NZNTV

NOYAUZERONETWORK.ORG / GENEVA, SWITZ.
Science. La conscience dans tous ses états

NOETIQUES. Que se passe-t-il quand nos perceptions s’emballent, transe, hypnose, extase? Un Institut pilote, à Genève, se penche avec curiosité et sans préjugé sur ces phénomènes troublants aux limites de l’esprit humain.

Murs, bibliothèques et canapés parfaitement blancs, fauteuils immaculés, lampe design qui ressemble à des synapses éclairantes… Une déco de circonstance puisque c’est là, dans ce grand espace zen d’un quartier tranquille à Genève, que se tient l’Institut suisse des sciences noétiques. Dans cette fondation reconnue d’utilité publique, c’est donc la conscience qu’on étudie. Non pas l’activité cérébrale, déjà entre les mains des neuro­sciences, mais bel et bien ces états particuliers de la perception: expériences de mort imminente (NDE), sorties de corps (OBE), apparitions et autres phénomènes encore inexpliqués.

Derrière cet institut, unique en Europe et peut-être même au monde, un duo pionnier: Claude Charles Fourrier, thérapeute, et Sylvie Dethiollaz, docteur en biologie moléculaire. Un tandem complémentaire, l’intuitif et la scientifique, qui fait forcément penser à Mulder et Scully, de la série X-Files… Sauf que là, ce sont les mystères de l’âme qui font l’objet d’investigations et non la vie extraterrestre.

«J’étais intéressée par les questions sur les origines de l’Univers, de la conscience, le sens de l’existence et je pensais trouver des réponses dans la science, notamment l’astrophysique. Mais ça n’a pas été le cas», explique Sylvie Dethiollaz, qui n’a pas hésité à se lancer seule dans l’aventure en 1999. A l’époque, elle n’a rien, juste un site internet, une ligne téléphonique et son salon pour recevoir les gens. «Les premiers témoignages sont vite arrivés. Les récits de NDE ne sont que la pointe de l’iceberg, il y a une foule d’états modifiés de conscience!»

En quinze ans, l’Institut a rassemblé plus de 2000 témoignages, d’hommes et de femmes, de tous âges, de tous milieux sociaux et culturels. Des récits de tunnel et de lumière, des extases spontanées, des expansions de conscience, des voyages hors du corps… rassemblés en partie dans un ouvrage publié en 2011 (Etats modifiés de conscience, Ed. Favre). «Des gens de Suisse bien sûr, mais aussi de France, de Belgique et même du Québec nous appellent ou nous contactent par mail. Ils ont parfois juste besoin d’être écoutés, rassurés, pris en considération.

Les personnes qui vivent ce genre d’expérience ne savent pas vers qui se tourner.

Médecins et psychiatres n’y voient souvent que des hallucinations», observe Sylvie Dethiollaz. Qui rappelle quelques chiffres en passant: environ 12% des personnes réanimées après un arrêt cardiaque auraient vécu une NDE, 10% de la population aurait déjà expérimenté des sorties de corps, et 30% reconnaîtrait avoir entendu une ou des voix à un moment de leur vie…

Autant d’expériences qui peuvent être extraordinaires, comme désagréables à vivre, lourdes à porter ensuite au quotidien. Autant de phénomènes polymorphes, qui parfois se recoupent ou se mélangent, la frontière entre expériences non ordinaires et pathologies étant souvent floue. C’est pourquoi l’institut propose à ceux qui le souhaitent un accompagnement qui va au-delà de la première consultation. «On commence par les ramener sur terre. Puis on les aide à intégrer cette expérience en eux et dans leur vie, à l’utiliser comme tremplin pour leur évolution», explique Claude Charles Fourrier, qui s’occupe justement du suivi thérapeutique.

Le jour où tout a basculé

Il sait de quoi il parle, lui qui a vécu une expérience traumatisante dans sa jeunesse et qu’il peine encore aujourd’hui à raconter. «A 25 ans, je vivais à New York et j’étais dans une période de grande fragilité émotionnelle. Un jour, alors que j’étais sur mon canapé, avec des amis, je suis entré dans un état d’expansion de conscience, comme si j’étais assis dans une fusée, tous réacteurs allumés, mais que je n’avais aucun contrôle sur les commandes.

Je me suis senti partir, je n’étais plus moi, mais j’étais le Tout, un état hors du temps, sans pensées, sans questions.»

Il en ressortira angoissé, profondément perturbé et seul un long chemin thérapeutique lui a permis d’y mettre un sens.

Apaiser les patients

C’est ce travail qu’il propose aujourd’hui aux autres, par la psychothérapie analytique, l’expression des émotions et une initiation à la pleine conscience. «Il ne s’agit pas de donner des interprétations, mais de faire comprendre, d’apaiser. La méditation intégrée au quotidien – grâce à de petits exercices simples pour revenir au moment présent, être attentif aux sensations de son corps – est une approche accessible à tous et extrêmement efficace», avance le thérapeute.

Méditation, relaxation. D’ailleurs, certains patients ne viennent que pour ça: trente ou quarante-cinq minutes de détente dans un des appareils de l’Institut. Il y a Isis qui ressemble à une navette spatiale, où l’on s’allonge dans le noir, musique douce qui entre au niveau des pieds. Et la sphère où l’on s’assied, totalement isolé dans cette bulle insonorisée. Des sons binauraux (de fréquences différentes dans chaque oreille) semblent arriver de nulle part et influenceraient les ondes cérébrales, facilitant l’accès à un état modifié de conscience.

Certaines personnes ne viennent que pour les capsules d’immersion sensorielle.

Pas vraiment des hommes d’affaires stressés, mais plutôt des personnes qui s’intéressent à la méditation et qui reviennent régulièrement. Les séances sont toujours suivies d’un débriefing», explique Sylvie Dethiollaz.
A force de flirter aux frontières de l’esprit, les deux spécialistes n’ont-ils pas peur de passer pour des charlatans? «On est plutôt bien reconnus dans les milieux médicaux. A la demande de médecins, nous organisons tous les deux mois des réunions d’intervision pour les professionnels de la santé afin d’échanger sur des cas cliniques. Les mentalités sont en train de changer», répond la directrice. Qui s’occupe aussi de développer des projets de recherches avec des expérienceurs volontaires, de lever des fonds – l’Institut manque de soutiens financiers – et d’organiser des conférences grand public. Le philosophe Frédéric Lenoir, la chamane Corine Sombrun, les frères Bogdanov, entre autres, sont déjà venus apporter leur éclairage. «En tout cas, toutes ces recherches conduisent à envisager un changement de paradigme. La conscience ne serait pas produite par le cerveau et serait peut-être antérieure à la matière… De plus en plus de scientifiques pensent que nous sommes en train d’entrer dans une ère post-matérialiste.» C’est du moins ce qu’espèrent vivement Sylvie Dethiollaz et Claude Charles Fourrier, qui n’ont pas fini d’explorer l’infini cosmos de la conscience humaine.

Migros Magazine – Patricia Brambilla