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New Tech. Robots contre journalistes : qui gagnera la guerre de l’information ?

Science. Les algorithmes qui mettent en scène l’information, voire la produisent à partir de données (financières, sportives…), se développent rapidement. Bonne nouvelle ou cauchemar ? Fin mars, Wibbitz était consacrée « entreprise la plus innovante » du forum Netexplo qui se tient chaque année à Paris. La start-up israélienne a impressionné son auditoire en présentant une appli qui « transforme des articles en vidéos ».

Il s’agit en réalité de « texte-to-voice » (lecture automatique d’un texte écrit) amélioré. Le logiciel de Wibbitz analyse le texte et n’en retient que quelques points essentiels qu’une voix lit ; il va chercher des images d’illustration pour accompagner cette lecture, qui ne dépasse jamais deux minutes.

Disponible uniquement sur iPhone, en version anglaise pour le moment, l’appli vous lit des articles que vous avez sélectionnés dans les journaux en ligne. Si vous aviez sélectionné cet article de Rue89 sur Wibbitz par exemple, une voix off et un brin mécanique se mettrait à débiter les mots sans bafouiller.

La radio, so XXème siècle

Pour peu qu’il ait des réflexes un peu réac’, le journaliste est d’abord frappé par une question un peu glaçante : tout cela est créatif, mais que vont devenir les journalistes de radio ?

Certes, la technique n’est pas encore parfaite, les auditeurs ont leurs habitudes, et on imagine pas encore des algorithmes dialoguer entre eux sur un plateau ou rivaliser en humour avec un Laurent Gerra. Mais cette appli est révélatrice d’un phénomène plus large, inquiétant non seulement pour les journalistes mais pour la société tout entière, pour peu que l’on considère l’information et l’esprit critique comme essentiels à la bonne marche de la démocratie : la robotisation du journalisme.

Humains et algorithmes, main dans la main

Tomber sur des articles écrits par des robots, écouter des flash radios débités par des robots, reprenant des dépêches de robots… voilà une idée qui pourrait paraître bien farfelue. Les récentes avancées de la technologie semblent prouver le contraire.

A 6h25 du matin, le lundi 17 mars 2014, un tremblement de terre secouait Los Angeles. A 6h28, le site du Los Angeles Times publiait un article comprenant toutes les informations sur la puissance et la localisation du séisme. Ce petit miracle de réactivité paraît surhumain. Normal : l’article avait été rédigé par Quakebot, un « robot-journaliste ».

Voici son oeuvre :

« Un tremblement de terre peu profond de magnitude 4.7 a été signalé lundi matin à cinq miles (8 km) de Westwood, Californie, selon le bureau géologique des Etats-Unis. La secousse s’est produite à 6h25 heure du Pacifique à une profondeur de 5,0 miles, selon l’USGS, l’épicentre se trouvait à six miles (9,6 km) de Beverly Hills […]. Cette information est fournie par le service d’annonce des tremblements de terre de l’USGS et ce billet a été créé par un algorithme. »

Cet algorithme était calibré pour réagir à ce type d’événements : il n’aurait pas pu faire la même chose pour, disons, la mort d’Amy Whinehouse. Son créateur, Ken Schwencke, n’en était d’ailleurs pas à son coup d’essai : il avait déjà créé un programme similaire pour rédiger des rapports automatiques d’homicides compilés sur une section dédiée du journal.

500 mots la seconde pour 10 dollars

Si ces expérimentations, plutôt inoffensives, sont le fruit d’une poignée de journalistes geek, certaines entreprises portent le concept à un tout autre niveau. Leur figure de proue : Narrative Science.

Cette entreprise basée à Chicago se concentre pour le moment sur des secteurs où les données abondent et son faciles à traiter – comme le sport, la santé ou encore la finance.

Le concept est simple : un algorithme générique puis adapté sur mesure à chaque client (en 90 jours environ) va analyser les bases de données qu’on lui donne puis créer un rapport succinct en bon français (ou anglais, pour le coup). Imaginez-vous un peu la chose : à la fin d’un match, les joueurs n’ont pas encore eu le temps de se serrer la main qu’un bilan est déjà publié en ligne.

Le coût de l’opération fait également rêver : le New York Times déclarait qu’un client avait payé Narrative Science 10 dollars pour un article de 500 mots. Un article produit en une fraction de seconde, qui plus est…

Clients et investisseurs se bousculent

Est-ce que ça marche ? Oui. Les articles ne sont pas « anglés » (c’est de l’info brute et peu originale) mais en terme de concision, d’écriture et de réactivité dans des domaines ciblés, les algorithmes remplissent bien leur tâche. De plus en plus d’investisseurs, de médias et d’entreprises sont convaincus.

Depuis sa création, Narrative Science a levé plus de 20 millions de dollars ; il compte parmi ses investisseurs des fonds d’investissement comme In-Q-Tel (qui appartient à la CIA) et il a convaincu des acteurs aussi prestigieux que le magazine Forbes, qui lui achète des « articles » à la veille des annonces des grandes entreprises de leurs résultats financiers.

Ce qui n’est pas sans produire quelques mises en abymes vertigineuses, comme notait judicieusement le journaliste et auteur Evgeny Morozov dans un article rédigé en 2011 :

« Au cas où l’ironie de la situation vous aurait échappé, reformulons : des plates-formes automatiques “ rédigent ” désormais des rapports sur des entreprises qui gagnent de l’argent grâce au travail d’ordinateurs spécialisés dans le trading automatique.

En bout de course, ces documents sont réintroduits dans le système financier, puisqu’ils fournissent aux algorithmes les moyens d’identifier des opérations encore plus lucratives. Et ainsi de suite : un journalisme de robots, pour les robots. » (nobsv)

http://narrativescience.com/

http://www.wibbitz.com/

 

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