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NOYAUZERONETWORK.ORG / GENEVA, SWITZ.
En Grèce, des lois inquiétantes contre la liberté de la presse

ETAT DE DROIT Dans un contexte de tension permanente liée au sujet des migrants, le gouvernement grec s’en prend à la liberté d’expression et intimide les journalistes.

«Grèce : la liberté de la presse de plus en plus assiégée», c’est l’intitulé du communiqué publié ce mardi 7 décembre par la Fédération internationale des journalistes. Elle y dénonce une loi sur les fake news votée le mois dernier par le parlement grec, ainsi que les conditions de travail des journalistes ou une forme de harcèlement envers ceux dont les articles dérangent le pouvoir.

Stavros Malichudis est de ceux-là : il découvre le 14 novembre qu’il a été espionné par les services secrets grecs (EYP) en parcourant EfSyn (le Journal des rédacteurs). Dans son enquête, accompagnée de copies de rapports d’EYP, le journaliste Dimitris Terzis démontre que des citoyens sont mis sous surveillance. «J’épluchais les dernières nouvelles en prenant mon café quand je suis tombé sur cette révélation. En lisant l’histoire, j’ai compris qu’en réalité, j’étais le journaliste évoqué dans les documents d’EYP», explique Stavros Malichudis à Libération. Ce qui lui permet de se reconnaître, c’est que les documents d’EYP évoquent un jeune journaliste enquêtant sur l’île de Kos, à quelques kilomètres de la Turquie, sur Jamal, un jeune migrant syrien passionné dont un dessin a été exposé au Mucem de Marseille avant de se retrouver en une du Monde.

«Avoir les informations à l’avance»

«En quoi l’histoire d’un adolescent de douze ans pourrait-elle menacer la sécurité nationale ?» s’interroge le journaliste qui a étudié à l’Université Panteion d’Athènes, et pige aujourd’hui pour divers médias, dont la BBC et le site Solomon. «Je ne peux émettre que des suppositions. Peut-être que d’autres que moi sont aussi espionnés ? Est-ce parce que mes recherches portent sur les migrations ?» Le sujet est sensible pour le gouvernement grec, qui a durci depuis 2019 sa politique migratoire, et est régulièrement critiqué par des ONG. Il est aussi une source de divergence entre la Grèce, porte d’entrée dans l’Union européenne, et la Turquie voisine, par où passent les migrants qui rêvent d’Europe. Des journalistes qui veulent rester anonymes émettent une hypothèse : «Le gouvernement cherche sans doute à avoir à l’avance les informations qui seront publiées afin de préparer sa réponse. D’ailleurs, au lendemain de la nomination de Kyriákos Mitsotákis à la tête du gouvernement [dirigé par le parti conservateur Nouvelle démocratie, ndlr], les services secrets ont été rattachés directement au bureau du Premier ministre.»

«Pour la première fois, des documents écrits prouvent que l’EYP espionne des gens ordinaires, souligne Dimitris Terzis. Un avocat, un journaliste ou encore un fonctionnaire qui travaille sur les questions des droits de l’homme.» Alors que le gouvernement a toujours éludé la question, face aux journalistes et à l’opposition de gauche dans son ensemble. Quand l’association de la presse étrangère l’a interpelé, le ministre d’Etat Giorgos Gerapetritis s’est contenté «de réitérer que la Grèce adhère pleinement aux valeurs de la démocratie et de l’Etat de droit, en particulier le pluralisme et la liberté de la presse. En conséquence, il va de soi qu’il n’y a pas de surveillance des journalistes en Grèce».

«Criminalisation de la société civile»

Mais l’heure semble plutôt grave. «Nous vivons une dégradation de l’Etat de droit, affirme Eva Cossé, chercheuse pour l’ONG Human Right Watch. Une criminalisation de la société civile, notamment des gens qui s’occupent des migrants, comme en témoignent les procès en cours actuellement contre des bénévoles.» Tandis que les journalistes qui osent poser des questions ou faire entendre une voix discordante sont eux-aussi «harcelés». Ainsi de la Néerlandaise Ingeborg Beugel, spécialiste des migrants, qui a osé interroger le Premier ministre sur les pushbacks (les renvois illégaux de migrants en Turquie). Des médias mainstream l’ont accusée d’être à la solde des Turcs, et des ragots sur sa vie privée ont circulé sur les réseaux sociaux. Agressée dans la rue par des inconnus, la journaliste a fini par quitter la Grèce.

Dans ce contexte, la loi sur les fake news ne fait que décupler les inquiétudes. Votée le 12 novembre, elle rend passible de six mois à cinq ans d’emprisonnement un journaliste et sa direction, qui diffuseraient une fausse nouvelle «causant la peur ou l’inquiétude du public». Dimitris Terzis rebondit : «L’enjeu de cette loi est majeur, elle touche à l’essence même de la démocratie ! Mais en Grèce, aucun média mainstream ne l’évoque. Même si cet acte législatif vise à instiller la peur chez les journalistes, désormais les voix discordantes sont considérées comme des menaces intérieures.»

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