Movies. « Toni Erdmann », le grand bluff

DROLE. Sous ses allures d’objet terne et ventripotent (près de trois heures), ce troisième long métrage de l’allemande Maren Ade recèle un pouvoir comique faramineux.
Comment définir « Toni Erdmann », troisième très bon film (après « Ma Loute » et « Rester Vertical ») vu en compétition officielle ? Une chronique de cadres sups expatriés à Bucarest, grignotée de l’intérieur par un canular géant qu’orchestre Winfried, prof de musique allemand sexagénaire, infiltré parmi les cols blancs pour neutraliser la dépression naissante de sa fille Inès, experte en restructuration d’entreprise mais manifestement moins à l’aise avec le genre humain.
« Toni Erdmann », c’est aussi le nom inventé par Winfried du personnage fictif qu’il endosse, de pinces-fesses en conseils de surveillance : un grand échelas édenté, pétomane, emperruqué comme un vieux travlo, qui se prétend consultant, business man et ami des puissants, mais nanti d’assez d’aisance et de bagout pour mystifier réellement grands patrons et femmes d’ambassadeur.
Il ne faut pas voir dans ce nouveau long métrage de l’allemande Maren Ade, remarquée à Berlin en 2009 pour « Everyone Else », un traité sérieux sur la thérapie par le rire ou l’usage de la dérision comme rempart ultime aux excès du capitalisme. Le film – et c’est là sa grande force – se refuse à théoriser quoi que soit, ni à jouer les robins de bois, trop modeste et trop malin pour viser si haut. Au pire, il s’en tient à se pincer le nez avec un chouia d’ostentation quand il évoque frontalement le cynisme ultra libéral, qu’il se contente juste d’asticoter. La scène où Winfried, visitant un puits de pétrole administré par un client de sa fille dans la campagne roumaine, provoque par ses blagues un licenciement sec, limite illico la subversion de « Toni Erdmann » à un geste de panache dépité, au mieux une solution de repli un peu désespérée pour encaisser l’horreur du système.