsi que le film se vend et sort dans les salles un peu partout. Le phénomène est désormais lancé.

Les heures de gloire

Il ne s’agit pas ici de retranscrire toute sa carrière, trop longue, trop riche, brassant des thèmes souvent récurrents tels que la féminité, la maternité, la culture LGBT, la paraphilie (terme qui regroupe des pratiques sexuelles différentes des actes prétendus normaux) et un goût pour le kitsch parfaitement assumé.

À partir de «Femmes au bord de la crise de nerfs», en 1988, Almodóvar fait partie de la cour des grands. Il lui est arrivé de commettre des faux pas, d’être confronté à l’échec, mais cela reste exceptionnel. La plupart de ses films seront désormais projetés dans des festivals et lui vaudront les louanges de la presse mondiale. «Attache-moi», «Talons aiguilles», «En chair et en os», «Tout sur ma mère», «Parle avec elle», «La mauvaise éducation», «Volver» ou «Douleur et gloire» sont quelques-uns des jalons d’une filmographie difficilement contournable.

Depuis la crise du Covid, il n’a signé qu’un long métrage, «Madres paralelas», loin d’être son meilleur. Pourra-t-il encore rebondir avec un autre projet fort? Après avoir abandonné l’adaptation de «A Manual for Cleaning Women», on le lui souhaite. D’autant plus qu’il a déclaré récemment au «JDD» qu’il caressait un projet de film à New York, puis un autre à Paris. On verra bien. Ou pas.

Pascal Gavillet

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