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NOYAUZERONETWORK.ORG / GENEVA, SWITZ.
Music: Lloyd Cole. Sustainable Lone Star.

Interview. Lloyd Cole a fait son apparition au début des années 80 avec son groupe The Commotions et a vite fait figure de gendre idéal et romantique au sein de la pop anglaise de l’époque.Après un succès commercial et d’estime dans la sphère indé durant les années 80 et 90, le chanteur s’est peu à peu laissé engloutir par la politique cannibale et mondialisée des majors qui ne voyaient plus vraiment d’avenir pour lui. Peu importe, il est devenu culte de par son talent et sa rareté dans les médias, et sort en toute quiétude son dixième album solo, Standards, qui sonne plus américain que jamais.

Vous avez déclaré que vous avez eu un blocage avec cet album, que s’est-il passé ?
Lloyd Cole : Ce n’était pas vraiment ça, je ne sais même pas si je crois à l’angoisse de la page blanche. C’est juste que je n’ai pas écrit pendant une longue période, je ne me sentais pas de le faire.

Et vous avez déclaré que vous avez eu comme un déclic en écoutant Tempest, le dernier album de Bob Dylan ?
Disons que ça m’a aidé à arrêter de penser à trop de choses. Je pense que je me faisais trop de soucis par rapport à mon âge et ce qu’il était approprié de faire à mon âge. J’écoutais cet album de Dylan et je me disais que manifestement Dylan se fout de l’âge qu’il a. Certaines de ses paroles sont assez osées pour un homme de 73 ans. Et il s’en fout, il fait ce qu’il veut. Ca m’a aidé. (Rires). Tous comptes faits, je pense que ce n’est pas l’âge qui doit motivé l’arrêt d’une carrière mais le fait que tu as quelque chose à dire ou pas.

Vous avez toujours éprouvé une angoisse face à l’âge ?
Non mais quand on vieillit, on compare. J’imagine que tu dois être amenée à rencontrer plein de vieux chanteurs qui se rendent ridicules. Souvent ils veulent faire croire qu’ils sont jeunes et ils continuent la musique alors qu’ils n’ont plus rien à dire. C’est assez angoissant. Il y a 12 ans j’ai été assez déçu par le chemin qu’empruntait ma carrière. Ça s’est arrêté avec Universal, ils ne voulaient plus de moi, ils en avaient marre et moi aussi en fait. J’avais l’impression d’être un auteur de jingles. J’ai donc essayé d’écrire de manière différente, c’est-à- dire uniquement lorsque j’avais quelque chose à dire, c’est un art noble d’écrire, ça ne se prend pas à la légère, enfin selon moi. Mais peut être que j’étais juste feignant. Au final j’ai fait cet album en 10 semaines en allant à mon bureau 8 à 10 heures par jour. Je l’ai écrit comme si j’avais une longue dissertation à rendre.

Quels sont les auteurs qui vous inspirent ?
Il y en a tellement. Quand j’ai commencé a écouter de la musique, il y avait T-Rex et David Bowie, j’adorais les paroles de Sweet Thing sur Diamond Dogs. Quand j’ai commencé à écrire de la musique, je lisais beaucoup Joan Didion, aujourd’hui c’est une star mais à l’époque elle était un peu considérée comme une marginale. J’aime toutes sortes d’auteurs. J’aime beaucoup Leonard Cohen et Bob Dylan évidemment, mais le problème c’est qu’après Bob Dylan, que faire ? Il est un peu comme Isaac Newton, que faire après Isaac Newton, tout a été changé après lui.

Êtes-vous content de votre travail ?
Je pense que je peux toujours m’améliorer, enfin je l’espère. Parfois l’âge comme je te le disais me fait me demander si je dois continuer, mais il y a aussi quelque chose de tellement charmant dans les premières œuvres, une naïveté et une jeunesse qu’on ne pourra jamais rattraper. Tu dois laisser tout ça derrière toi, tu n’as pas le choix. Mais les challenges peuvent aussi te procurer une fraîcheur et un défi.

L’album a été financé par vos fans ?
En partie. Le coût d’un disque à l’ancienne comme ça coûte cher, ça prend du temps. Tapete Records avec qui je travaille avait un certain budget mais mon disque coûtait plus cher donc j’ai demandé à mes fans s’ ils voulaient participer pour compenser, en achetant une édition limitée d’un de mes albums.

Depuis votre premier album Rattlesnakes avec votre premier groupe The Commotions, on vous voue un culte?
Je dirais que le succès est plutôt arrivé après Rattlesnakes. J’étais plutôt connu, je vendais beaucoup de disques, j’étais à la télé, en couverture des magazines, jusqu’à 1995. A la fin des années 90 puis dans les années 2000 peut être que je suis devenu «culte» ou un musicien de niche mais je vais te dire la vérité, je n’aime pas ce statut, je n’ai jamais arrêté d’essayer d’être populaire. Mais je n’y suis pas arrivé.

Vous pensez que c’est la fin de votre contrat avec Universal qui a joué ?
J’ai été chez Universal à partir de 1983 et ce pour 14 années, c’est comme un mariage en quelque sorte. Je peux comprendre qu’à la fin ils n’aient pas été hyper emballés par mes albums mais en réalité j’aurais du quitter Universal en 1992 quand j’en ai eu l’occasion. Je ne l’ai pas fait, ça a été dur pour les deux côtés, peut être qu’on aurait du s’acheter des sex toys pour pimenter notre relation. Moi je veux que les gens écoutent mes albums ! (Rires) Tu sais, plein de gens qui deviennent connus ne le supportent pas et ne sont pas à l’aise, moi c’est l’inverse, j’étais très à l’aise avec le succès.
Je n’ai jamais été une grosse star donc c’était complètement supportable. A l’époque il y avait de la place pour ce genre de personnes, entre deux, comme moi. Maintenant j’ai l’impression que ce n’est plus le cas, aujourd’hui soit tu as des mégastars soit des toutes petites. Je ne sais pas si aujourd’hui il y a de la place pour moi, mais ça m’intéresse de le découvrir.

Vous aviez dit vouloir faire de vrais albums, pas des chansons, ça va totalement à l’encontre de ce qui se fait actuellement où l’on produit en termes de singles et où on achète des singles. Vous pensez que ça va changer et que les gens vont s’intéresser à nouveau aux albums?
Il y a déjà un revival des vinyles mais c’est un truc de niche. Le concept même d’un album est en train de mourir. Alors peut être que je suis bête de m’attacher à ce concept, peut être que je ne devrais faire que des EP mais quand je réecoute Diamond Dogs ou Highway 61 Revisited je me dis que ça a quand même un sens. C’est mieux qu’une playlist, quoi. J’aimerais continuer à faire des albums et que les gens pensent la même chose à propos d’eux.

Et que pensez vous du téléchargement, c’est un problème pour vous ?
C’est un problème si les gens pensent que la musique doit être gratuite, car la musique ne doit pas être gratuite, si les gens réfléchissent comme ça à long terme il n’y aura plus de musique.
Apres je comprends certaines personnes qui téléchargent gratuitement de la musique, quand ils voient à quels prix les majors proposent les albums et surtout ce qu’ils proposent, c‘est un foutage de gueule. Je peux comprendre que les gens téléchargent les deux seuls singles car le reste c’est de la merde.
Cet album m’a pris 2/3 d’une année, c’est pas mal de temps et d’énergie. Et donc ça coûte de l’argent car pendant ce temps là je dois vivre et nourrir ma famille, donc quand les gens considèrent que la musique doit être gratuite, je dis non.

Vous avez déménagé aux Etats-Unis en 1988, est-ce que l’Angleterre vous manque parfois ?
Si j’étais resté en Angleterre je pense que j’aurais arrêté de faire de la musique, la culture anglaise m’oppresse. En Angleterre il n’y a pas des milliards d’options, soit on aime les très grandes stars soit les gens morts, ce pays ne supporte pas de voir les gens vieillir. C’est vrai que la presse musicale anglaise adore élire le nouveau meilleur groupe du monde toutes les semaines.
Oui ça a toujours été comme cela. Il s’agit ici de mon 10ème album solo, les gens en ont peut être sûrement marre et je ne vais pas les blâmer. Par exemple tout le monde me dit que le nouvel album de Leonard Cohen est sublime, et bien je dois dire que je ne l’ai pas écouté, je ne me sens pas, j’ai l’impression que j’ai déjà assez de Leonard Cohen dans ma vie.

Camera Obscura a écrit une chanson à propos de vous, ça fait quoi, c’est plutôt flatteur non ?
Ça fait plaisir, maintenant il ne me manque que mon émission de télé et je serai au top. Je leur ai parlé récemment et je leur ai demandé qu’ils me filent une version instrumentale pour que je la joue quand je monte sur scène. Je suis assez vieux pour faire cela, ça pourrait être drôle. (Rires)

Si vous souhaitez être connu pourquoi ne tentez vous pas d’écrire pour la nouvelle garde de la pop ?
Je pense qu’ils ne savent même pas qui je suis. Si les gens veulent que j’écrive pour eux, je pense qu’ils peuvent me contacter facilement, je suis facile à joindre. Ce matin par exemple, j’ai reçu un email d’une société d’édition qui est intéressée pour travailler avec moi.

Quels sont vos derniers coups de cœur musicaux ?
Santigold, sinon j’adore Robyn, ses mélodies sont assez incroyables. J’adore the Walkmen, et aussi le groupe de rock suèdois Bob Hund. J’aime beaucoup Beach House aussi. Mais comme je te le disais j’ai déjà beaucoup de musique dans ma vie. Mais je dois dire que Robyn a été un choc pour moi, elle me rappelle Prince dans les années 80. Elle est si bizarre tout en étant une immense pop star. Je ne sais pas si tu as remarqué quand une pop star est là depuis longtemps on oublie parfois qu’elle est bizarre, comme par exemple Michael Jackson. Je ne parle pas de sa vie privée mais de sa musique, qui était quand même légèrement bizarre mais dans le bon sens du terme.

En parlant de pop star, je suis désolée mais je ne peux pas m’empêcher de penser que vous ressemblez à Morrissey ?
Ah bon, tu trouves ?

Ah, vous n’êtes pas content ? C’est un compliment pourtant.
Il a un goitre et puis il est plus vieux de deux ans (Sourire). Nous étions amis dans les années 80 et donc oui nous avons tous les deux la cinquantaine, les cheveux gris et nous continuons à faire de la musique.

Vous pensez quoi de lui, de ses opinion politiques, tout ça ?
C’est la même chose qu’en 1985, il sait exactement quoi dire pour que la presse parle de lui. Il est très malin, il a le sens de la communication, je ne pense pas que tout cela soit très naturel. Je me souviens d’un dîner avec lui en 1985 à l’époque de Meat is Murder (le deuxième album studio des Smiths, ndlr), et le mec mangeait du poisson ! Je lui ai fait la réflexion quelques temps après et il m’a dit qu’il n’en n’a pas dormi de la nuit et qu’il s’est dit «enough is enough» (il imite Morrissey). Donc le dernier poisson qu’il a mangé de sa vie était avec moi (Rires) Mais je l’aime bien c’est une personne drôle, il a dit : «all reggae is vile» (Rires) (le reggae est ignoble en VF) c’est assez vrai ! Je pense qu’il a un peu abusé ces deux dernières années à se présenter comme une victime qui n’a pas de maison de disques, c’est juste qu’il demande un million de pounds d’avance. Il ne faut pas la pousser quoi ! Cet album sonne très américain, et déjà dans avec les Commotions il y avait une incursion country et folk.

Est-ce que tu trouves que les Rolling Stones sonnent américain ?
Oui. Tant mieux moi aussi, ça vient du blues, du folk, de l’Amérique quoi. Je ne suis pas inspiré du folk anglo-saxon, qui est assez celtique et où les gens portent des cheveux longs avec des pantalons en cuir et jouent de la flûte. Ce n’est pas vraiment mon délire. (Rires)

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Sarah Dahan // Crédit Photos : Kim Frank.