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Movie. Ennio Morricone en 15 chefs d’œuvre

GENIOUS Il n’a jamais cessé de composer, Ennio Morricone, et faisait encore le tour du monde pour présenter ses chefs d’oeuvre, à 90 ans et des poussières. En février 2016, il s’était arrêté au Hallenstadion, à Zurich – sa dernière visite en Suisse. Une heure et quelque de pure émotion, chair de poule en sus, garantie par quelques-uns de ses plus grands thèmes et la puissance d’un orchestre symphonique. Quelques notes de Morricone suffisent à réveiller le souvenir d’une scène, celle du gamin d’«Il était une fois dans l’Ouest», contraint de jouer de l’harmonica en soutenant sur ses frêles épaules son frère aîné… pendu au bout d’une corde. Inoubliable.

La discographie d’Ennio Morricone est une incroyable aventure où s’entrecroisent tous les genres de cinéma. Le maestro avait ses fidèles parmi les réalisateurs: Sergio Leone, ses compatriotes Giuseppe Tornatore, Bernardo Bertolucci, Dario Argento. En France, il avait un faible pour Henri Verneuil, aux Etats-Unis une amitié sincère pour Brian de Palma et, plus récemment, Quentin Tarantino avait su l’attirer à lui.

En Italie, sa terre natale, Morricone était un olivier presque centenaire dont les branches tortueuses représentaient autant de disciples appliqués. On a trop facilement tendance à réduire les compositeurs de musiques de films transalpins à Morricone et Nino Rota. A tort. Eux, ce sont les arbres qui cachent la forêt, une forêt remplie de prodigieux artistes comme Stelvio Cipriani, Franco Micalizzi, Bruno Piccioni, Riz Ortolani, Enrico Simonetti et tant d’autres. Tous doivent quelque chose à Morricone et les disciples orphelins du maestro sont aujourd’hui innombrables à travers le monde.

• «Il était une fois dans l’Ouest», de Sergio Leone (1968)

Trois ans après leur dernière collaboration sur un western spaghetti, selon le terme consacré – il s’agissait de «Et pour quelques dollars de plus» (1965), la suite de «Pour une poignée de dollars» (1964) qu’Ennio Morricone, pas encore assez sûr de lui, avait signée sous le pseudonyme de Dan Savio -, Sergio Leone le rappelle pour ce qui reste à ce jour l’un des cinq meilleurs westerns de l’histoire du cinéma, avec Henry Fonda, Charles Bronson, Claudia Cardinale.

Le thème principal, «C’era una volta il west» sous son appellation originale, mais aussi «L’homme à l’harmonica», «Adieu à Cheyenne» ou encore «La sentence» ont marqué plusieurs générations de spectateurs et téléspectateurs. La quintessence de la musique de western. Mythique. Le duo se retrouvera dans «Il était une fois la révolution» (1971), notamment, avant de se reconstituer une ultime fois pour l’inoubliable «Il était une fois l’Amérique».

• «Le Clan des Siciliens», de Henri Verneuil (1969)

Une histoire d’évasion et de hold-up menée par un trio royal constitué de Jean Gabin, Alain Delon et Lino Ventura. Une musique parmi les plus envoûtantes du cinéma français qui là encore n’a pas pris une ride. Morricone et Verneuil avaient collaboré en 1967 déjà dans «La bataille de San Sebastian».

L’amitié et le respect mutuel que se portent le cinéaste et le compositeur débouchera sur d’autres bandes originales marquantes, parmi lesquelles «Le Serpent» (1972), un thriller haletant avec Yul Brynner, Henry Fonda et Dirk Bogarde ou encore le très bon polar «I… comme Icare» avec Yves Montand. Pour «Le Clan des Siciliens», Ennio Morricone compose un thème obsédant qui suit les spectateurs hors de la salle, le signe d’un travail exceptionnel.

• «La Cité de la violence», de Sergio Sollima (1970)

Jeff Heston, un tueur à gages qui ne manque jamais son coup, interprété par Charles Bronson, se retrouve en prison après avoir été victime d’un traquenard. Quand il sort, il ne pense qu’à se venger… Si le public oubliera très vite le nom de Sergio Sollima, le réalisateur, il se souviendra longtemps de la musique de ce polar franco-italien, formidablement accrocheuse. Morricone témoigne ici de sa science du thème à suspense. Il récidivera souvent au cours de sa longue carrière. Ce film enfermera par la suite Charles Bronson dans les rôles de flic ou de justicier à la gâchette facile, mais l’acteur américain y trouvera lui aussi son compte en soignant ses cachets.

• «Sacco et Vanzetti», de Giuliano Montaldo (1971)

L’histoire, véridique, de deux émigrés italiens aux Etats-Unis, en 1920: le cordonnier Nicola Sacco et le poissonnier Bartolomeo Vanzetti – interprétés par Riccardo Cucciolla et Gian Maria Volonté -, deux anarchistes qui finiront sur la chaise électrique pour un double meurtre avec lequel ils n’avaient rien à voir, perpétré lors du hold-up raté d’une fabrique de chaussures dans le Massachusets…  Le thème principal du film, «La ballade de Sacco et Vanzetti», un ensemble de trois thèmes composé par Ennio Morricone, débouchera sur un énorme tube folk-rock interprété avec conviction par la chanteuse et pacifiste Joan Baez. Près de 50 ans après sa sortie, la mélodie marque encore l’imaginaire collectif.

• «Quatre Mouches de velours gris», de Dario Argento (1971)

On le sait moins, mais Ennio Morricone aura entretenu tout au long de sa vie une amitié sincère avec le réalisateur Dario Argento («Suspiria», «Inferno»), le maître transalpin de l’épouvante et du giallo, ce genre italien au croisement du thriller et du film d’horreur. Deux ans après leur première collaboration, déjà marquante, sur «L’Oiseau au plumage de Cristal» (1969), le cinéaste rappelle le chef d’orchestre pour «Quatre Mouches de Velours gris» dans lequel on retrouve, non sans surprise, le regretté Jean-Pierre Marielle. Morricone et Dario Argento feront au total cinq films ensemble. Rebondissements, suspense, crescendo: Morricone habille littéralement les films très esthétiques d’Argento. Mais à la différence d’Alfred Hitchcock, qui estimait que son compositeur attitré, Bernard Herrmann, lui faisait de l’ombre, Argento est ravi.

• «Le Casse», de Henri Verneuil (1971)

Les retrouvailles du réalisateur français d’origine arménienne Henri Verneuil et du plus célèbre des compositeurs italiens contemporains pour un polar haletant, remake du «Cambrioleur» (1957) interprété magistralement par Omar Sharif, Bébel et Robert Hossein. L’histoire du cambriolage d’une villa de rêve à Athènes, interrompu par un flic ripoux (Omar Sharif), bien décidé à s’emparer du butin… Un excellent film policier marqué par une spectaculaire poursuite à travers les rues de la capitale grecque, rythmée par un thème musical fantastique, sans nul doute l’un des meilleurs du Maestro dans le genre policier. Indémodable.

• «Mon nom est Personne», de Sergio Leone (1973)

Pour les amateurs de western spaghetti à la fibre humoristique, aucun doute, «Mon nom est Personne» est un film cultissime. Il le doit à son interprète principal, Terence Hill – Dieu merci sans Bud Spencer -, qui signe ici son meilleur rôle, sans le moindre doute, à la présence, face à lui, du grand Henry Fonda aux yeux bleu ciel, alias Jack Beauregard, à la réalisation soignée de Sergio Leone bien sûr, mais aussi à la musique truculente imaginée par Ennio Morricone. Un thème entêtant que les spectateurs enthousiastes quittant la salle sifflaient encore longtemps après être rentrés chez eux, ce que le défunt Clo-Clo considérait comme le signe évident d’un tube. Il n’avait pas tort. Les rediffusions à la télévision de ce western hilarant sont chaque fois un régal.

• «Peur sur la ville», de Henri Verneuil (1974)

Attention, chef d’oeuvre! Quand Henri Verneuil annonce à Ennio Morricone qu’il va consacrer un film à une traque policière à travers Paris, avec une scène-culte où Bébel, fidèle à lui-même, marchera sur le toit d’une rame de métro, le maestro italien se met aussitôt au travail. Belmondo, alias le commissaire Letellier, est sur la trace de Minos, un tueur en série borgne qui traque les femmes qu’il estime dépravées. La partition ciselée du compositeur italien va donner un rythme infernal au polar de Verneuil, qui ne s’est rien refusé. A coup sûr l’un des dix meilleurs policiers du cinéma français et à la baguette, au sens propre, un Morricone en état de grâce.

• «1900», de Bernardo Bertolucci (1976)

Au début du XXe siècle, deux garçons de classes sociales opposées naissent le même jour dans une grande propriété italienne. Les aléas de la vie politique vont les opposer jusqu’au bout. Pour sa grande fresque italienne, Bertolucci a eu les coudées franches. En tête de distribution, rien de moins que Robert DeNiro, Donald Sutherland et Gérard Depardieu! Le film est un chef d’oeuvre, marqué par l’interprétation, bien sûr, de ses acteurs principaux, mais aussi par la musique composée par Ennio Morricone. L’une des scènes les plus insoutenables du film, où le fasciste Attila Mellanchini (Sutherland) tue une enfant en l’entraînant dans une danse infernale, doit énormément à la partition du Maestro, qui revisite les grands thèmes de l’histoire de son pays, la montée du fascisme, puis du communisme. Saisissant.

• «Le Professionnel», de Georges Lautner (1980)

Affiche du film «Le professionel» Chargé d’abattre le président d’un obscur pays africain, puis arrêté avant d’avoir pu exécuter sa mission, Joss Beaumont (Jean-Paul Belmondo), un agent des services secrets français s’évade et décide de se venger de ses commanditaires. Du Bébel jouissif, dans l’excès absolu. Mais au-delà du film lui-même, c’est surtout le thème principal, «Chi Mai», composé par Morricone, que l’on va retenir. Un tube gigantesque auquel aucun être humain n’échappera durant la décennie 1980. Un slow langoureux durant lequel des dizaines de millions d’adolescents échangeront leur premier baiser avec la langue en se serrant dans les boums. Une époque que les enfants du coronavirus ne connaîtront peut-être jamais. A noter que ce thème, peut-être le plus célèbre de Morricone, fera le bonheur des publicitaires durant des décennies.

• «Il était une fois en Amérique», de Sergio Leone (1984)

Juste avant de tirer le rideau sur son incroyable carrière de cinéaste, Sergio Leone se met en tête de raconter l’histoire des immigrés italiens aux Etats-Unis, ceux qui peupleront Little Italy à Manhattan et donneront au crime organisé quelques-uns de ses gangsters les plus célèbres. Une distribution magistrale, emmenée par Robert DeNiro, James Woods et Elizabeth McGovern, et le troisième volet de la grande histoire des Etats-Unis après «Il était une fois dans l’Ouest» et «Il était une fois la Révolution». Les vicissitudes dramatiques de David «Noodles» Aaronson (DeNiro) et de ses amis, une succession de tableaux extraordinaires et pour lier le tout, une bande originale hors du temps, signée Morricone, servie notamment par la flûte de Gheorghe Zamfir. Frissons garantis.

• «Mission», de Roland Joffé (1986)

S’il ne fallait retenir d’Ennio Morricone qu’une seule des quelques 500 musiques qu’il a composées pour le cinéma et la télévision, ce serait peut-être celle-là. Pourquoi? Parce que sur ce film de Roland Joffé retraçant l’épopée des missionnaires jésuites en Amérique latine au XVIIIe siècle, on peut le dire, le Maestro a été touché par la grâce divine. Pour signer ces thèmes somptueux, imprégné des choeurs de la musique sacrée, il a directement puisé dans sa foi de catholique italien et y a trouvé la lumière. Il suffit d’écouter «Gabriel’s Oboe, On Earth as it is in Heaven» ou encore son «Te Deum Guarani» pour s’en convaincre. Ici, Ennio Morricone touche au sublime. Il collaborera à trois autres films du cinéaste Roland Joffé, dont le très réussi «La Cité de la Joie» avec feu Patrick Swayze en 1992.

• «Les Incorruptibles», de Brian De Palma (1987)

Un rythme fouetté au charleston, imparable, des accords dissonants, un crescendo savamment étudié: le réalisateur Brian de Palma lui-même le concède volontiers, sans le thème incroyable façonné par Ennio Morricone, son film pourtant très réussi n’aurait jamais eu le même succès, en dépit d’une distribution phénoménale marquée par la présence de Kevin Costner, Sean Connery, Andy Garcia et, dans le rôle d’Al Capone, un DeNiro bouffi. Sans la musique, la scène de la chute du landau dans les escaliers de la gare, tournée au ralenti, n’aurait jamais laissé un tel souvenir. Idem pour la mort de Malone, alias Sean Connery. Sélectionné pour les Oscars cette année-là, Morricone n’obtint pas la précieuse statuette. Un scandale, n’ayons pas peur des mots. De Palma et Morricone se retrouveront en 1989 et en 2000, respectivement pour «Outrages» et «Mission to Mars».

• «Cinéma Paradiso», de Giuseppe Tortanore (1989)

Il faut avoir un coeur de pierre pour ne pas lâcher de larme lorsque la merveilleuse musique de Morricone accompagne sur le grand écran les souvenirs de cinéma de Salvatore «Toto» Di Vita, sa complicité avec Alfredo, le projectionniste campé par le regretté Philippe Noiret, qui meurt au début du film. Pour cet hommage magistral au Septième Art, ce pied-de-nez à la censure aussi, Grand Prix du Jury à Cannes et Oscar du meilleur film étranger en 1989, le Maestro italien s’est dépassé. Une fois encore. Cette rencontre entre Giuseppe Tornatore et Ennio Morricone va déboucher sur une amitié profonde que rien ne viendra jamais démentir, jusqu’au bout. Le cinéaste et le compositeur et chef d’orchestre italiens travailleront sur neuf autres films, la dernière fois en 2016 pour «La correspondenza». Mais avec une telle partition en guise d’ouverture, comment aurait-il pu en être autrement?

• «Les Huit salopards», de Quentin Tarantino (2015)

En 2018, la presse à sensation a prétendu, à tort, qu’Ennio Morricone avait traité de «crétin» Quentin Tarantino, l’enfant terrible du cinéma américain, et qu’il ne souhaitait plus collaborer avec lui. Le Maestro sortira de sa réserve légendaire pour démentir cette fake news propagée comme une maladie sur les réseaux sociaux. Morricone était dérouté par ce monde numérique de l’immédiateté auquel il préférait, de loin, la lenteur et ses vertus. Morricone et Tarantino ne partageaient pas le même temps. Le mutique face au bavard, le calme personnifié face à l’agité perpétuel. Pourtant, Tarantino vénérait Morricone. On n’imagine pas sa joie lorsque le Maestro lui dit ok pour la première fois: c’était en 2003 pour «Kill Bill». Quatre fois encore, ils uniront leurs talents, la dernière en 2015 pour «Les Huit Salopards», qui vaudra au Maestro son seul et unique Oscar. Plutôt difficile à croire, non? Et pourtant…

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