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EU. La «crise migratoire» n’a pas eu lieu

CRISE. Le nombre d’arrivées de migrants ayant traversé la Méditerranée pour rejoindre l’UE a été divisé par deux en 2017 par rapport à 2016 et par cinq par rapport à 2015. La « crise » est terminée. A-t-elle jamais eu lieu ?

La « crise migratoire » est terminée mais les États membres de l’Union européenne n’en finissent pas d’agiter les peurs et de durcir leurs politiques pour empêcher les migrants de débarquer sur leurs côtes. Lors de ses vœux aux Français, le 31 décembre 2017, Emmanuel Macron, après avoir affirmé qu’« accueillir les femmes et les hommes qui fuient leur pays parce qu’ils y sont menacés » était un « devoir moral, politique », s’est empressé d’ajouter que « nous ne pouvons accueillir tout le monde », afin de justifier les mesures de « contrôle d’identité » prévues par une circulaire du 12 décembre dans les foyers d’hébergement d’urgence, mettant en cause l’accueil inconditionnel.

Les statistiques disponibles auprès de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), rattachée à l’ONU, montrent pourtant que les arrivées de migrants par la Méditerranée ont drastiquement chuté en 2017 : leur nombre a été divisé par deux par rapport à 2016 et par cinq par rapport à 2015. En 2017, 170 249 personnes ont traversé la mer au péril de leur vie, contre 363 401 en 2016 et 1 012 169 en 2015 !

Les arrivées de migrants par la mer en Europe, de janvier 2015 à janvier 2018 © UNHCR
Ce que l’ONU a désigné comme étant l’exode le plus important qu’ait connu l’Europe depuis la Seconde Guerre mondiale n’aura duré que quelques mois, du printemps 2015 au printemps 2016, avec un pic à l’automne 2015. Le record a été atteint avec 220 579 arrivées au cours du seul mois d’octobre 2015. À titre de comparaison, elles n’auront pas dépassé 14 000 deux ans plus tard durant la même période.
L’« exode » de 2015-2016 a concerné principalement des Syriens et des Afghans fuyant leur pays et ayant traversé la Méditerranée via la mer Égée, au départ de la Turquie. Les images de cohortes de familles réfugiées remontant la route des Balkans à pieds, bagages et bébés sous le bras, ont marqué les esprits, ainsi que celle du petit Aylan Kurdi, dont le corps a été retrouvé étendu sur une plage turque, après le naufrage de l’embarcation qui devait le conduire en Europe. Associé au blocage successif des frontières en Europe centrale, l’accord politique et financier signé entre l’UE et la Turquie en mars 2016 et autorisant le renvoi massif des demandeurs d’asile débarqués en Grèce a provoqué un ralentissement net des tentatives de passage, au risque de laisser sans protection des personnes menacées dans leur pays d’origine.

Les arrivées en Italie au départ de la Libye ont ensuite pris le relais, mais dans des proportions (en moyenne 20 000 par mois) qui n’ont jamais concurrencé les 200 000 du mois d’octobre 2015 entre la Turquie et la Grèce. Les pays d’origine ont logiquement changé, les Nigérians, en 2017, arrivant en tête, devant les Guinéens, les Gambiens et les Ivoiriens.

Les arrivées de migrants par la mer, mois par mois, au cours des trois dernières années © OIM
Lors de la dernière période, les départs depuis la Libye ont à leur tour diminué, à la suite des très contestables alliances plus ou moins secrètes conclues entre Rome et diverses milices de trafiquants libyens. Et c’est l’Espagne, tout en restant en troisième position derrière l’Italie et la Grèce, qui a enregistré la hausse la plus importante des arrivées : leur nombre a plus que doublé en un an, pour atteindre 26 941 en 2017 (contre 118 914 en Italie et 33 986 en Grèce par voie de mer et de terre). Après avoir atteint un niveau record en 2006 (39 180), elles avaient pourtant ensuite nettement diminué, jusqu’à devenir marginales, en raison des patrouilles des bateaux de Frontex, l’agence de surveillance européenne des frontières extérieures, dans le détroit de Gibraltar. Nouveauté, l’Algérie rejoindrait le Maroc comme pays de départ. La diversification des routes est une constante dans l’histoire des mouvements migratoires : qu’une voix d’accès se ferme, son remplacement par une autre est immédiat.
L’examen approfondi de l’« exode » de 2015-2016 permet d’aller encore plus loin. Terminée, la « crise » a-t-elle même eu lieu ? Dans l’ouvrage collectif publié, fin 2017, par le réseau européen et africain de militants et de chercheurs Migreurop, Atlas des migrations en Europe, approches critiques des politiques migratoires (Armand Colin), l’instrumentalisation des chiffres des migrations par les gouvernants et les médias fait l’objet d’une vive critique. Ses auteurs expliquent que les statistiques sont généralement diffusées en valeur absolue, sans comparer les années les unes par rapport aux autres, et de manière décontextualisée et partielle. « Cette utilisation des chiffres est l’un des rouages classiques de la construction de l’idée d’envahissement », soulignent-ils.

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