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Davos, dernière édition ?

EXIT. Les absents seront peut-être plus importants que les présents lors de ce sommet de Davos. Pour la première fois depuis sa création en 1971, aucune délégation des autorités américaines ne sera là.

Le président chinois a annulé sa venue, tout comme la première ministre britannique pour cause de Brexit, ou Emmanuel Macron en raison des « gilets jaunes ». Autant de signes que quelque chose s’est cassé, peut-être irrémédiablement, dans le récit de la mondialisation heureuse.

Ils ont beau essayer de faire bonne figure, les dirigeants des grands groupes mondiaux, les happy few de la mondialisation qui se retrouvent chaque année à Davos n’en sont pas moins inquiets. Quelque chose semble cassé, peut-être irrémédiablement : pour la première fois depuis les débuts du sommet en 1971, aucune délégation des autorités américaines ne participera aux rencontres avec les plus grandes fortunes à Davos. Après avoir annulé son déplacement au sommet suisse pour cause de « shutdown », Donald Trump, en pleine bagarre avec le Congrès américain, a exigé vendredi 18 janvier que Steven Mnuchin, secrétaire américain au Trésor, annule lui aussi son voyage. Il avait refusé auparavant à Nancy Pelosi, cheffe de file du parti démocrate à la Chambre des représentants, les moyens du gouvernement américain pour s’y rendre.

Donald Trump ne sera pas le seul absent. La première ministre britannique, Theresa May, a annulé elle aussi son déplacement pour cause de Brexit. Emmanuel Macron, qui avait été ovationné lors du sommet l’an dernier, a lui renoncé à s’y rendre, en raison des « gilets jaunes ». Le président chinois, Xi Jinping, autre grand héros de l’année dernière pour s’être fait le défenseur du « libre-échange » face au protectionnisme de Donald Trump, a également jugé inutile de faire le déplacement. Il a délégué sur place le vice-président chinois Wang Qishan.

La présence de la chancelière allemande, Angela Merkel, en fin de règne, ou du président italien, Giuseppe Conte, risque de ne rien changer au constat. L’absence de nombre de dirigeants politiques importants, les motifs pour justifier leur absence sont autant de signes qui traduisent les tensions économiques, sociales et géopolitiques du monde actuel.

Même si les puissants de ce monde ont refusé de le voir depuis la crise financière de 2008, la fin du consensus sur la globalisation et la financiarisation du monde, la contestation sociale qui monte partout contre le néolibéralisme, la mise en miettes de la Pax americana, née de la chute du mur de Berlin, se matérialisent désormais sous leurs yeux, dans leurs lieux. Les millions qu’ont dépensés les mille entreprises donatrices du sommet de Davos risquent de l’avoir été en pure perte : cette fois-ci, elles ne sont plus au centre du jeu. Il n’y aura pas de rencontres au sommet entre les dirigeants politiques, d’accords diplomatiques ni même de tractations sur lesquels elles pourraient peser pour défendre leurs intérêts.

« Ils feraient mieux d’annuler Davos », prévenait Anand Giridharadas dans une émission de Bloomberg jeudi 17 janvier, en invoquant le Brexit, les gilets jaunes, et le shutdownde Trump. « Davos, c’est la réunion de famille des gens qui ont cassé le monde », explique l’ancien chroniqueur du New York Times, auteur de The Winners Take All (les vainqueurs emportent tout), son dernier ouvrage, publié cet été, sur les ravages du capitalisme néolibéral. Dans son entretien, Anand Giridharadas pointe en particulier les méfaits des Gafam – de Facebook à Amazon : « L’histoire de notre temps, c’est celle de personnes qui ont acquis un monopole sur le progrès, qui ont volé le futur aux gens. […]La crise financière aurait normalement dû être le genre d’événement qui change tout. Mais cela ne s’est pas passé comme cela il y a dix ans. La mascarade de l’élite “changer le monde” relève des mêmes tricheries qui ont provoqué la crise et assuré la socialisation des pertes. »

De fait, plus que jamais, les gagnants de la mondialisation raflent toute la mise. Dans son dernier rapport annuel sur les inégalités, publié à la veille du sommet de Davos, l’ONG Oxfam met à nouveau en lumière le degré extrême, sans précédent historique, d’accumulation des richesses entre quelques mains. Ils sont désormais 27 milliardaires à totaliser un niveau de fortune équivalent à la moitié de la population mondiale la plus pauvre. Il fallait qu’ils soient 47 l’an dernier, 92 en 2013 pour atteindre le même niveau de fortune. En un an, leur fortune a grossi de 900 milliards de dollars, soit 2,2 milliards par jour. Dans le même temps, la moitié de la population la plus pauvre a vu ses revenus chuter de 11 %.
L’agence Bloomberg aboutit à un constat similaire : en dix ans, les riches sont devenus de plus en plus riches. La fortune des vingt premiers dirigeants américains présents à Davos – y figurent notamment Bill Gates (Microsoft), Mark Zuckerberg (Facebook), George Soros, Jamie Dimon (JPMorgan Chase), Henry Kravis (KKR), etc. – a augmenté de 175 milliards de dollars en dix ans, alors que « le revenu moyen des ménages américains stagnait », relève Bloomberg, pourtant peu suspecte de dérives gauchistes.

Les causes de ce creusement sans précédent des inégalités et de cette injustice sociale sont analysées depuis longtemps par les économistes : le système néolibéral, prônant une dérégulation sans frein, et une concurrence sociale sans limite, appuyées sur la mondialisation et la financiarisation à outrance, a conduit à une déformation extraordinaire de l’économie mondiale, au profit de quelques-uns.
Loin de corriger ces excès qui sont à l’origine de la crise financière de 2008, celle-ci les a au contraire renforcés : au nom du sauvetage de l’économie mondiale, les politiques monétaires accommodantes des banques centrales ont été captées par la sphère financière et ont contribué à accélérer encore l’accumulation de richesses entre quelques mains, à accentuer le creusement des inégalités.
Monopoles mondiaux
Pendant très longtemps, les groupes mondiaux ont nié cette réalité en mettant en avant les bénéfices partagés pour l’ensemble des populations mondiales, censés justifier cette situation. Certes, le niveau moyen des revenus des ménages occidentaux stagnait depuis des années. Certes, il y avait des destructions d’emplois, des délocalisations, des perdants de la mondialisation. Mais à côté, la croissance dans les pays émergents décollait, des populations entières, jusque-là exclues, commençaient à voir leur niveau de vie s’élever. Là étaient les bénéfices d’une mondialisation heureuse et sans contrainte : ce nouveau partage plus juste des richesses justifiait bien les quelques inconvénients du système.

Avec le recul, ces arguments paraissent des effets d’optique, voire mensongers pour des économistes. Si le niveau des revenus s’est élevé à l'échelon mondial, c’est en raison du décollage de la Chine et de l’Inde qui, par le nombre de leur population, faussent la représentation des statistiques mondiales. Retraités, les chiffres font apparaître tout autre chose : une stagnation, voire une chute des revenus moyens des ménages et une concentration hors norme des richesses tirées de monopoles mondiaux.

En septembre, la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) établissait un rapport détonnant sur les effets du libre-échange. « Au sein du cercle restreint des entreprises exportatrices, seulement 1 % d'entre elles représente 57 % des exportations d'un pays en moyenne en 2014 », pointe le rapport. 5 % des entreprises exportatrices d'un pays captent, en moyenne, plus de 80 % des revenus, d’après ses chiffres. « La capacité des entreprises cheffes de file des réseaux mondiaux de production à capter davantage de valeur ajoutée a conduit à des relations commerciales inégales », accuse le secrétaire général de la Cnuced.

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