NZNTV

NOYAUZERONETWORK.ORG / GENEVA, SWITZ.
Ma rencontre avec Maradona, l’étoile filante

STAR L’Argentin s’est éteint hier à l’âge de 60 ans. Icône du siècle dernier, connu et adulé dans le monde entier, il était bien plus qu’un footballeur, raconte Florent Torchut, un des derniers journalistes à l’avoir interviewé.

Il fut la toute première star globalisée, aux prémices du petit écran, bien avant l’apparition des chaînes d’information en continu, des smartphones ou encore des réseaux sociaux.

Gamin, avec ses boucles brunes et sa gueule d’ange, «el Pibe de Oro» avait confié à une chaîne de télévision argentine qu’il poursuivait deux rêves: «Jouer la Coupe du monde, et la gagner», déjà investi de cette foi propre aux êtres d’exception. En 1986, Diego Maradona réussit bien plus que cela. Jusqu’alors, aucun joueur – à part peut-être Pelé en 1970 – n’avait marqué à ce point un Mondial de son empreinte. Rayonnant d’un bout à l’autre de la compétition, il élimine les Anglais pratiquement à lui tout seul en quarts de finale (2-1). D’un coup de main diabolique – qu’il surnomme lui-même «la Main de Dieu» après la rencontre – puis d’une conduite de balle ponctuée d’un but divin, deux buts pour l’éternité. En cet après-midi du 22 juin 1986, Diego Maradona porte ses habits de lumière pour venger son peuple, humilié quatre ans plus tôt lors de la guerre des Malouines, et ainsi convertir définitivement sa condition humaine en légende universelle.

Sa vie était devenue une affaire publique depuis ses 15 ans, l’âge où il a quitté son bidonville de Villa Fiorito et signé son premier contrat professionnel avec Argentinos Juniors. Poursuivi par les paparazzi de Buenos Aires à Naples en passant par Barcelone, utilisé par les grands de ce monde comme une caution populaire, «Diego aura permis aux Argentins de sortir de la frustration collective», selon son ancien coéquipier et ami Jorge Valdano. Dans un pays meurtri par les crises et les dictatures successives tout au long du XXe siècle, le numéro 10 incarnait les espoirs des plus démunis face à la fatalité.

Il fallait le voir débarquer en salle de presse, devant un parterre de journalistes venus de toute la planète, pour saisir l’aura qui escortait le mythe. Ancien correspondant à Buenos Aires, j’ai eu la chance de suivre ses aventures à la tête de la sélection albiceleste, de 2008 à 2010. Chacune de ses apparitions publiques provoquait dans l’assistance un silence et une fascination sans borne. Malgré son manque d’éducation, son sens de la formule et sa prestance ne laissaient personne indifférent. Pendant plus d’une décennie, j’ai tenté par tous les moyens de l’interviewer, contactant toute personne susceptible de m’aider dans cette quête du graal journalistico-footballistique. Mais obtenir les confessions de «D10S» – un jeu de mots courant en Argentine pour désigner Maradona, entre «Dieu» et numéro 10 – relève du miracle.

Très attaché à sa terre et à ses compatriotes, l’ancien joueur de Boca Juniors (1981-1982 et 1995-1997) est revenu l’an dernier chez lui, dans la peau de l’entraîneur de Gimnasia de la Plata, pour ce qu’il considérait comme un dernier tour d’honneur. Acclamé à chacune des sorties de sa formation aux quatre coins du pays, Diego Maradona était heureux, même si les résultats sportifs n’étaient pas au rendez-vous.

Ce retour aux sources était pour moi une opportunité d’enfin décrocher l’entretien rêvé. Ces derniers temps, «Pelusa» (un autre de ses surnoms, en rapport avec la crinière qu’il arborait à son époque de joueur) avait fait le ménage dans son entourage, pour le meilleur et pour le pire. Côté vie privée, il s’était embrouillé avec Claudia Villafañe, son épouse de 1989 à 2003, et la mère de ses filles Dalma et Giannina, toutes trois très appréciées au pays. Côté vie professionnelle, il s’était entouré d’une équipe de jeunes avocats brillants. C’était ma chance. Il y a environ un an, j’ai donc contacté l’une de ses collaboratrices pour lui soumettre l’idée d’une interview exceptionnelle avec France Football, 25 ans après l’attribution de son Ballon d’or d’honneur. En 1995, année où le trophée avait été ouvert à des joueurs de tous les continents, «la Bible du football» avait ainsi souhaité réparer une erreur historique.

Douze minutes

Ses représentants ont d’emblée affiché un vif intérêt quant à cette proposition. Les circonstances de l’année 2020 ont toutefois rendu impossible un voyage en Argentine et la réalisation d’un tête-à-tête, mais «Diego» – comme j’avais pris plaisir à l’appeler simplement lorsque j’en parlais à mon entourage ou à son avocate – était toujours partant. Même si, avec le meilleur joueur de tous les temps, un «oui» n’indique pas forcément la ligne d’arrivée. Après plusieurs semaines de tractations, des dizaines de messages et de coups de fil échangés, le grand soir est finalement arrivé le 12 octobre.

Reclus dans une villa au nord de Buenos Aires, Diego Maradona est apparu sur mon écran. Douze minutes d’échanges autour des grands moments de sa carrière, de son transfert avorté à l’Olympique de Marseille, de Cristiano Ronaldo, Lionel Messi ou encore Kylian Mbappé, ponctuées d’une punchline dont lui seul avait le secret: «Pour mes 60 ans, je rêve de pouvoir marquer un autre but aux Anglais. Avec la main droite cette fois-ci!»

« D’avoir donné du plaisir»

Fatigué mais heureux, il avait par ailleurs exprimé sa fierté et son bonheur «d’avoir donné du plaisir et amusé les gens qui venaient [le] voir au stade et qui [le] regardaient à la télévision».

Trois semaines plus tard, la star est hospitalisée en urgence, puis opérée (avec succès) d’un hématome au cerveau. Le 12 novembre, alors que de nombreux Argentins veillent et prient pour lui jour et nuit devant la clinique d’Olivos, il rejoint une propriété privée à l’écart du tumulte de Buenos Aires. Cette nouvelle épreuve a le mérite de le rapprocher de ses filles. Le lendemain, un drone envoyé par un média argentin survole son jardin et diffuse des images de Diego Maradona et des siens, ce qui indigne ses compatriotes. Il y a pourtant bien longtemps que sa vie ne lui appartenait plus.

Ce mercredi 25 novembre, le «cerf-volant cosmique», comme l’a surnommé Victor Hugo Morales lors du fameux duel face à l’Angleterre, s’en est allé rejoindre les étoiles. La place qu’il mérite.


Repères chronologiques

1960 Diego Armando Maradona naît à l’hôpital Eva Perón de Lanús. Il est le quatrième enfant d’une fratrie qui en comptera six. Il grandit dans le bidonville de Villa Fiorito, en banlieue (défavorisée) de Buenos Aires.

1977 Incroyablement précoce, Maradona dispute son premier match avec l’équipe d’Argentine, contre la Hongrie, alors qu’il n’a que 16 ans. Il évolue déjà en première division nationale avec Argentinos Juniors.

1984 Naples débourse 12 millions de dollars, un record à l’époque, pour le recruter. 70 000 supporters l’accueillent au stade San Paolo. Il y gagnera deux titres de champion d’Italie et une Coupe de l’UEFA.

1986 Maradona est le grand artisan de la victoire de l’Albiceleste à la Coupe du monde mexicaine. En quarts de finale contre l’Angleterre, il s’aide de ce qu’il appellera la «Main de Dieu» pour ouvrir la marque.

1994 Lors de la Coupe du monde aux Etats-Unis, il est contrôlé positif à une substance interdite pour la deuxième fois de sa carrière. Sa suspension signe la fin de sa carrière internationale.

2008 Il devient sélectionneur de l’Albiceleste, un poste qu’il occupera jusqu’à la Coupe du monde 2010. Son règne est très contrasté, entre résultats décevants et gestes déplacés qui choquent l’opinion publique.

2020 Peu après avoir fêté ses 60 ans, Diego Armando Maradona meurt d’un arrêt cardiaque. Trois jours de deuil national sont décrétés en Argentine dès l’annonce de son décès.

Leave comment

Your email address will not be published. Required fields are marked with *.