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NOYAUZERONETWORK.ORG / GENEVA, SWITZ.
Afrique. Parce qu’à ses yeux il «salit l’image de l’armée», Kinshasa a refusé la diffusion du documentaire consacré au docteur Denis Mukwege qui répare les victimes de viols.

DOCTEUR M. Prévue à Kinshasa les 8 et 9 septembre, la diffusion du film de Thierry Michel et Colette BraeckmanL’Homme qui répare les femmes, La colère d’Hippocrate, n’aura pas lieu. Mercredi dernier, la République Démocratique du Congo a censuré ce documentaire consacré au combat du docteur gynécologue africain Denis Mukwege.

A l ‘Hôpital de Panzi qu’il a créé, dans le Sud-Kivu, le Docteur soigne et sauve depuis quinze ans les femmes victimes de viols et de « violences sexuelles commises avec extrême cruauté», parfois avec « empalement », et donc privées de toute possibilité de procréer.

Le ministre de  la Communication et porte-parole du gouvernement, Lambert Mende, a justifié cette interdiction : «Il y a une volonté manifeste de nuire, de salir l’image de notre armée et aucun pays au monde ne peut le tolérer. » Il parle de «calomnie» contre l’armée. « Nous connaissons des soldats qui sont morts dans les combats, nous ne pouvons pas accepter qu’ils soient accusés de viols »a-t-il expliqué à Jeune Afrique

«Une forme d’intimidation»

Le ministre accuse par ailleurs son réalisateur de faire mentir les personnes interrogées dans le film. Ce que Thierry Michel dément : « Il y a un malaise du gouvernement par rapport à la réalité du pays, a-t-il déclaré à Libération. C’est une forme d’intimidation. »

Le médecin dérange les autorités congolaises en dénonçant l’impunité face au traitement réservé à ces femmes. Et plus largement, pour reprendre ses termes, en montrant la «désagrégation de la société congolaise et de ses valeurs morales». Le film ne s’attache qu’àdécrire une réalité sinistre, qui reflète une société corrompue où les exactions commises par les factions armées restent impunies et passées sous silence.

Le viol comme «arme de guerre»

Lauréat du Prix Sakharov décerné par le Parlement européen l’année dernière, le Docteur Mukwege a été pressenti pour le Prix Nobel de la Paix cette année, après deux nominations en 2013 et 2014. Il est originaire de Bukavu, capitale du Sud-Kivu. En 1996, lors de la première guerre du Congo, il dirige l’hôpital de Lemera, théâtre d’un massacre sanglant où malades et membres du personnel médical sont froidement assassinés. Ni enquête ni condamnation ne suivront. D’après Thierry Michel, « c’est l’élément déclencheur du combat auquel va se livrer le docteur ».

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La République Démocratique du Congo est déchiré par vingt ans de conflit à l’Est, une des régions les plus pauvres de la planète, mais au sous-sol infiniment riche, où le viol est une « arme de guerre ». Le médecin se consacre dès le début de la guerre aux femmes violées. Ces violences ne relèvent, selon lui, nullement d’un désir sexuel, mais plutôt d’une volonté de détruire la famille et la communauté de la victime. Une minorité de coupables sont jugés.

Mais pour cela, ils doivent être dénoncés. Dans leurs témoignages, des femmes expliquent que celui qui dénonce est considéré comme encore plus criminel que celui qui a violé, ce qui encourage à rester dans le secret et l’isolement. Un autre habitant assure qu’il suffit de payer 100 dollars pour être libéré quand on a violé.

L’exil en Belgique, puis le retour du «Messie»

L’abnégation et le courage du médecin le projettent au-delà des frontières congolaises. En 2008, le docteur Mukwege fait une première allocution aux Nations Unies à New York. La chaise du représentant de la RDC reste vide. En 2012, il retourne au siège de l’organisation, mais le ministre de la Santé le dissuade de prendre la parole. Il le menace, le docteur renonce. A son retour en RDC, il échappe de peu à un assassinat, où périra son gardien et ami. Il s’exile alors en Belgique avec sa famille.

Au Kivu, les femmes se mobilisent pour demander son retour au pays. Il rentre en janvier 2013, conscient du risque qu’il encourt, malgré la protection permanente des Casques bleus de l’ONU. Son travail ne s’arrête pas aux soins médicaux. Il suit les femmes après les avoir « réparées ». Il quitte sa blouse blanche et dans les salles de classe, « les fait parler, tente de les réhabiliter et les réintégrer à la société », témoigne Thierry Michel. Son action a permis de soigner plus de 30 000 femmes depuis quinze ans. Elles l’appellent «le Messie», «gouverneur», «Papa». Beaucoup sont devenues des activistes au sein d’associations, où elles se battent pour que leur voix porte autant que celle des hommes.

En 2016 dans les salles en France

Ce documentaire est un voyage dans l’absurde et dans l’ignominie. Si depuis deux ans le nombre de victimes arrivant à l’hôpital a baissé, une nouvelle forme de viol apparaît: un viol banalisé, celui des enfants issus de viol, eux-mêmes devenant victimes. Des enfants de moins de cinq ans. Le documentaire montre des scènes cruelles de petites filles abattues qui ne connaîtront jamais ce que c’est qu’être une femme.

Après avoir été diffusé vendredi dernier au Cinquième festival International de Films de la Diaspora Africaine à Paris, et primé dans plusieurs festivals internationaux, L’Homme qui répare les Femmessortira en salles en 2016 en France. Avant cette date, le documentaire sera projeté le 1er octobre au centre Wallonie-Bruxelles à Paris, en présence du docteur Mukwege. Les Nations-Unies, l’Union Européenne, l’Organisation Internationale de la Francophonie et d’autres organisations de défense des droits humains comme Reporters Sans Frontières ont condamné la censure du film. Comme demande le docteur Mukwege : « Mais où sont les Hommes ? »

Clarisse Chick

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