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NOYAUZERONETWORK.ORG / GENEVA, SWITZ.
HSBC. Les origines de SwissLeaks racontées par celui par qui le scandale est arrivé

DEEP POCKET. Le siège de la filiale de la HSBC Private Bank de Genève a fait l’objet de perquisitions ce mercredi 18 février 2015 après l’ouverture d’une enquête par la justice suisse pour « blanchiment d’argent aggravé ».

En début de semaine on apprenait que des juges français avaient terminé des investigations en amont d’un possible procès pour cette filiale genevoise de HSBC. La justice française veut savoir si la banque a entre autres démarché des clients pour leur proposer entre 2006 et 2007 des moyens d’échapper au fisc.

À l’origine de cette tempête sur HSBC, l’un de ses anciens employés, Hervé Falciani que VICE News a interrogé, une semaine après le lancement de « SwissLeaks », une enquête menée par plusieurs médias internationaux qui ont mis à jour les rouages d’un système d’évasion fiscale au sein de cette branche suisse d’HSBC, en analysant une base de données apportée au journal français Le Monde. Cette enquête démarre avec d’autres documents donnés par Hervé Falciani à la justice française, il y a plusieurs années.

Dimanche, la HSBC présentait dans les journaux britanniques « ses excuses les plus sincères ». La Grande-Bretagne est particulièrement touchée par les révélations des SwissLeaks, non seulement parce que c’est là que se trouve le siège de HSBC , mais aussi parce que Stephen Green, son directeur au moment des activités révélées par les SwissLeaks a été secrétaire d’État au Commerce dans le gouvernement de David Cameron.

La semaine passée, toujours au Royaume Uni, c’est une branche de l’administration britannique qui était éclaboussée par le scandale, le HM Revenue and Customs (HMRC), chargé entre autres de la perception des taxes ou de la gestion du National Minimum Wage. Falciani aurait envoyé en 2008 un email avertissant le HMRC qu’il avait en sa possession une liste d’évadés fiscaux. La HMRC a déclaré dans un premier temps ne pas avoir de trace de cet email, mais le journal Le Monde, à l’origine de l’enquête des SwissLeaks a fait parvenir cet email à la BBC qui l’a publié vendredi 13 février.

Dans cette affaire tentaculaire, on en revient toujours à celui qui a permis l’enquête : Hervé Falciani informaticien à la HSBC Private Bank de Genève de 2001 à 2008. Ce Franco-Italien de 42 ans a remis les données de milliers de clients d’HSBC Private Bank au fisc français en décembre 2008, alors qu’il est recherché par la justice suisse pour avoir volé des fichiers.

Réagissant au lancement d’une enquête par la Suisse visant HSBC, Hervé Falciani a annoncé mercredi soir à la télévision Suisse RTS qu’il était prêt à collaborer avec la justice Suisse et à se rendre dans le pays à condition d’avoir un « sauf-conduit ».

Quant à ses motivations, les versions s’affrontent. Dans un portrait dressé par le journal Le Monde, Falciani apparaît comme un « opportuniste, » qui a ensuite opté pour une position de lanceur d’alerte à la Edouard Snowden. Il aurait ainsi essayé dans un premier temps de vendre les documents en sa possession, pour ensuite choisir de collaborer avec le fisc, une version soutenue par de nombreuses sources du Monde. Lors de notre entretien, Falciani a tenu sa ligne, à savoir n’avoir jamais proposé de vendre les données, même pour se couvrir lorsqu’il voulait lancer l’alerte. Il explique avoir voulu les mettre en sécurité pour les tenir à la disposition des justices des pays concernés par la fraude fiscale.

C’est depuis Rome, via Skype, dans un appartement non identifié, qu’Hervé Falciani nous a raconté sa version des débuts de ce qui allait devenir SwissLeaks.

VICE News : Commençons par le plus récent, ce mail à la HMRC le 18 mars 2008. Vous confirmez l’avoir envoyé ?

Hervé Falciani : Oui, oui. J’attendais, après ce mail, au minimum une prise de contact. Suite à ce mail, je vais prendre l’initiative de téléphoner, je vais tomber sur des personnes, des hotlines dédiées à ça en Angleterre. Et alors là, ça va être un passage de personne en personne, l’incompréhension, voire le désintérêt pour le sujet. Si l’affaire reste d’actualité, alors le [HMRC] va probablement revenir vers moi. Ils vont relancer des enquêtes, et on va aller plus loin. Il faut que les enquêteurs anglais collaborent avec les français, les espagnols, les belges, qu’ils mettent en commun les données des uns avec les autres, et alors là de belles choses vont arriver.

Ce que l’on verra à long terme c’est que j’ai contacté un certain nombre d’entités étrangères, travaillé avec un certain nombre d’entre elles. Les obstructions n’ont cessé d’arriver, on a dû, moi en premier lieu évidemment, passer à travers un véritable parcours du combattant. Ce qui est assez surprenant, mais c’est organisé ainsi, c’est que les principaux intéressés sont souvent ceux qui ont le plus de difficulté à travailler [sur le sujet de la fraude fiscale]. J’ai observé des manquements au niveau d’une banque, j’ai eu tout le temps ensuite d’observer les manquements au niveau des administrations, et je pense que ce sera l’un des prochains livres qu’il faudra faire, un des prochains témoignages qu’il faudra laisser de façon factuelle, documenter tous ces manquements.

Il y a quelques jours la HSBC a présenté des excuses sur ces activités de l’époque qui sont aujourd’hui dans le viseur médiatique. Qu’est ce que cela vous a fait ?

Moi, je sais que je serai condamné, mais je n’aurai jamais besoin de présenter mes excuses. Je n’aurai jamais ni fait de mal à la communauté, ni blessé personne qui ne se soit mis dans une situation qu’il a lui même choisie. Ça me fait plaisir que… Finalement, eh bah oui : il y a quand même des gens dignes. Ça montre aussi que, malgré tout, on ne peut pas faire de généralités. Dans la banque, dans les banques, il n’y a pas uniformité. Ce n’est pas tout mauvais ou tout bon. Dans la banque il y en a qui — et je suis sûr que ça n’a pas été simple — ont réussi à convaincre les autres qu’à un moment donné il fallait peut-être accepter que certains ont menti et que c’était le moment justement de tendre la perche pour que — peut-être — on arrive à faire avancer les choses dans l’intérêt général. La partie adverse a fait volte-face. Au début elle disait « Non, Monsieur Falciani n’a rien. Cette personne ce n’est que des mensonges, ce n’est que de la mythomanie. » Aujourd’hui les choses sont un peu différentes, ils font moins les malins.

Et pour ce qui est des accusations dont vous êtes la cible, disant que vous avez voulu vendre les documents ?

On va montrer en détail qui — une fois de plus — a menti. Et comme vous le verrez, les premiers à avoir menti et les derniers, ce sera la banque. Et ça servira aussi alors — de mon vivant j’espère — à montrer la belle bande d’enfoirés qu’ils sont quand même.

Revenons à vos débuts dans la banque. Avant SwissLeaks. Vous entrez chez HSBC en 2001, à Monaco. Qu’y faisiez-vous ?

Quand je rejoins Monaco, c’est pour participer à la création en fait d’un pôle de recherche et de développement. Ils ont de gros problèmes avec leurs outils informatiques…Pour ne pas dire plus. Il y a des fraudes qui vont être avérées, au moment où je commence à travailler avec eux. À l’époque une grosse affaire de détournement d’argent où l’on retrouve des célébrités. Ça, c’est en 2001. On essaie donc de faire en sorte que ce genre de fraudes ne se reproduise plus. Et, ce qui est assez particulier, c’est que le système, l’essentiel du système informatique utilisé par les banquiers, eh bien en fait… Disons qu’il est plus qu’archaïque. Il est plus que problématique. Il permet qu’avec la plus simple des opérations bancaires — qu’on appelle un virement de compte à compte — eh bien qu’avec cette opération un gestionnaire puisse arnaquer ses clients. Ce qui est quand même plutôt fâcheux.

Quelle solution proposez-vous ?

Je commence ma première mission, en essayant de trouver une alternative à cette situation. C’est ce qu’on va faire sur quelques mois. On va développer ce que l’on appelle un « workflow ». Un système qui permet brièvement de pouvoir suivre un peu tout ce qu’il se passe dans la banque. Cela permet de laisser une trace des opérations qu’effectuent les gestionnaires, entre autres. Cela garde aussi une trace de toutes les personnes impliquées dans l’opération bancaire. Suite à ça, moi et mes collaborateurs, la directrice des opérations, le directeur financier, on se fait remarquer pour cette mission par Genève. Donc par la direction du groupe [HSBC] Private Bank. Et c’est ce qui va faire que dès la fin 2001, début 2002, je vais commencer à devenir partie prenante dans un certain nombre de projets. Les projets les plus sensibles de la banque. Non plus au niveau local de Monaco. Mais au niveau mondial sur Genève.

Qu’est ce que cette « Private Bank », cette filiale d’HSBC ?

C’est assez particulier. Ça n’a rien à voir avec la banque de quartier telle que vous la connaissez. La Private Bank c’est une banque qui est dédiée aux clients qui ont un profil international, qui ne sont pas localement basés à un endroit ou à un autre. C’est une banque basée sur une communication, sur un réseau d’autres banques. C’est une banque qui existe par son réseau de filiales, de partenaires bancaires répartis un peu partout autour du monde. Voilà comment je me retrouve à travailler de plus en plus sur Genève. Et je vais passer par différents « sujets », différents projets dits « stratégiques ». Je vais donc apprendre un peu toutes les ficelles de la banque. Mon travail là-bas ne présentait pas de différence substantielle avec celui de Monaco, c’était plus ou moins la même chose. À savoir, faire évoluer le système informatique, qui est le coeur d’une banque aujourd’hui.

Comment ces fameux « listings » arrivent entre vos mains ?

Bon.Je n’ai pas trébuché sur ces listings. Il ne s’agit pas vraiment de listings. En fait c’est très loin de ce qu’on peut imaginer, ça n’a rien à voir avec une feuille Excel. Il faut préciser que lorsque je suis à Monaco, je travaille donc sur le coeur du système. J’essaie de pallier une fraude avérée. On y travaille, on met en place un système. Quand on arrive à Genève…Il était logique d’espérer que le même système qui avait produit des méfaits à Monaco puisse être changé à Genève. Donc moi et d’autres, on est trois, quand on va à Genève, on y va avec l’ambition de continuer, ou au moins de reproduire ce qu’on avait initié à Monaco. Et c’est exactement ce qui ne va pas se passer.

Pourquoi ?

Avec d’autres architectes logiciels, avec d’autres experts, on va réaliser progressivement qu’il y a un gros problème. On va très rapidement suspecter qu’en fait la direction opérationnelle, c’est-à-dire les gestionnaires, n’ont vraiment pas envie que le système soit fiable, qu’il soit contrôlé. Maintenant on comprend mieux pourquoi. On comprend mieux pourquoi des gens n’avaient pas envie que le système soit efficient. Ce que l’on va faire c’est chercher à récupérer les informations qui sont celles habituellement requises pour un audit interne. Moi-même, je n’avais aucun accès privilégié au système. Comme il fallait des quantités très conséquentes de données, eh bien on va prendre à chaque fois les références des systèmes informatiques les plus importants, que l’on connaît, les uns et les autres. Et pendant des mois on va donc extraire de la banque des éléments qui vont se retrouver sur un cloud. Sur un Internet sécurisé, si vous voulez. Je vais, à mesure que ces données s’agglutinent, m’assurer qu’il y a vraiment tout ce dont on a besoin : les comtes, les adresses, les sociétés offshores, les historiques des transactions. Bref, tout ce qui pouvait, et qui permettra par la suite de comprendre ce à quoi se livre la banque. Les listings c’est quand on veut extraire une partie spécifique, spécialisée des données. C’est lorsque l’on veut en avoir un aperçu.

Ce que vous nous dites c’est que votre motivation première, c’est de prévenir les fraudes ? C’est ça ?

Bon, moi, il faut comprendre… Je vous ai expliqué ce qu’était la banque privée, la banque offshore, la banque de réseau. Si on revient un peu plus en arrière : j’ai grandi avec la banque privée, mais dans un mode local. Ça veut dire que c’est une banque comme celle que vous avez en tête, une banque dans le quartier, avec des gens qui tournent autour d’elle. Des gens qui vont retirer, déposer dans cette banque. Une banque assez conventionnelle, même si dédiée à des personnes très aisées, voir riches, parce que l’on était à Monaco. C’était beaucoup de retraités. Voilà. Ça, c’est la banque que j’ai appris à connaître en grandissant, par mon père qui travaillait dans cet environnement-là. Déjà à Monaco [chez HSBC], puis à Genève, je passe à autre chose. La banque de réseau, la banque offshore. Je vais réaliser qu’il y a bien de plus gros risques que ceux qu’on peut connaître dans une banque de quartier. Tout ça se retrouve démultiplié.

Qu’est ce que vous vous dites quand vous vous retrouvez avec ces documents ?

On va les mettre en sécurité pour la justice, pour les justices [de différents pays]. On est face à un dilemme. On a des données très sensibles. Si on s’adresse à une seule personne, et que l’on tombe sur la mauvaise, cette personne peut très bien nous faire disparaître. Donc ce que l’on va faire, c’est qu’on va procéder dès le début sur plusieurs canaux. Ça va être l’essentiel de ma tache pendant plusieurs mois. Je vais aller contacter des avocats, différents services de renseignement, différents services de lutte contre la fraude en France. Il faut qu’en même temps suffisamment de personnes aient les informations pour que personne ne puisse les bloquer ou même ne puisse nous éliminer sans risques. On va initier une série de contacts pendant une semaine, des liens poursuivis ensuite pendant des mois, au Liban [NDLR, en 2008]. C’est le premier endroit où l’on va laisser des traces. Je vais faire aussi en sorte que l’on ne puisse pas falsifier les documents, assurer leur intégrité en dupliquant les sauvegardes.

Vous dites souvent « on » pour expliquer votre travail sur ces données jusqu’à aujourd’hui. Qui est « on » ?

J’ai toujours fait partie d’une équipe. Il y en a eu de nombreuses. On est souvent seul devant ses choix, ses responsabilités, mais quoi que j’ai pu avoir à faire, ça s’est toujours fait en équipe. On a fait de belles choses en équipe. Ce sont des gens comme vous et moi. Des fonctionnaires, des gendarmes, des gens de la justice, des chercheurs, des universitaires, des anonymes…

Fin 2008, vous partez finalement en France pour remettre les données puis collaborer avec le fisc français pour leur exploitation.

Une fois lancée l’alerte au Liban, je vais assurer des contacts complémentaires avec d’autres services. J’avais en balance deux possibilités. J’avais la possibilité de rentrer en Allemagne ou en France. L’Allemagne, ça m’aurait destiné à perdre le contrôle de l’affaire, j’aurai passé la main. Je vais donc me rendre en France où les contacts étaient déjà établis, avancés, et où je sais que je vais pouvoir aider. Il restait un certain nombre de questions en suspens, mais il va s’avérer que ce choix a été assez judicieux malgré tout.

Cette collaboration avec la France prend fin en 2009. Depuis, vous êtes allé en Espagne notamment, où vous travaillez désormais avec le courant politique espagnolPodemos, avec qui vous préparez un programme, une série de mesures pour les premiers jours d’un gouvernement élu. Aujourd’hui quel est votre métier ?

Je suis au chômage, depuis quelques mois. L’essentiel des gens avec qui je travaille et avec qui j’ai travaillé vient de la communauté civile. Des ONGs, des politiques. Disons que dès qu’ils s’intéressent à la fraude, et à toutes les questions de fiscalité, évidemment on me contacte. Il faut observer que, concrètement, il y a très peu, très très peu d’hommes politiques qui s’intéressent à la mauvaise finance. Même les gens les plus audacieux avec lesquels je travaille, en Espagne et ailleurs, savent que nous marchons sur des oeufs. L’intérêt de la mauvaise finance c’est de faire croire qu’il n’y a qu’elle qui existe, donc que l’on doit faire avec, ou alors on perd tout. La difficulté c’est de ne pas effrayer la bonne activité, la bonne finance, les concitoyens qui eux aussi sont souvent dans la crainte. Il n’y a pas grand monde qui ose aller dans le sujet, parce que premièrement c’est assez compliqué, et deuxièmement par peur de ne pas être suivi par les citoyens.

Ce qu’on fait avec Podemos c’est un peu un appel du pied pour dire « Messieurs, regardez, il y a vraiment de quoi faire, on a vraiment des solutions. » On est en train de monter un programme avec des partenaires européens. Sur un plan plus personnel, je veux reprendre un travail dans le domaine des mathématiques appliquées. Je n’ai jamais pu me résoudre à abandonner le combat contre HSBC, mais bon vous savez, j’ai connu d’autres périodes de difficultés professionnelles, je deviens plus qu’habitué maintenant. Je n’ai pas peur, je souffre. Je souffre par mes proches, mais je n’ai aucune forme de peur. Ou sinon je n’y arriverai pas. [Si j’avais eu peur] ça n’aurait même pas été envisageable depuis le début.

Dans différents médias la semaine dernière vous avez annoncé des révélations encore à venir, tout aussi importantes.

Je sais exactement quels documents ont été utilisés et ce qui reste à partager avec vous, les citoyens, pas seulement les médias. HSBC ne travaille pas seule, même si c’est un colosse avec le plus grand intranet au monde, elle ne travaille pas seule. Elle travaille avec plusieurs autres banques. Si on regarde les informations dont dispose la justice, les transactions qui y figurent, c’est-à-dire les échanges financiers qui s’effectuent entre les banques : vous avez au départ la HSBC et puis autour des centaines d’autres banques avec lesquelles la HSBC a travaillé. Ça veut dire que progressivement, quand on va prendre la mesure de ce fait, eh bien évidemment vous allez apprendre à connaître d’autres banques. (Vice News)

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