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Après la catastrophe ferroviaire, la Grèce manifeste contre son système politique

Athènes (Grèce).– De nouvelles manifestations se sont tenues dans le pays jeudi 16 mars, plus de deux semaines après la catastrophe ferroviaire qui a fait 57 morts. La colère de la population cible les gouvernements successifs et leur gestion des services publics.

 Les mots sur les banderoles et les pancartes expriment leur rage. Brandies sur la place de la Constitution d’Athènes, noire de monde, on peut lire ces inscriptions fortes : « Assassins », « Nos morts, vos profits », « Nous n’oublierons pas ce crime », etc. Jeudi 16 mars, 25 000 personnes de tous âges ont de nouveau protesté dans la capitale grecque, deux semaines après la collision de deux trains, le 28 février au soir, qui a fait 57 victimes. Les trains circulaient sur une même voie, sur la ligne reliant Athènes à Thessalonique.

Dans le cortège, nombre de groupes de gauche et d’extrême gauche, parlementaires et extraparlementaires, ou des anarchistes. 40 000 personnes, selon les autorités, auraient défilé dans tout le pays. Les organisations syndicales du secteur public et du privé avaient également appelé à une grève de 24 heures. La foule demande des comptes. Elle s’adresse aux gouvernements au pouvoir ces dernières décennies, dont les politiques publiques défaillantes ont, selon elle, conduit à la pire catastrophe ferroviaire de l’histoire du pays. 

« C’est un réveil de la population. Il y avait peu de manifestations de cette ampleur ces dernières années, mais cette fois, il y a eu un ras-le-bol. Personne ne se soucie de nos services publics ! Nous voulons un État social et c’est ce que nous sommes venus répéter aujourd’hui. Nous payons des taxes pour qu’ils fonctionnent, où vont-elles ? »,interroge ainsi Dimitris Geronikos, un ingénieur agronome du cortège, qui empruntait souvent cette ligne de train. Comme lui, 40 % des personnes voyageant entre ces deux principales villes du nord et du sud du pays empruntaient ce moyen de transport, selon les spécialistes de la question ferroviaire rencontrés par Mediapart.

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Lors de la manifestation sur la place Syntagma, à Athènes, le 16 mars 2023, après la catastrophe ferroviaire qui a fait 57 morts. © Photo Gerasimos Koilakos / NurPhoto via AFP

Le traumatisme est national. Beaucoup se reconnaissent aujourd’hui dans les victimes. « J’aurais pu y être », répètent nombre de citoyennes et de citoyens rencontrés, émus et en colère, comme Dimitris Geronikos. Celui-ci a en effet découvert, avec sidération, chaque jour qui a suivi l’accident, l’état lamentable du réseau ferroviaire grec et sa mauvaise gestion. Manque de personnel, absence de signalisation sur cette ligne… « Je savais qu’il y avait des soucis, mais pas autant », dit-il.

Tant de problèmes majeurs qui étaient connus des autorités et dénoncés à plusieurs reprises par les syndicats du secteur, aujourd’hui amers. Une enquête de la Cour suprême est en cours. Pour l’heure, le chef de gare de Larissa, près du lieu de l’accident, a été inculpé. Trois autres employés des chemins de fer sont également poursuivis, entre autres pour « homicide involontaire par négligence ».

Le ministre des transports a démissionné. Mais au cœur de ce système, il y a d’autres acteurs plus haut placés, insistent les protestataires. Dans leur viseur : l’entreprise publiqueOSE, gestionnaire du réseau ferré, la compagnie Hellenic Train, depuis 2017 aux mains du groupe public italien Ferrovie dello Stato, chargé de l’exploitation des trains de passagers et de fret, et enfin les gouvernements au pouvoir ces dernières années. Une révélation, surtout, accentue la colère : la signalisation, encore manuelle, aurait dû être mise à niveau dans le cadre d’un contrat passé en 2014 entre OSE, la coentreprise Tomi (filiale de l’entreprise grecque de BTP Aktor) et le géant français Alstom. Mais cette modernisation n’a pas été finalisée sur la ligne où a eu lieu l’accident. Or l’application de ce contrat aurait pu empêcher ce drame.

Dans la foule, plusieurs manifestant·es accusent tous les partis au pouvoir ces dernières années d’avoir négligé l’état du système ferroviaire. « À bas Syriza »,au pouvoir de 2015 à 2019, à bas « le Pasok », le Parti socialiste au pouvoir notamment entre 2009 et 2011, et « Nouvelle Démocratie », revenue au pouvoir depuis 2019, hurlent ainsi des partisan·es communistes.

Le risque de l’abstention

Pour l’agronome Dimitris Geronikos, c’est avant tout le premier ministre, Kyriákos Mitsotákis (Nouvelle Démocratie, droite) et sa « politique libérale et en aucun cas sociale » qui doit répondre de cette tragédie. « Le premier ministre aurait dû démissionner dès le premier jour »,dit-il. Pour lui, il ne faut pas attendre, même si des élections législatives doivent se tenir théoriquement d’ici quelques semaines. Avant la tragédie, les médias locaux évoquaient des rumeurs de législatives anticipées le 9 avril. Plusieurs observateurs politiques tablent désormais sur un report de ces élections en mai, voire en juillet, dans un contexte politique plus qu’incertain. Le gouvernement de droite en place, qui décide lui-même de cette date, reste silencieux.

« Je n’ai pas voté ces dernières années. Je vais devoir m’y résigner, même si c’est une décision difficile car je ne sais pas du tout quel parti choisir. Je veux tout faire pour que la Nouvelle Démocratie ne repasse pas. Je n’en peux plus de ce gouvernement et de ces mesures répressives »,assure Iakonos Mindrinos, un acteur de théâtre, parmi les manifestant·es, face au Parlement. « Les violences policières se sont accentuées sous son mandat. Nous avons perdu notre liberté d’expression [une loi a limité les manifestations en 2020 – ndlr],dit-il. Depuis l’accident de train, nous avons encore plus la sensation que nos vies, en tant que citoyens, ne valent rien à leurs yeux. »

Le sociologue Konstantinos Kostopoulos confirme que « le drame ferroviaire a agi comme un déclencheur à l’explosion d’une colère qui couvait déjà. Il y a notamment des problèmes économiques liés à l’inflation. Or le discours de la droite néolibérale a tendance à donner, surtout à l’étranger, l’image d’un pays stable, apte à accueillir des touristes, ce qui est par ailleurs le pilier de sa stratégie économique. Parallèlement, la catastrophe ferroviaire nous montre une fois de plus que les services publics ne fonctionnent pas et sont délaissés ».

Selon un dernier sondage, Nouvelle Démocratie perd des points depuis l’accident. La principale force d’opposition de gauche, Syriza, n’en gagne pas. « Même si Mitsotákis est la cible principale de cette colère, les Grecs ont du mal à oublier l’échec politique de Syriza, beaucoup ont été déçus de son mandat. Je crains donc que le “bénéficiaire” de ce drame ne soit l’abstention. Beaucoup de Grecs ne croyaient déjà plus en leurs institutions, surtout après les années d’austérité », estime Konstantinos Kostopoulos.

Le traumatisme de la troïka

Les slogans « Leurs profits, nos morts », « Les privatisations tuent » rappellent en effet l’amertume de la population grecque après les années de rigueur. Pour elle, cette tragédie ferroviaire est une conséquence des politiques d’austérité imposées sous pression de la troïka (Commission européenne, BCE, FMI), au cours de la dernière décennie, en échange d’une aide financière.

Le drame met notamment en lumière la baisse des effectifs du secteur public, une mesure phare de ces politiques. De 2009 à 2015, le nombre de fonctionnaires a été réduit de 25 %. Le chef de gare de Larissa, inculpé, était ainsi seul aux commandes la nuit de l’accident. Peu expérimenté, il occupait ce poste depuis quelques mois.

La privatisation de la compagnie de chemin de ferHellenic Train(anciennement appelée TrainOSE), également menée dans le cadre de cette cure d’austérité voulue par la troïka, est aussi pointée du doigt dans les cortèges. L’accident est survenu six ans après la reprise de la société par le groupe public italien Ferrovie dello Stato (FS), en 2017.

Cette privatisation avait été finalisée sous le mandat de Syriza (2015 à 2019), pourtant opposé à cette politique. En pleine crise de la dette, la Grèce avait en effet cédé à la privatisation de nombre de ces entreprises publiques ou parapubliques : ports, aéroports, infrastructures… Les défenseurs de cette stratégie pointaient alors les dysfonctionnements des services publics grecs, promettant une meilleure efficacité avec le passage au privé ou à des entreprises étrangères.

Elisa Perrigueur

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