Téhéran, nouvel eldorado pour les marques de luxe?

LUXE. L’accord trouvé au sujet du nucléaire iranien prévoit la levée des sanctions qui étouffent l’économie du pays depuis des années. Les marques de luxe internationales entendent conquérir les férus de mode à fort pouvoir d’achat.
Dans les rues de Téhéran, les panneaux publicitaires Rolex, Chopard ou Louis Vuitton parsèment la ville aux côtés d’enseignes plus mainstream mais tout aussi célèbres comme les géants Mango ou Zara. Les prix élevés n’arrêtent pas les Iraniens qui peuvent se permettre de courir les centres commerciaux à la déco clinquante et d’y faire des emplettes.
Mais pour le moment, peu de marques de luxe possèdent des boutiques directement installées en Iran. Les magasins qui distribuent ces produits de grandes marques ne travaillent pas avec les fournisseurs en question, les produits étant importés via la Turquie ou les pays du Golfe. De fait, le prix des produits s’en retrouve démultiplié. Pourtant, la très luxueuse enseigne de montres et de joaillerie italienne Bulgari compte bientôt s’implanter dans la capitale iranienne, comme elle l’a déjà fait dans d’autres villes du Moyen-Orient comme Dubai ou Abu Dhabi. Un choix judicieux, car sur près de 80 millions d’habitants, une partie des Iraniens dispose d’un fort pouvoir d’achat, et représente donc une clientèle potentielle pour ce type de marques. Jean-Christophe Babin, le PDG de Bulgari, a expliqué au journal The National qu’« il existe une large classe moyenne en Iran qui ne cesse d’augmenter ; et qui convoite particulièrement les produits de luxe. Le pays représente le prochain gros marché du Moyen-Orient ».
Pour Araz Fazeali, fondateur et rédacteur en chef du blog The Tehran Times, deux aspects se font face: « Le marché du grand luxe comme en Chine ou à Dubai, et le mass market/ fast fashion. Il y a beaucoup de personnes pauvres en Iran. Les riches iraniens veulent des produits luxe exclusifs, même si je ne pense pas que c’est ce dont ils ont besoin en priorité. Cette classe de population grandit néanmoins et les très riches en redemandent. Mais il se passe aussi une sorte de révolution contre le luxe avec les géants comme H&M et Mango ».La pression sociale est très forte en Iran; de fait, lorsque l’on a réussi, on le montre le plus possible, et on dépense parfois plus de la moitié de son salaire dans un sac de grande marque. « Ce qui va prendre du temps, c’est que les consommateurs fassent confiance aux marques de luxe qui s’implantent en dans le pays, car beaucoup entendent encore acheter du Prada uniquement en Italie, par exemple. Pour les grandes marques de luxe internationales, la stratégie marketing pour toucher le plus de monde, comme dans chaque pays, sera très différente en Iran ». Mais du point de vue d’Araz Fazaeni, « le luxe ne gagnera pas forcément la bataille » contre les géants de la fast-fashion. Une sorte de révolution du shopping qui s’instaure, durant laquelle les enseignes haut de gamme et « bas »de gamme veulent chacune leur part du gâteau.
Affirmation et émancipation
En raison de l’essor de la télévision câblée, de l’essor d’internet et des réseaux sociaux, une partie de la société iranienne souhaite elle aussi montrer qu’elle a réussi, à travers des marques connue de tous. Un bouleversement s’opère dans le pays par les marques de luxe venues de l’extérieur. Ce changement se fait aussi de l’intérieur : en février dernier a eu lieu la première fashion-week iranienne. Certes, les coupes des modèles présentés correspondent aux modèles « moralement imposés », mais les designers iraniens entendent eux aussi faire connaître leurs marques et conquérir le marché du prêt à porter haut de gamme. Malgré un dress code imposé, les Iraniennes s’en affranchissent et font preuve de créativité: « même si le dress code est toujours strict, les femmes iraniennes ont toujours été très sophistiquées. Ce qu’elles savent faire le mieux: être créatives au niveau de leurs foulards et accessoires ». Le blogueur insiste sur le fait qu’il ne pense pas que cela soit un acte de rébellion, mais que les iraniennes ont en fait toujours été très créatives.
Monétiser leurs propres marques grâce aux réseaux sociaux
Si pour le moment, le commerce en ligne en matière de mode n’est pas encore très développé, grâce aux réseaux sociaux et à Instagram, les lignes bougent. De façon plus indépendante, de plus en plus d’Iraniennes lancent leur business et leurs marques de mode en ligne. Les réseaux sociaux, Instagram particulièrement, sont une manière de monétiser ces marques émergentes.« Il y a eu un grand changement dans les deux camps. Une grande partie des Iraniens a compris qu’il y avait aussi du potentiel du côté de leurs propres designers ». On savait qu’il existe une scène artistique très développée en Iran, que ce soit en matière de cinéma ou de musique underground. Depuis des années, la société iranienne – surtout la jeunesse –, aspire à davantage de liberté et d’émancipation. « Depuis 1979, le lifestyle des Iraniens a été ignoré et méconnu par les Occidentaux. Maintenant, après 35 ans, les portes s’ouvrent. Nous souhaitons que les Iraniens soient fiers de leur culture, et puissent le montrer au reste du monde ». Seulement, les Occidentaux peuvent désormais constater le lifestyle des Iraniens, qui n’a d’ailleurs jamais changé, selon Fazaeni. C’est juste qu’avec les réseaux sociaux, ils sont totalement exposés. Les Occidentaux ont désormais compris le potentiel de l’Iran en terme de marché, et c’est pour cela que ces marques de luxe investissent ». Comme dans l’ensemble du moyen-orient, les réseaux sociaux ont une influence considérable sur le développement de la société.
La beauté aussi est un secteur prometteur: « Au delà des vêtements, les femmes aisées dépensent des fortunes dans les salons de beauté. A Téhéran, toutes les femmes qui le peuvent vont se faire coiffer ou se faire faire les ongles dans un salon au moins trois fois par semaine » raconte Fazaeli. La signature d’un compromis historique devant entraîner la levée des sanctions économiques devrait également avoir des effets sur l’augmentation du tourisme, et donc potentiellement sur le développement du marché du luxe.