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NOYAUZERONETWORK.ORG / GENEVA, SWITZ.
Fraude. HSBC, histoire d’eau et d’opium

SWISSLEAK. Lundi 9 février 2015. Fraude massive à HSBC : 180,6 milliards d’euros auraient transité frauduleusement via la banque à Genève entre 2006 à 2007, dévoilaient dimanche soir Le Monde et cinquante-cinq médias internationaux.

Une enquête de plusieurs mois baptisée « Swissleaks » par le consortium de journalistes qui l’a menée. En 2010, Jean-Louis Conne racontait l’histoire interlope des origines de l’établissement financier.

Quatre lettres trônent au pinacle de l’actualité depuis qu’un ancien cadre de cette célèbre banque a remis au fisc français une liste de clients soupçonnés de fraude : HSBC. Mais que recouvrent-elles ? Au mieux parle-t-on ici et là de « banque britannique ». En fait, HSBC est l’abréviation de Hongkong & Shanghai Banking Corporation. L’histoire de cette entreprise de compradores en Chine, désormais l’un des plus grands groupes bancaires du monde, et dont le siège londonien surplombe la Tamise, commence par une histoire d’eau mais aussi d’opium (1).

Au début du XIXe siècle naît à Londres, capitale de l’Empire colonial britannique, la Peninsular and Oriental Steam Navigation Company (P & O, Compagnie péninsulaire et orientale de navigation à vapeur) (2). Son premier cargo à voile et à vapeur, le San Juan, quitte les quais de Londres le 1er septembre 1837 pour aller s’échouer sur des hauts-fonds. D’autres navires de la compagnie sombreront, parmi lesquels leCarnatic, dont l’épave a été retrouvée sur les récifs d’Abou Nawas.

Mais la compagnie survivra aux coups du sort. En 1839, P & O remporte des contrats pour le transport de courrier vers Alexandrie (Egypte), via Gibraltar et Malte. Après avoir fusionné avec la Transatlantic Steamship Company (Compagnie transatlantique de paquebots à vapeur), elle invente, dès 1844, ce que l’on pourrait appeler les premières croisières de luxe en Méditerranée. Dix ans plus tard, elle lie son destin à celui de la British India Steam Navigation Company (BI, Compagnie de navigation à vapeur des Indes britanniques), dont les navires transportent du courrier entre Calcutta (Inde) et Rangoun (Birmanie). Son propriétaire, un administrateur colonial écossais, James Mackay, deviendra président de P & O, laquelle absorbera finalement BI.

Mackay entretient lui-même des rapports étroits avec Sheng Xuanhai, ministre des transports de la Chine sous la dynastie Qing (mandchoue), la dernière à régner, jusqu’à l’abolition du gouvernement impérial en janvier 1912. Favorable à l’introduction de la technologie occidentale en dépit des tensions politico-militaires, Sheng s’en fait l’avocat notamment à Shanghaï, où il fonde l’université Jiao Tong, orientée vers la mécanique, l’ingénierie et les équipements militaires, puis à Hongkong. Jouant un rôle important dans la réforme de l’enseignement à Shanghaï, il promeut alors cette ville comme la plus technologique de Chine. En 1902, Sheng et Mackay concluent, au nom de la Chine et du Royaume-Uni, le traité dit « Mackay Treaty » portant sur la protection des marques et brevets.

C’est dans ce contexte qu’un autre Ecossais, Thomas Sutherland, rejoint P & O. Il fait carrière dans la société, collabore à la construction de quais à Hongkong et devient le superintendant de P & O, mais aussi le premier président de Hongkong & Whampoa Dock, en 1863. A l’époque, 70 % du fret maritime concerne l’opium venu des Indes et vendu aux Chinois par les affairistes britanniques et autres, au grand dam des autorités chinoises, qui tentent — en vain — de s’y opposer.

Sutherland l’a compris : la configuration est idéale pour le développement d’une banque commerciale. Avec d’autres, il fonde en 1865 Hongkong & Shanghai Banking Corporation, la fameuse HSBC. Au conseil d’administration, présidé par Francis Chomley, figure également la société commerciale Dent & Co, du nom de son créateur Thomas Dent. Un personnage. En 1839, le haut fonctionnaire chinois Lin Zexu, reconnu pour ses compétences et sa tenue morale, avait lancé contre lui un mandat d’arrêt afin de le contraindre à abandonner ses entrepôts d’opium, qui violaient la prohibition décrétée par les autorités chinoises. Ce fut l’un des éléments déclencheurs de la première guerre de l’opium, conclue en août 1842 par le premier « traité inégal », celui de Nankin. Au terme de la seconde guerre de l’opium (1856-1860), les puissances britanniques et françaises imposeront la création de concessions territoriales sous administration étrangère, l’ouverture de plusieurs ports chinois au commerce étranger et la légalisation du négoce de l’opium. Le conflit est achevé depuis cinq ans lorsque Sutherland crée HSBC. La banque porte bien son nom, certains de ces caractères signifiant en chinois « rassembler », « récolte », « richesse ».

Ce nom qui fait chanter l’argent

Ses premières richesses, HSBC les rassemble en effet grâce aux récoltes d’opium des Indes, puis du Yunnan chinois. Dès 1920, des succursales s’installent à Bangkok et Manille. Après 1949, la banque concentre ses activités sur Hongkong puis, entre 1980 et 1997, s’installe aux Etats-Unis et en Europe. Elle ne déplacera son siège social de Hongkong à Londres qu’en 1993, avant la rétrocession du territoire à la République populaire de Chine annoncée pour 1997.

En 1999, les actions de HSBC Holdings ont été cotées sur une troisième place boursière, à New York. Le groupe a acquis Republic New York Corporation (aujourd’hui intégrée dans HSBC USA Inc.) ainsi que sa société sœur Safra Republic Holdings SA, aujourd’hui HSBC Republic Holdings SA (Luxembourg). En 2007, le groupe a enregistré un résultat record avant impôt de 24 milliards de dollars, dont 60 % en provenance des marchés émergents d’Asie, du Proche-Orient et d’Amérique latine. Pour la première fois, les profits accumulés en Chine ont atteint 1 milliard de dollars cette même année. Autant en France.

M. Stephen Green dirige, depuis mars 2006, HSBC Holdings, comme président-directeur général. Et, depuis février 2008, M. Vincent H.C. Cheng en est le directeur exécutif. Une arrivée d’autant plus remarquée que M. Cheng fut membre du Conseil exécutif de Hongkong, la plus haute autorité législative du gouvernement de 1995 à 1997, mais aussi du Comité national de la XIe Conférence politique consultative (3) de la République populaire de Chine…

Jean-Louis Conne Journaliste, auteur de La Crise tibétaine, Mondialis, Bex (Suisse), 2009.