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Risques. En 2015 les dangers liés aux volcans sont sous-estimés

MAGMA. Pour la première fois le GAR (Global Assessement Report on Disaster Risk Reduction 2015) inclut une section dédiée à l’activité volcanique.

Jean-Christophe Komorowski est physicien et volcanologue à l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP), il a amplement participé à la rédaction à ce rapport.

Pourquoi cela arrive-t-il aujourd’hui ?

Il y a deux raisons principales à cela. Pour bien comprendre la première, il faut distinguer les notions d’aléa et de risque. L’aléa volcanique est le phénomène dangereux ; le risque volcanique est l’impact que ces phénomènes peuvent avoir sur les populations et les infrastructures qui y sont exposées. Si l’activité volcanique globale de la Terre reste essentiellement constante à l’échelle de l’histoire de l’humanité, les risques volcaniques ont augmenté au cours des dernières décennies et continueront de le faire, du fait de la croissance démographique sans précédent que nous vivons et ce particulièrement dans les régions volcaniques et certaines de leurs villes parmi les plus peuplées du monde (Tokyo, Mexico, Manille, Naples…). De plus, la mondialisation de l’économie et du fonctionnement de la société favorise une extension de l’impact des éruptions, même de magnitude modeste, à une échelle régionale voire globale. Prenons l’exemple de l’éruption modérée du Eyjafjallajökul en Islande en avril 2010, qui a causé l’annulation de 100 000 vols et affecté 10 millions de passagers pour un coût total d’environ 5 milliards de dollars.

La deuxième raison tient au fait que la volcanologie est une science récente. La connaissance et la maturité des techniques de surveillance et d’analyse ont fait un saut considérable en vingt ans. Ce n’est que récemment que la communauté volcanologique s’est structurée pour développer des projets de synthèse et d’analyse des données de l’activité volcanique globale. Ainsi le Global Volcano Model est une plate-forme internationale collaborative qui s’est formée en 2011 dans le but d’intégrer et de diffuser les données sur les aléas volcaniques, les sites exposés et leur vulnérabilité afin de stimuler une mutualisation des stratégies de réduction des risques.

Comment expliquer que 800 millions de personnes de par le monde vivent à moins de 100 km d’un volcan alors que ces structures provoquent régulièrement des catastrophes de grande ampleur ?

Au cours des derniers siècles nous avons eu des éruptions volcaniques très destructrices (Nevado del Ruiz, Colombie, 1985 : 23 187 morts ; Montagne Pelée : 1902, 28 800 morts ; Krakatau, Indonésie, 1883 : 36 417 morts ; Tambora, Indonésie, 1815 : 60 000 morts ; Unzen Japon, 1792 : 14 524 morts). Mais à cause de leur faible taux de récurrence, ces événements s’évanouissent peu à peu dans la conscience collective au regard des bénéfices que procure l’activité volcanique sur le long terme car, paradoxalement, bien que source de mort et de destruction massive, les volcans sont aussi source de vie. Dans les régions volcaniques, le lessivage et l’altération des matériaux volcaniques apportent de nombreux éléments chimiques aux écosystèmes tels que le calcium, le potassium, le sodium, le phosphore, ou le soufre. Ces éléments rendent les sols de ces régions extrêmement fertiles (permettant en Indonésie jusqu’à trois récoltes de riz par an) et les eaux lacustres ou marines très poissonneuses. L’activité volcanique produit des territoires privilégiés pour l’occupation humaine (abris, baies, vallées, reliefs, îles), elle favorise la pluviométrie des régions montagneuses qu’elle engendre, constitue une source infinie de matériaux de construction et d’énergie géothermique, joue un rôle primordial dans la genèse des minerais et des métaux précieux et elle est à l’origine de sources thermo-minérales bénéfiques pour la santé. Enfin, l’activité volcanique et ses représentations symboliques ont contribué largement au développement culturel de l’humanité.

Le rapport dit que le risque lié aux éruptions volcaniques est fréquemment sous-estimé. Pourquoi ?

Les populations, les acteurs socio-économiques et politiques, les médias ne perçoivent pas de manière exhaustive et partagée la diversité des phénomènes volcaniques et de leurs impacts, le fait qu’ils se caractérisent par une grande variabilité spatiale et temporelle. Le nombre de morts engendrés par l’activité volcanique depuis 1600, de l’ordre de 280 000 personnes, reste assez bas par rapport au nombre de victimes engendrées par les autres catastrophes naturelles. Mais il faut savoir que la plupart des volcans alternent entre de longues périodes de repos éruptif et de courtes périodes d’activité intense où ils sont dangereux. Il faut donc, volcan par volcan, analyser les aléas et quantifier les risques. Or beaucoup de volcans potentiellement actifs ne sont pas connus ou mal connus – pour près de 40 % des volcans identifiés, la connaissance se base sur des informations n’ayant qu’un siècle. Et plus on remonte dans le temps, moins on a d’informations précises sur le passé éruptif d’un volcan. Par exemple, le volcan Sinabung est entré en éruption en Indonésie en 2010 alors qu’il avait été classé… comme un volcan endormi, ayant eu des éruptions dans les derniers 10 000 ans mais aucune activité historique documentée au cours des quatre derniers siècles. On sous-estime donc très largement le nombre d’éruptions, leur intensité et par conséquent les aléas potentiels.

Et qu’en est-il de notre connaissance des éruptions volcaniques extrêmes ?

Comme pour d’autres phénomènes naturels tels que séismes et cyclones, les événements de faible magnitude ou intensité sont beaucoup plus fréquents que les événements de magnitude et d’intensité extrêmes. On appelle cela une loi de fréquence-magnitude. Ces lois dépendent beaucoup de la qualité des catalogues d’événements et de la durée sur laquelle on a pu les construire. La faible complétude des catalogues d’éruptions extrêmes anciennes doit nous alerter sur l’existence d’événements extrêmes non identifiés, ce qui change évidemment la loi de fréquence-magnitude. Sur l’échelle de magnitude des éruptions qui comporte huit degrés, une éruption de magnitude 7 – comme celle du Tambora en 1815 en Indonésie, dont on fête le 10 avril le bicentenaire – est dix fois plus puissante qu’une éruption de magnitude 6 – comme celle du Pinatubo aux Philippines en 1991. Les données actuelles indiquent au moins six éruptions de magnitude 7 en 10 000 ans. Cependant, en 2013, on a découvert que le volcan Samalas en Indonésie avait eu en 1257 une éruption de magnitude 7, inconnue auparavant. Avec l’éruption du Tambora, ce sont donc deux éruptions de magnitude 7 qui ont affecté la même région en moins de 1 000 ans. Les temps de retour de ces éruptions sont donc probablement plus courts que ce qui est admis actuellement. Alors que le monde n’a pas vécu une telle éruption depuis l’avènement de la volcanologie moderne, il est donc impératif d’élargir nos connaissances sur la dynamique de ces éruptions extrêmes, mieux quantifier leur probabilité d’occurrence et mieux modéliser leurs impacts potentiellement dévastateurs à l’échelle régionale voire globale, afin d’intégrer ces données dans les stratégies de réduction des risques pour l’humanité.

Quelles sont les régions du monde les plus exposées ?

Le rapport du GAR15 sur l’activité volcanique mondiale a élaboré deux indices complémentaires qui déterminent chacun à sa manière la vulnérabilité d’un pays ou d’une région aux risques volcaniques. La mesure 1 prend en compte le nombre de volcans actifs de la région, une estimation de la population exposée à 30 km de distance et l’index d’aléa volcanique moyen des volcans du pays ou de la région. Selon cette mesure , les cinq pays les plus menacés par le risque volcanique de manière générale sont, dans l’ordre, l’Indonésie, les Philippines, le Japon, le Mexique et l’Ethiopie. L’Italie, pays le plus menacé en Europe, est huitième. A elle seule, compte tenu du nombre de volcans, de leur dangerosité et de sa démographie, l’Indonésie représente 66 % de la menace volcanique globale contre près de 11 % pour les Philippines.

Cependant la mesure 1 peut minimiser le risque pour certains pays et régions dont la proportion de la population exposée aux risques volcaniques est très importante, ce qui est notamment le cas pour les petits états insulaires. La mesure 2 représente la valeur de la menace volcanique en fonction de la proportion totale de la population exposée jusqu’à 30 km du volcan. Selon cette mesure, les cinq sites les plus menacés sont tous dans les Petites Antilles : Montserrat (Royaume-Uni), St Vincent et les Grenadines, Guadeloupe et Martinique (France), St Kitts-et-Nevis et, enfin, la Dominique. Si la région du Sud-Est asiatique (Indonésie, Philippines, Japon) représente près de 84 % de la menace volcanique globale, la région des Petites Antilles est la plus menacée proportionnellement car elle comporte de nombreux Etats insulaires à forte démographie, dont la population est en grande partie voire complètement exposée aux impacts de l’activité volcanique.

Comment améliorer la recherche scientifique sur le sujet, la prévention des éruptions et les systèmes d’alerte ?

Le nombre de morts engendrés par les éruptions volcaniques importantes a diminué de manière significative depuis deux décennies, ce qui montre que les progrès de la science et de la surveillance ont un impact sur la gestion et la réduction des risques volcaniques. Cependant, seulement 40 % des volcans actifs au cours des dix derniers millénaires sont surveillés par un observatoire et font l’objet d’une analyse quantitative des risques. Les défis sont énormes en particulier pour ce qui concerne les volcans actifs menaçant de grandes métropoles et les volcans n’ayant pas eu d’éruption importante depuis longtemps.

Il nous faut renforcer les synergies internationales et interdisciplinaires entre géosciences, sciences humaines, sciences de l’ingénieur et de la décision. Il est tout aussi primordial de renforcer les capacités et le rôle des observatoires volcanologiques et des institutions nationales qui leurs sont associées pour faire face à une éruption et mettre en place des mesures de prévention. Les défis sont considérables pour faire progresser l’état de l’art dans les domaines de la compréhension et de la simulation des processus éruptifs, de la surveillance volcanologique, de la reconstruction du passé éruptif des volcans dangereux, de l’analyse quantitative des aléas, de l’élaboration d’outils probabilistes d’aide à la décision et de l’évaluation des vulnérabilités sociales, structurelles et environnementales. Cette approche doit permettre un changement de paradigme : passer d’une culture de réparation et de déni du risque volcanique à une culture assumée de prévention qui soit cohérente avec les autres enjeux de développement durable auxquels l’humanité doit faire face. (Le Monde)

www.sneezz.info/gar.pdf

 

 

 

 

 

 

 

http://www.preventionweb.net/english/hyogo/gar/2015/en/home/index.html