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NOYAUZERONETWORK.ORG / GENEVA, SWITZ.
Boris Blog. Les trois Genève Internationales pourront-elles jamais s’entendre ?

Genève dans la lune. Quand on parle de la Genève Internationale, on pense à l’Onu et ses agences, voire aux organisations « non gouvernementales » qui s’agitent autour ; puis à d’autres géants hors l’Onu, comme la Croix-Rouge, l’Organisation mondiale du commerce et le Cern.

On oublie, en général, le troisième pôle, qui aborde le plus de sujets et voit défiler le plus de monde : Palexpo, et le Centre international de conférences. Ces trois pôles pourraient avoir de fabuleuses « synergies », moins par leurs (rares) qualités que par leurs (nombreux) défauts.

Je n’aime pas le Cern… j’aime bien l’Onu… et pourtant, l’Onu a souvent tort, et le Cern, toujours raison. Sans doute que j’attends plus du Cern que de l’Onu. Que croit faire l’Onu, que dit faire le Cern ?

Pas si bigotes que ça, les dames d’église.

L’autre jour, me faufilant entre la Croix-Rouge et le Palais des Nations avec un groupe en visite à Genève, je me suis pris à dire du bien de l’Onu : les contacts qu’on y fait avec la « société civile » aux « événements parallèles »… les fresques de José-Maria Serts à la Salle Francisco da Vitoria, et même la valeur de ses experts, même s’ils sont bien mal employés. Cette fois, c’est de dames bien sages du groupe que je guidais – des protestantes romandes – que vinrent les mots rebelles : « Du blabla, tout ça ! ». A quoi je me suis permis de répondre « C’est leur métier, de blablater sur le Bien… vos Eglises font de même ». Le cadre du débat est posé…

Toute valeur a ses interdits.

« Je suis contre la démocratie… je ne crois pas à l’égalité des races… la femme égale mine la paix des familles » : ces propos – rappelés de mémoire vingt ans après – ont renversé des tables au « Café Philo » où ils ont été dits : on se serait cru en pleine « Affaire » (voir la planche de Caran d’Ache). Passe encore pour la philo en herbe aux Eaux-Vives, mais la Genève Internationale fait carrière sur « la paix », « les droits humains », « le développement » : au Palais des nations, vous ne pourriez sans doute pas énoncer même un seul des trois blasphème sans qu’arrive la garde armée. La « communauté internationale » s’accroche d’autant plus fort à ses Evangiles qu’il ne lui reste pas grand-chose d’autre. Lâche arrivisme, ou dernier espoir ? Et d’abord, que disent en gros ces Evangiles, écrits entre le Siècle des Lumières et l’Après-Guerre ?

L’animal dressé est-il moral ?

L’esprit des droits de l’homme, c’est un peu la morale de l’instit, qui se voit comme la fin du progrès des siècles. Une vision du monde de lettré, qui lui donne le beau rôle, et mettrait sous des images d’Epinal les légendes qui suivent. « Les milliards d’actes cruels de la vie sauvage – des insectes aux renards – n’ont plus leur place chez l’animal redressé qui a inventé le Bon Dieu, a écrit Le marchand de Venise, et a percé le Canal de Suez. » « Si les Lois divines, les Belles Lettres et les Ponts de l’Amitié ne suffisent plus à conjurer le Mal (l’égoïsme et l’ignorance), les Droits de l’Homme le feront. » « N’ayez crainte, les mânes des Grands Esprits – ceux qui ont tué les Dragons de Louis à Hitler – siègent au Conseil de Sécurité. » Voilà en gros l’Evangile ou le Si Chou des Temps Modernes ; mais peut-on faire grief à tous nos grands esprits et à toutes nos grandes âmes de rouler pour le Bien ?

Des ciseaux qui crèvent l’œil

Hélas ! peut-on fermer les ciseaux, formés par les deux droites des rêves et des faits, en disant que c’est un couteau ? Et en coupant court aux questions en clamant que les doutes seront levés par les cents prochaines réunions ? Rien ne fend plus le cœur que voir la bonne crème de nos grandes écoles s’atrophier le mental en scandant les slogans maison. Trois exemples récents parmi mille… Un rapport de l’Organisation mondiale de la santé sur le suicide : l’expert dit que, bien sûr, c’est au Sud qu’on se suicide le plus ; les dix pages chiffrées du rapport disent tout le contraire… peu importe, on doit poser à l’ami des pauvres. De même, on aime bien fredonner que, « dans les guerres, la première victime est la femme », ce qui est une énormité.

Les idées toutes faites sont-elles réelles ?

Séminaire du Service de communication de l’Onu sur le « reportage constructif » contre le goût des médias pour le noir : les chiffres rassurants sur la sécurité – donnés par l’orateur – s’avèrent tous faux (à qui se donne la peine de vérifier)… qu’importe, le message « positif » est passé. Partagée avec les cercles académiques et la société civile, une demie contre vérité reprise l’autre jour par la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement : la tutelle de la finance sur « l’économie réelle ». Or, dans la liste « Forbe’s » des cent hommes les plus riches du monde, moins d’un sur dix est dans la finance… et encore, une finance investie dans le « réel » ; et en Suisse – pays des banques – la finance ne pèse plus guère en bourse à côté de l’industrie. On pourrait poursuivre sans fin les exemples de messages édifiants mais défiant la réalité. Qui se venge tôt ou tard : « Les faits sont têtus », disait Vladimir Illitch Oulianov.

Le fil à couper le beurre va sauver les pauvres.

Les agences les plus techniques – comme l’Union internationale des télécommunications – n’échappent pas à cette dictature de la photo arrangée. La Société de l’information y est vue à travers un seul prisme : « Itc4D »… les technologies de l’information et de la communication au service du développement. Que le développement des pays pauvres, d’une part, et le classement raisonné du savoir humain, d’autre part, soient deux questions distinctes… qui peuvent converger mais diverger, on ne veut pas le savoir. L’essentiel est de faire croire que l’Onu par son bras télécom va ouvrir les portes du paradis aux peuples qui se donneront à la science. Que dirait-on si les congrès de photonique ne parlaient plus que de droits de l’homme, et ceux d’archéologie, que de droits des femmes ?

Les logarithmes sont-ils vrais ?

Si l’Onu prêche le faux pour la bonne cause, au Cern, c’est l’inverse, et l’un dans l’autre, ça peut se compenser. Le Cern a toujours raison, jusqu’à cent chiffres après la virgule… qui est, en gros, la précision requise pour tester la fameuse « théorie des cordes ». Quand le Cern dit que « la découverte du boson scalaire explique enfin le pourquoi de la masse », il dit sans doute vrai… même si l’enfant qui demande « et quel est le pourquoi du boson ? » pose une question légitime (même si les « causes » et « origines » de la physique ont un formalisme de professionnels). Personne ne conteste que le Cern maîtrise bien les abstractions mathématiques et les constructions électriques. Le problème est ailleurs, et est d’ailleurs insoluble : l’Humanité peut-elle se contenter de recevoir des cadeaux du Cern, comme la « particule de Dieu » ? Ou doit-elle entrer dans l’aventure de la science, et comment ?

Démonstration logique ou de force ?

La Révolution Industrielle a aussi produit son Evangile, qui dit, en gros, ceci : « Des Héros modernes ont repoussé les frontières de l’Univers, mais nous pouvons rester aussi près du Ciel en montant sur leurs épaules ; les meilleurs réussiront cet exercice, et décrocheront des étoiles pour que ceux restés à terre aient tout de même un peu de lumière, et fassent de leurs enfants les futurs Héros ». Mais là aussi, l’Evangile est pris en défaut : Même au Cern, le méga savoir obscurcit souvent le Ciel, et des physiciens avouent après un siècle qu’au fond, « nous n’avons jamais bien compris la théorie des quantas ». En clair, parler coréen ou sumérien quand les autres l’ignorent ne garantit pas qu’on aille écrire de grandes œuvres. Les savants aiment dire qu’ils sont poussés en avant par le doute, mais le Cern livre au public des vérités révélées, c’est le cas de le dire.

Le binaire est-il logique ?

« Fantastique ! »… « Magnifique ! » étaient les mots ressassés par une pro de la comm à un récent sommet genevois de l’Agence spatiale européenne, « fille aînée du Cern », disait Rolf Heuer qui était au podium. Aux conférences de presse du Cern, le journaliste qui s’éloigne de ces deux mots fétiches est pris de haut, et pris pour un con. Un homme incarnait le doute, dans la mouvance du Cern : le génie de la « comm » Rafel Carreras, qui n’a jamais été bien compris de la maison. Le programme du 60aire de l’organisation est conçu, non pour instiller au public le goût du paradoxe, mais pour épater la galerie. Quant à la rengaine sur « le Web inventé au Cern », c’est comme dire que c’est la Great Eastern Railway qui a « inventé » la voie de quatre pieds huit pouces. Rien n’est moins « scientifique » que l’obsession de la « comm » (voir aussi « Science Comm’14 »), qui est en train de faire perdre au Cern son esprit, sinon sa flamme. Jupiter aveugle – fut-ce par des éclairs de lumière – ceux qu’il veut perdre.

Vrai ou juste… juste ou vrai ?

Bref, les grandes institutions scientifiques comme le Cern – malgré leur capacité à dire le vrai en détail – sont de plus en plus momifiées par la seule certitude qu’elles ne mettent pas en doute : leur supériorité culturelle. Malgré ce travers, qui leur sera sans doute mortel un jour, elles ne tombent pas dans le travers des contre vérités factuelles, dénoncées plus haut à propos de l’Onu. Malgré la cour que se font, ces jours, le Cern et l’Onu, on peut espérer qu’assez de dissensions resteront dans le couple pour que le Monde se voie en deux dimensions. C’est un peu l’équilibre des pouvoirs, où l’Onu joue la carte du Parlement et le Cern, celle de la Justice. Il manque l’Exécutif, que je mettrais volontiers entre les mains des entrepreneurs qu’on voit aux salons de Palexpo. Mais là, il manque encore un interface.

Boris Engelson

 

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