Libye. « Nous sommes là pour être vendus »
PAROLES. Ils sont comme des ballots humains embarqués, transbordés, débarqués, rackettés, détenus, refoulés. Souvent, ils meurent, aspirés par la houle de la Méditerranée. Pour les dizaines de milliers d’Africains subsahariens qui s’élancent chaque année vers la forteresse Europe, l’espoir d’une vie meilleure finit la plupart du temps en cauchemar. Ils sont pourtant prêts à braver tous les périls pour arriver jusqu’en Libye, dernière étape avant l’Italie, si proche. En 2014, Ils étaient 170 000 à débarquer ainsi sur la péninsule, soit quatre fois plus qu’en 2013. Principale raison de cette explosion: le chaos libyen, où prospèrent tous les trafics. Depuis le début 2015, le flux a gardé la même intensité. Mais une rupture s’est produite: le nombre de noyés en mer s’est envolé. A la date du 7 mai, le bilan mortel était (avec 1829 noyés) 9 fois supérieur à la période correspondante de 2014. La Méditerranée, cimetière marin des rêveurs d’Europe. Cette tragique équipée migratoire est devenue une industrie cynique avec ses petits passeurs et ses gros caïds, ses réseaux et ses profits. Parce qu’il faut faire des économies, on jette les migrants sur des rafiots pourris, promis à un naufrage certain. Et sur les côtes libyennes, ils sont des otages en puissance. Les trafiquants les parquent dans des cabanes après les avoir dépouillés, les autorités les arrêtent pour montrer à l’Europe qu’elles agissent et ainsi faire oublier leur connivences occultes. Ils croupissent de longs mois dans des centres décrépits sans savoir ce qui les attend. Et ils témoignent à qui veut bien les écouter de leur rêve fracassé.
Frédéric Bobin
» Nous tout ce qu’on veut, c’est rentrer au pays, c’est tout ce qu’on veut parce qu’ils nous ont fatigué ici, on ne mange pas, on ne boit pas, on ne dort pas. Y’a beaucoup de gens qui sont malades ici. Nous avons tout perdu : notre argent, nos passeports. »
« Il y’a des personnes qui sont là depuis plus de six mois, sept mois, d’autres quatre mois…ils n’ont pas de contact avec leurs parents. Nos familles ne savent pas si nous sommes vivants ou morts«
« Ici, les autorités nous accusent de vouloir partir sur l’eau, alors que c’est faux, d’autres sont pris aux foyers, aux appartements, d’autres sont pris dans la rue, comme moi, je suis pris dans la rue. Il y a des gens qui sont tombés malades, morts, plus de trois morts ici, un homme est sorti d’ici, la semaine dernière, il vomissait du sang. Est ce que je me fais comprendre? »
« Les vrais passeurs pour aller sur l’eau, ce sont eux. Ils disent aux européens qu’ils nous ont attrapé sur la mer alors que c’est faux ! ils sont entrain de nous vendre. Ce sont eux qui gèrent la prison et qui organisent les départs pour aller en Italie, ils sont propriétaires d’appartements au bord de l’eau, ils recueillent des gens dans les connexions houses. La “connexion” ce sont eux, ils font ça entre eux, c’est leur business. Nous sommes là pour être vendus, certains à presque 1000 dinars. Nous mangeons en très petite quantité. Quand vous venez les journalistes, ils font semblant, c’est organisé. »
« Je m’appelle Sali, je suis gambien, nous sommes ici depuis plus d’un mois, la nourriture n’est pas bonne, l’eau non plus, nous buvons de l’eau non potable, nous sommes très fatigués. Il y a des nigérians, des gambiens, toutes les communautés d’Afrique de l’Ouest sont ici représentées. Nous sommes de bonnes personnes, nous n’avons commis aucun crime. Nous ne voulons pas d’ennui, nous étions là pour traverser mais Dieu merci, nous ne l’avons pas fait. Alors nous voulons rentrer chez nous maintenant, c’est tout ce que nous voulons, nous voulons rentrer. »
« Mon nom est Roland, je suis nigérian. Nous sommes venus ici pour travailler, moi est mes amis. Tu peux voir, je porte encore mes habits de travail. La police nous a arrêté sur la route. Nous ne sommes pas venus pour faire la traversée, nous sommes ici pour travailler. Je suis laveur de voiture, c’est ce que je suis, Je ne sais plus quoi faire. Tout mon argent, mon téléphone… Tout ! ils m’ont tout pris, je suis debout mais je n’ai plus rien. Nous n’avons aucun contact, mon téléphone, tout ! ils ont tout pris. Regarde, tu peux me voir, je suis debout devant toi. »
« Mon nom est Samir, je suis Somalien. Nous sommes réfugiés et maintenant nous cherchons une vie meilleure, nous voulons nous sentir libre mais nous avons été arrêté en Libye. 9 mois en Libye, tu comprends, 3 mois dans cette prison…tu comprends. Nous cherchons la liberté, nous demandons de l’aide. »
« Mon nom est Foussa, Je suis venu en Libye il y a 3 mois, je vis en Libye, je travaille. Je suis venu avec mes amis. Hier, nous revenions du travail lorsqu’ils nous ont arrêtés. Ils nous ont pris tous nos biens, nous n’avons plus rien… et l’eau ici, c’est de l’eau salée. Nous sommes perdus ici, nous ne mangeons pas bien, s’il vous plait, nous demandons au gouvernement de ce pays de venir nous aider et de nous laisser rentrer chez nous dans notre pays. Nous demandons la liberté. Je prie le gouvernement de ce pays de nous aider. S’il vous plait, nous demandons du secours, s’il vous plait. »
« Si j’ai l’opportunité de travailler encore en Libye je le ferai, si j’ai cette chance, je travaillerai, je suis maçon, je suis un bon travailleur. »