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Photography. «Le Sel de la terre» de Wim Wenders: une ode aux clichés

PAUVRETE. Le réalisateur de «Paris Texas» se penche sur le travail du photographe Sebastião Salgado dans un documentaire où il délaisse ses questionnements éthiques sur l’image.

Cet homme-là est assurément un personnage intéressant. Contraint de fuir la dictature au Brésil, son pays, dans les années 1960, exilé en France mais voyageant dans le monde entier, il est devenu au cours des années 1970 un des photographes les plus célèbres de son époque. Sebastião Salgado a conquis ce statut, et s’y est maintenu durant des décennies, en photographiant certains des lieux les plus déshérités de la planète, plusieurs des pires tragédies qui ont ensanglanté la fin du XXe siècle: les famines au Sahel, les guerres en Yougoslavie, l’extrême pauvreté et la violence un peu partout dans le tiers monde, l’ampleur et le caractère destructeur des migrations de masse sous l’effet de la pauvreté et des guerres, le génocide des Tutsis au Rwanda et ses suites au Congo…

Serra Pelada, State of Para, Brazil, 1986 © Sebastião SALGADO / Amazonas images

Salgado n’est pas du genre à faire un saut dans un coin où il se passe quelque chose de terrible pour repartir aussitôt. L’essentiel de ses travaux est fondé sur des recherches approfondies, de longue période passées sur place, des rencontres et des échanges avec ceux qu’il photographie, et auxquels il lui est souvent arrivé de se lier de manière durable.

A la fois journaliste, militant, chercheur et artiste, Salgado a accompli un énorme travail.

Le malheur comme des pubs Mercedes

Le résultat, rendu public grâce aux plus grands magazines du monde entier, d’innombrables expositions et une dizaine de livres à grand succès, est un très vaste ensemble de photos caractérisées par un style reconnaissable entre mille. Esthétisation de la misère, sentimentalisme exacerbé, clichés de la souffrance manipulés par la prise de vue et le traitement en laboratoire, utilisation d’un noir et blanc contrasté aux reflets quasi-métalliques. Avec Salgado, les malheurs des hommes mis en images comme des pubs pour Mercedes ou des défilés de mode. Un triomphe.

Bande-annonce

Wim Wenders, qui dit avoir été bouleversé il y a 25 ans par des images de Salgado, dont il a immédiatement acquis deux tirages qui sont toujours dans son bureau, consacre au photographe un portrait coréalisé avec le fils de son sujet, Juliano Ribeiro Salgado. Ouvertement admiratif, pour ne pas dire hagiographique, le film reconstitue un parcours qui mènera l’homme d’image, revenu dans son pays après le retour de la démocratie, à se consacrer un temps à faire renaitre la flore et la faune dans sa région natale du Minas Gerais.

Outre toutes ses qualités de réalisateur de fiction, l’auteur de Paris Texas et des Ailes du désir est un excellent cinéaste documentaire. Ses principales réalisations en ce domaine relèvent déjà peu ou prou de l’exercice d’admiration. Ainsi Nick’s Movie, consacré à Nicholas Ray, et Tokyo-ga, dédié à Yasujiro Ozu, sont deux œuvres importantes de sa filmographie, deux très belles inventions dans la manière d’approcher à la fois un artiste et son œuvre. Wenders est même assez exemplaire de la possibilité d’une approche à la fois exigeante et affectueuse, et par là même féconde, d’un auteur et de ce que son univers mobilise.

Les interrogations éthiques de Wenders

On dira qu’il s’agissait alors de cinéastes, mais Wim Wenders est aussi lui-même photographe. On lui doit plusieurs très beaux ensembles d’images fixes, notamment sur les paysages américains –des photos qui n’ont aucun point commun avec celles de Sebastião Salgado. Wenders est également un artiste qui a toujours incarné une interrogation éthique sur les images, la manière dont elles sont conçues et utilisées, les enjeux et le cas échéant les risques associés au fait de montrer, en particulier des films.

C’est pourquoi il est sidérant que pas un seul moment il ne semble ici questionner ce dont est porteuse l’esthétique de Salgado –même si cela devait être pour plaider en sa faveur. Depuis longtemps on s’est interrogé sur la manière de publiciser la misère en rentrant dans les canons du spectaculaire médiatique qu’incarne à l’extrême le photographe brésilien. Après d’autres, mais d’une manière particulièrement argumentée, Susan Sontag posait certaines des questions que soulève cette manière de représenter dans son livre Devant la douleur des autres (Christian Bourgois).

Sollicité sur ce terrain, le fils de Salgado répond (dans le dossier de presse du film) en invoquant la sincérité de son père et l’ampleur de la tâche accomplie, au prix d’efforts et de risques considérables. Il n’est pas question de douter de cela, mais de dire que ça ne prouve rien. Et il reste troublant, à tout le moins, que ces images au graphisme léché, que ces madones de souffrance cherchées et trouvées aux quatre coins de ce que le monde recèle de plus tragique, soient offertes ici comme des évidences, sans que jamais le film n’interroge leur esthétique.

Cette esthétique léchée et imposante, dominatrice, appuyé sur des principes visuels qu’en peinture on appellerait volontiers «pompiers», on la retrouve dans les récents travaux de Salgado. Il s’agit des photos consacrées aux splendeurs de la nature, et réunis sous le titre général de Genesis.

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