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Le retour de Steve Bannon et des sections d’assaut de l’alt-right

POISON L’ancien conseiller de Donald Trump, artisan de la réécriture de la prise du Capitole le 6 janvier 2021, est de retour sur le devant de l’affiche, et dans les grâces de l’ancien président. En quatre ans, la « droite alternative » dont il s’est fait le passeur a phagocyté le parti républicain.

En décembre 2023, la publication Axios, lue par le tout-Washington, annonçait que Steve Bannon pourrait revenir à la Maison-Blanche en 2025 comme conseiller stratégique de Donald Trump. Si l’information a été démentie par l’entourage du candidat, elle en dit long sur le retour en grâce de l’idéologue d’extrême droite, ancien rédacteur en chef de Breitbart News et directeur de campagne de Trump en 2016.

Bannon animait le mois dernier une table ronde au rassemblement républicain du CPAC, la grand-messe des « conservateurs » − qu’il serait plus juste de qualifier de radicaux. La fête de clôture était également organisée par Bannon. On pouvait y croiser le Britannique Nigel Farage (M. Brexit), ainsi que des nazis assumés et autres proches de Richard Spencer, le suprémaciste blanc inventeur en 2008 du terme alt-right, pour « droite alternative », par opposition au parti républicain classique. Bannon, en 2016, avait proclamé Breitbart « plateforme de l’alt-right ».

L’historien Joshua Tait, qui a beaucoup publié sur cette extrême droite en ligne et son amplification, de la fin des années 2000 à l’élection de Trump, en a écrit récemment une nécrologie. Pourtant, on ne peut comprendre la vie politique américaine récente, le Congrès en 2023, le retour de Trump et la transformation du parti républicain, sans se pencher sur l’influence de l’alt-right et de celui qui reste l’un de ses passeurs en chef, Steve Bannon.

Comme Trump, il n’a jamais disparu, mais est resté sous les radars de la presse généraliste ces dernières années. Il est pourtant au cœur de la reconquête par Trump des esprits et du parti républicains. Son podcast constitue un relais de transmission crucial entre les activistes de l’extrême droite en ligne, le Congrès et désormais tout le parti républicain.

Deuxième volet de notre série sur la transformation de la droite américaine, cet article se penche sur l’alt-right, cette extrême droite en ligne héritière, à l’ère numérique, de courants politiques anciens (suprémacisme blanc) et plus récents (forums masculinistes, gamers, néoréactionnaires). Dynamique et virulente, elle constitue un carburant essentiel du mouvement MAGA (« Make America Great Again », slogan du trumpisme).

Elle est aussi profondément antidémocratique, et partage d’ailleurs avec la droite tech un gourou commun, Curtis Yarvin, chef de file des néoréactionnaires et inspirateur des « Lumières sombres » (lire le premier volet de notre série). Dans son « Guide de l’alt-right pour l’establishment », Breitbart citait Curtis Yarvin en tête des inspirations intellectuelles du mouvement.

Bannon, passeur de l’alt-right

Après la campagne victorieuse de Trump, Bannon avait été nommé conseiller stratégique à la Maison-Blanche, immortalisé dans cette couverture du magazine Time, qui en faisait le « grand manipulateur » tirant les ficelles de l’administration Trump. Viré fin 2017, il avait passé deux ans à arpenter l’Europe pour tenter d’y fédérer les partis d’extrême droite dans un « mouvement » destiné à saper de l’intérieur les institutions européennes. Il a eu plus de succès au Brésil, auprès de Jair Bolsonaro.

En 2020, Bannon crée aux États-Unis un podcast pour surfer sur la vague complotiste liée à la pandémie de Covid. Baptisée d’abord « War Room: Pandemic » (« Cellule de crise : pandémie »), puis « Bannon’s War Room », son émission quotidienne va rapidement rassembler des dizaines de millions d’auditeurs et auditrices. Or, dès le 4 novembre 2020, Bannon délaisse les théories du complot sur le Covid pour se recentrer sur la contestation de la victoire de Biden. Surfant sur le mouvement Stop the Steal (« Arrêtez le vol »), qui affirme que Trump a gagné, il va ensuite promouvoir l’assaut du 6 janvier 2021 sur le Capitole puis batailler au quotidien pour en réécrire l’histoire.

Toute la carrière de Bannon depuis son éviction peut se lire comme une stratégie pour revenir dans les bonnes grâces de Trump – et au cœur du pouvoir.

Dans l’un de ses derniers actes en tant que président, Trump a d’ailleurs gracié son ancien conseiller. Bannon risquait en effet la prison pour arnaque en bande organisée après un appel de fonds frauduleux (il a détourné des fonds récoltés pour construire le mur à la frontière) ; ses trois coaccusés ont été condamnés à près de quatre ans de prison. Aujourd’hui, Bannon laisse entendre à longueur d’émission qu’il est proche de Trump : c’est dans son intérêt bien sûr, mais il l’a en effet revu au moins deux fois en 2023, et les deux hommes se parlent.

Le centre de réflexion Brookings a publié en 2023 une vaste enquête sur la désinformation dans les podcasts : le « War Room » de Bannon est celui qui diffuse le plus de fausses informations. Son audience est telle qu’il est impossible de comprendre le chaos parlementaire de 2023, les psychodrames successifs au sein du groupe républicain ou le refus de voter une nouvelle aide à l’Ukraine, sans prendre en compte son influence.

La stratégie du chaos : Bannon et les « vingt talibans »

En 2023, le Congrès a été le plus improductif de ces dernières décennies, voire le pire de toute l’histoire des États-Unis. C’est la Chambre républicaine qu’il faut regarder pour comprendre la multiplication des premières historiques de ce Congrès issu des élections de mi-mandat 2022. Le républicain Kevin McCarthy a ainsi été le premier président de la Chambre depuis deux siècles à avoir besoin de quinze tours de scrutin pour être élu, alors que son parti venait de gagner la majorité des sièges, puis le premier de l’histoire américaine à être éliminé de son poste par une « motion d’évacuation » en septembre 2023. En octobre, la Chambre n’a pas réussi à élire un nouveau président pendant plus de deux semaines, entraînant une vacance du pouvoir législatif inédite depuis un demi-siècle.

Que ce soit en janvier ou en octobre, le faiseur de roi a été Bannon, en raison de son ascendant sur la fraction la plus extrémiste du parti républicain, les membres du Freedom Caucus, le « groupe de la liberté », dont les plus éminents sont l’ancien assistant de Trump et élu de Floride Matt Gaetz ou encore Paul Gosar, tout aussi extrémiste et également mis en cause dans l’assaut du Capitole. Rebaptisés « les vingt talibans » par leurs propres collègues républicains, ces radicaux ont empêché l’élection de candidats qui déplaisaient à Bannon et/ou à Trump, et imposé l’ordre du jour de la Chambre, notamment sur l’Ukraine.

Lorsque Trump lance sa campagne, en novembre 2022, la réécriture du 6 janvier est devenue le mythe fondateur de sa nouvelle candidature.

« L’enfer se déchaînera demain »,déclarait Bannon dans son émission du 5 janvier 2021. Le 6 au matin, il encourageait ses auditeurs et auditrices : « Ce sera nous contre eux. Qui parviendra à imposer sa volonté à l’autre côté ? » Mais c’est surtout dans les mois suivants qu’il va jouer un rôle déterminant dans la réécriture du 6 janvier et le retour de Trump.

Bannon et son podcast ont joué un rôle crucial de « passeur » dans la réécriture du 6 janvier.L’effort avait commencé dès la fin janvier 2021 dans les publications d’extrême droite, à un moment où la majorité du pays, y compris les républicains, était encore traumatisée par l’événement. Même Trump, interviewé sur Fox News le 28 février 2021, disait « regretter la violence » du 6 janvier.

Le podcast de Bannon, relayé ensuite par Fox News (et les présentateurs Sean Hannity et Tucker Carlson), a joué un rôle d’amplification de toutes les théories les plus fumeuses pour réécrire l’assaut, d’abord comme « manifestation pacifique infiltrée par des “antifas” », puis comme « manipulation » du FBI, invitant des élus comme Gaetz, Marjorie Taylor Green ou Gosar, qui répétaient ces mensonges. Ces élus ont ensuite relayé des extraits de leurs interventions chez Bannon sur les réseaux sociaux, allant jusqu’à verser certains articles totalement farfelus au registre officiel du Congrès.

À partir de l’été 2021, ces fausses théories reçoivent un nouveau coup de pouce grâce à Trump, qui voit tout l’intérêt politique à comparer ses propres déboires avec la justice avec les arrestations et procès des participants à l’assaut sur le Capitole. Lorsqu’il lance sa campagne, en novembre 2022, la réécriture du 6 janvier est devenue le mythe fondateur de sa nouvelle candidature. Trois ans après, le fossé n’a cessé de se creuser entre les républicains et le reste des Américain·es sur le sujet.

L’alt-right n’est pas morte, elle a gagné

Désormais, Bannon prépare l’avenir et fait dans ses émissions la promotion du Projet 2025 de la fondation Heritage, l’ancien centre de réflexion de Reagan devenu l’antre des plans de vengeance politique de Trump. Il a invité à trois reprises Paul Dans, le directeur du projet, qui prépare une future administration Trump. Dans une émission récente, celui-ci racontait que désormais « tout Heritage écoute le “War Room” ». En un sens, Bannon est déjà redevenu le conseiller stratégique de Trump.

La « droite alternative » a gagné son combat contre l’ancien establishment républicain. La défaite aux primaires de Nikki Haley, version idéal-type du parti républicain de l’ère Reagan, en est le symbole. L’alt-right a gagné la bataille des idées et irrigue le parti républicain. Certes, les Richard Spencer et autres suprémacistes blancs ne dominent plus les débats comme en 2016 – on se souvient de cette Une du Washington Post sur Spencer et son titre « Célébrons cela comme en 1933 », alors que Spencer avait salué d’un « Heil Trump » la victoire de 2016.

Mais leurs héritiers ont essaimé partout, des QG de campagne au Congrès et aux conférences des nationaux conservateurs.

VIRUS CHAT 2020

À cet égard, le parcours de Richard Hanania est exemplaire : alors que sa « carrière » a commencé avec des articles racistes publiés sous pseudo sur le site suprémaciste blanc de Spencer, il fait désormais figure de héros intellectuel de la droite, adoubé aussi bien par plusieurs titans de la Silicon Valley que par des candidats à l’investiture républicaine.

Jack Posobiec, figure « historique » de l’alt-right qui avait contribué à amplifier les « Macron Leaks » en 2017, en relayant les données piratées par des hackeurs russes à ses centaines de milliers d’abonné·es sur Twitter, déclarait le mois dernier aux républicains rassemblés au CPAC : « Bienvenue à la mort de la démocratie ! Nous sommes là pour la renverser complètement. Nous n’y sommes pas parvenus le 6 janvier, mais cette fois nous allons nous en débarrasser. » La discussion était « modérée » par Steve Bannon. Lors de son discours de clôture, Trump faisait écho à ces propos, annonçant sa future victoire comme une « revanche absolue » contre ses opposants politiques, pour lesquels ce jour serait « celui du jugement dernier ».

Maya Kandel

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