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Comment la création musicale se développe sur Twitch

COMPOSITION Originellement dédiée aux jeux vidéo, la plateforme de streaming est désormais investie par les musiciens et compositeurs, qui voient en elle un nouvel outil de création, de pédagogie et d’interaction.

Lancée en 2011 en tant que site de diffusion de jeux vidéo en direct, Twitch s’est ouverte à d’autres types de contenus depuis la fin des années 2010, avec notamment l’arrivée de musiciens sur la plateforme. Ces derniers ont investi le média pour offrir des concerts en direct, des séances de composition ou d’autres modèles hybrides tirant avantage de l’interactivité de la plateforme, rendue possible par un « tchat ».

Simon Delacroix, alias The Toxic Avenger, s’est lancé sur Twitch en 2017. Ce compositeur de musique électronique, déjà reconnu depuis une dizaine d’années dans le milieu, est venu sur la plateforme pour se confronter à son public : « C’était un défi personnel. Pour un musicien, il n’y a pas pire que de composer en face de centaines de personnes, qui peuvent répondre et dire ce qu’elles pensent. »

Du lundi au vendredi, il anime des séances de composition de plusieurs heures devant un public allant jusqu’à quelques milliers de personnes simultanément : « J’essaie d’être proche des gens qui me suivent et interagissent avec moi, j’aime leur parler », poursuit le « streamer », nom généralement donné aux créateurs sur la plateforme. « J’avais envie de désacraliser le travail du musicien en montrant que, parfois, ça ne marche pas. La création passe d’abord par l’échec. »

Cette relation de proximité, créée à la fois par la liberté de ton des streamers et par le temps long partagé avec les spectateurs, est l’un des points forts de Twitch. « La relation est bien plus horizontale que sur scène ou sur les réseaux sociaux, confirme Paul-Victor Vettes, alias PV NovaIl y a vraiment un échange et non une relation professeur-élève» Ce pionnier de YouTube a transposé ses contenus musicaux et pédagogiques sur la plateforme en plein essor fin 2020 : « J’avais une forme de lassitude de YouTube, je ne m’y reconnaissais plus et Twitch était en train de s’ouvrir à d’autres contenus. Comme YouTube il y a quinze ans, je retrouve ce bouillonnement créatif. »

« Les lives m’ont permis d’apprendre à improviser »

Sarah Coponat a également connu un bouleversement créatif depuis son arrivée sur Twitch en 2020. Cette pianiste de formation classique s’est d’abord lancée en jouant ses propres compositions et en répondant aux demandes de son public, comme font beaucoup de streamers : « Cela faisait un peu jukebox, explique-t-elle. On passait d’un style à l’autre sans trop de continuité, cela ne me convenait pas vraiment. »

La musicienne s’est ainsi décidée à ouvrir la porte à l’improvisation, afin de conserver une unité stylistique tout en se renouvelant : « Les lives m’ont permis d’apprendre à improviser. Avant, je composais dans ma chambre, ce n’était pas du tout un processus public. C’était difficile de le montrer au début, mais c’est ce qui est le plus naturel pour moi maintenant» Un choix payant pour cette créatrice qui compte désormais soixante mille followers sur Twitch, six albums et plusieurs dizaines de millions d’écoutes sur Spotify. Bien plus qu’un simple canal de diffusion, la plateforme se révèle être une vitrine pour les projets professionnels des artistes.

La diffusion de son processus créatif sur Twitch a poussé The Toxic Avenger à s’investir davantage dans ses expérimentations musicales : « Quand je suis seul, j’ai tendance à pianoter deux minutes et passer à autre chose. Là, je pousse la réflexion, car les gens posent des questions et je dois leur expliquer. Cela m’a aidé à ne pas abandonner une idée en cours de route, il faut avoir un résultat à la fin. »

Mais s’ils sont en relation quasi continue avec leur tchat, les créateurs n’en restent pas moins maîtres de leur contenu : « Quand je fais de la musique, l’interactivité est forcément limitée. Je suis aux manettes et je suis le seul à piloter, précise PV Nova. Je discute et je réagis, mais ce sont rarement les internautes qui donnent des idées. » Le compositeur a néanmoins développé une approche de son métier différente lorsqu’il est en direct : « Quand je suis tout seul, je vais passer par des phases bien moins divertissantes et être plus perfectionniste. Cela m’a appris à être plus efficace. »

Pour certains créateurs et créatrices, Twitch a été le vecteur d’un changement plus radical dans leur méthode, notamment quelques expérimentateurs qui tentent de faire « interagir le public avec la musique en tapant des mots-clés dans le tchat », affirme The Toxic Avenger. Les spectateurs peuvent ainsi avoir une influence sur la hauteur, la nuance ou encore le timbre de l’instrument selon l’instruction donnée et participer en direct à une œuvre. Néanmoins, cette méthode de composition collective reste peu explorée pour le moment.

Peu d’argent, mais des rencontres

Pour gagner en popularité sur Twitch, la règle d’or est la régularité. Mais si les utilisateurs peuvent soutenir leurs créateurs favoris grâce à un système d’abonnement payant, il reste difficile pour la plupart des artistes de subvenir à leurs besoins avec la seule aide du public. Avec six heures de diffusion par semaine, ce sont seulement deux cents euros qui tombent chaque mois dans les caisses de la société de PV Nova.

L’artiste a néanmoins reçu plusieurs commandes à la suite de ses lives : « Cela reste une vitrine qui peut apporter des appels à la composition. Par exemple, des créateurs de jeux vidéo ou de courts métrages ont vu que je pouvais faire de la musique à l’image. »

La plateforme est aussi l’occasion de rencontres artistiques entre streamers, voire avec le public. Des rencontres que Carl Catron, alias SaxDragon, a favorisées en créant un réseau de partage de communauté entre créateurs, The Cultural Exchange Raid Train.

Le principe est simple : à la fin du live d’un musicien, celui-ci renvoie son public vers un autre membre du réseau. « Cela permet de soutenir davantage les musiciens du monde entier qui ont un talent incroyable, mais qui ne reçoivent pas le soutien qu’ils devraient en raison de leur localisation », explique SaxDragon. En un peu plus d’un an, ce sont plus de trois cent cinquante artistes venant de cinquante-cinq pays qui ont rejoint la communauté.

Une initiative qui fait croître les audiences et favorise les rencontres entre musiciens géographiquement proches. Carl Catron, qui réside au nord de l’Italie, a d’ores et déjà prévu de se rendre à Sanary-sur-Mer (Var) cet été, afin de jouer avec Sarah Coponat.

Valentin Lévy-Chaudet (La lettre du Musicien)

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