NZNTV

NOYAUZERONETWORK.ORG / GENEVA, SWITZ.
Music: Une artiste durable? Anna Calvi, singer.

Interview. Erigée en tant que grande révélation il y a deux ans par des indie rockers et des vieux messieurs journalistes qui voyaient en elle une néo-PJ Harvey, Anna Calvi enfonce le clou avec One Breath, un second album romantique, habité et fiévreux. Nous avons discuté avec la petite chérie du rock anglais de son attachement pour la France, de la place des femmes dans la musique et, contre toute attente, des fesses de Miley Cyrus.

Tu as déclaré que sans créativité, tu ne sais pas comment tu pourrais survivre. Pour toi, il était donc évident dès le début que tu deviendrais une artiste ?
Anna Calvi : Quand j’étais enfant, je dessinais beaucoup et je jouais de la guitare, c’était ce que j’aimais faire le plus au monde et je ne me posais pas de questions.

Tes concerts sont assez dramatiques et plutôt intenses. Tu n’as jamais envisagé de devenir actrice ?
Quand je suis sur scène, je suis absolument et authentiquement moi-même, je ne joue pas alors je ne ressens pas le besoin de jouer.

Tu as déclaré qu’hormis à travers la musique, il t’est difficile de communiquer avec les gens. Est-ce que jouer sur scène t’a aidé dans la vie pour combattre ta timidité ?
Probablement que lorsque j’ai commencé à chanter, ça m’a beaucoup aidé, oui. Mais maintenant, ça fait partie intégrante de moi, donc je ne sais plus trop si ça m’affecte autant.

Tu as aussi dit que le cinéma t’inspire, mais que ton nouvel album est plutôt inspiré par ta vie personnelle ?
Cet album est plus personnel, mais j’ai quand même puisé l’inspiration dans plein d’autres choses.

Alors quels films ont pu par exemple t’inspirer ?
Je ne saurais pas te dire exactement lesquels, mais il y a tout de même ce film, Sans Soleil (le documentaire de Chris Marker, ndlr) qui m’a beaucoup touchée : il est très profond, les dialogues sont fous. Il s’agit d’une femme qui lit des lettres que quelqu’un a écrit, ça parle de la mémoire, de la culture, l’ensemble est très inhabituel et très poétique. L’un des thèmes de mon album est la mémoire, donc il entre en résonnance avec ce film.

Serais-tu intéressée par composer un jour une bande-originale de film ?
Oui, j’aimerais beaucoup en écrire une.

Pour quels réalisateurs ?
J’aime beaucoup Wong Kar-Wai, je trouve ses films merveilleux.

J’ai vu Chunkging Express pour la première fois il y a deux mois, je dois dire que ce fut un choc pour moi au sens où ce film est vraiment à part, il est très poétique et hors du temps. Si tu devais me suggérer de voir un autre film de lui, lequel me conseillerais-tu ?
Happy Together ou 2046. En fait, le seul que je n’ai pas aimé était My Blueberry Nights : je n’aime pas qu’il utilise des acteurs américains. C’est trop occidental et ce n’est pas forcément ce qui lui convient.

Est-ce que par le biais de tes chansons, tu arrives à dire des choses que tu ne pourrais pas exprimer dans la «vraie vie» ?
A vrai dire, je suis assez bonne pour exprimer mes sentiments auprès des personnes que j’aime et en qui j’ai confiance. Mais c’est plus direct au travers de la musique. Je m ‘exprime mieux en musique, c’est plus extrême et plus profond, il n’est plus juste question de mots car les mots sont limités.

Il paraît que tu fus touchée par une dépression ?
Non, en réalité je n’ai jamais dit ça – il s’agit d’une invention du NME.

Ah, pardon. Mais du coup, que penses-tu de la presse musicale anglaise qui, justement, fait beaucoup dans le sensationnalisme ?
Je trouve la presse française meilleure, elle n’est pas sensationnaliste et n’est pas en permanence à la recherche du « meilleur groupe du monde ». C’est tellement débile ce truc… si tu regardes un réalisateur, on ne dira jamais que son premier film est le meilleur, au contraire, il est entendu qu’a priori, on s’améliore avec le temps – hé bien curieusement, ce n’est pas quelque chose que les gens semblent appliquer à la musique. En Angleterre, tout le monde s’excite sur ton premier album, et puis on passe à autre chose. Il y a une obsession pour la jeunesse.

Oui, quelqu’un avait dit que l’Angleterre est obsédée par la jeunesse ou la mort…
(Rires)

Y a-t-il un ou une artiste en particulier dont la carrière t’inspire ?
David Bowie, sans la drogue ! (Rires) Il a fait tant d’albums différents, il est un véritable artiste, il peut tout faire mais il a juste jeté son dévolu sur la musique en tant que moyen de communication. J’admire aussi la carrière de Kate Bush : elle s’en va pendant plus de 11 ans puis revient en toute sérénité… c’est génial.

Tu apprécies donc les gens mystérieux.
Oui, c’est fascinant. Kate Bush est fascinante : elle a toujours un public fidèle qui suit religieusement ce qu’elle fait. Combien d’artistes peuvent-ils se targuer d’avoir droit à ce même privilège ? Son œuvre est tellement impressionnante, elle est une icône en Angleterre.

Tu as été comparée à PJ Harvey et Patti Smith. Avais-tu des idoles féminines quand tu étais plus jeune ?
Non, pas vraiment, moi, c’était plus David Bowie et Jimi Hendrix qui m’obsédaient. Après, quand j’ai commencé à chanter, Maria Callas et Edith Piaf se mirent à prendre beaucoup de place dans ma vie. Elles m’inspiraient à l’époque et elles continuent de le faire aujourd’hui, mais tout comme Elvis d’ailleurs. La comparaison avec PJ Harvey surgit uniquement parce que je suis une fille qui joue de la guitare.

Oui, c’est quasi-inévitable ce genre de choses, ce sont des raccourcis journalistiques comme on dit…
Oui, mais d’un certain côté je trouve qu’elle est très douée, je ne me sens pas insultée par ce genre de comparaisons. Ce n’est pas un problème en soi, je pense juste qu’il s’agit d’une facilité. Au début, j’avais peur que les gens ne comprennent pas ma musique car ma musique n’a rien à voir avec la sienne. Mais maintenant, j’ai saisi que les gens utilisent ce recours à elle histoire de trouver un angle, un point d’appui. D’ailleurs, elle-même a dû subir le même type de comparaison pendant des années avec Patti Smith. L’idée qu’on ne puisse être comparé qu’à un artiste de son propre sexe est une hérésie. Comme si la personnalité et la sensibilité avaient forcément à voir avec le genre… ça n’a aucun sens.

Penses-tu que le music business est misogyne ?
Je pense, oui. Nous avons eu droit à des avancées significatives dans la société mais il y subsiste toujours un résidu de sexisme. Surtout dans des milieux très masculins comme la musique.

Que penses-tu de toute la médiatisation autour du «scandale» Miley Cyrus ?
Vu que tout le monde ne parlait que de ça, j’ai visionné sa performance aux MTV Music Video Awards, et je dois dire que je ne comprends pas du tout le «buzz» qu’on en a fait autour : elle ressemble simplement à une fille qui danse dans sa chambre à coucher, ce qui n’a d’ailleurs rien de très sexy. Justement, j’ai lu que Miley Cyrus a déclaré ne pas avoir cherché à être sexy lors de son spectacle, et je dois dire que je la crois sur parole – ou alors elle est très mauvaise danseuse ! (Rires) Franchement, on dirait juste une gamine qui sautille dans sa chambre, je ne comprends pas pourquoi toute cette affaire a été montée en épingle comme ça. C’est ça qui me gêne. Non pas que cette performance soit particulièrement à mon goût ou que je la trouve de bon goût d’une manière générale, puisque je pense d’ailleurs qu’elle aurait dû se contenter de ne pas la faire sortir de sa chambre… Mais j’espère surtout qu’elle va bien. J’espère qu’elle a sa carrière bien en main et qu’elle n’est pas manipulée ou diminuée par un vieux mec qui veut la foutre à poil, histoire de lui faire vendre plus de disques.

Apparemment, selon elle, le but de tout ce barnum est de s’émanciper de son image héritée de Disney.
Oui, mais c’est bien dommage de le faire de cette manière-ci. Il y a d’autres façons largement plus efficaces pour se rebeller que de se mettre à poil.

Comment expliques le lien si spécial que tu entretiens avec la France ?
Oui, c’est vrai que je me sens liée à la France par quelque chose de particulier. J’ai enregistré une partie de l’album en France, à côté d’Angers au studio Black Box qui est très beau : c’est un studio situé au milieu de nulle part dans la campagne, ça fait du bien. En revanche, je ne saurais pas franchement expliquer les raisons de mon succès en France – c’est aux Français qu’il faut poser la question ! Une raison possible qui me vient à l’esprit comme ça, c’est peut-être que ma musique est romantique et que les Français le sont aussi.

Etais-tu particulièrement attirée par la culture française quand tu étais jeune ?
Mes parents parlent français, et ils parlaient en français et en italien quand ils ne voulaient pas que je comprenne ce qu’ils disaient ! (Rires) Du coup, j’ai grandi avec du français à la maison. J’ai toujours aimé Edith Piaf et les chanteurs français en général. Je suis heureuse que mon album ait bien marché ici. Il est très agréable de faire des tournées en France, les gens vous traitent beaucoup mieux qu’en Angleterre où ils n’en ont rien a foutre de toi et où il est quasiment impossible d’obtenir ne serait-ce qu’une bouteille d’eau !

As-tu vu le biopic sur Edith Piaf avec Marion Cotillard, et l’as tu aimé ?
J’ai aimé ce film, mais de mon point de vue de chanteuse, j’aurais apprécié que l’on y évoque plus son évolution en tant qu’artiste et un peu moins sa vie privée.

Jusqu’à présent, quels furent les hauts et les bas de ta carrière ?
Avant de signer un contrat avec ma maison de disque, c’était très difficile : tu joues pour des gens qui n’en ont rien à foutre de ta gueule et tu n’as aucun moyen de savoir si tu as un avenir dans ce milieu… c’était très dur moralement. Je me demandais tous les jours ce que j’allais faire de ma vie. Depuis que j’ai signé, je vis une expérience incroyable et mes conditions de vie se sont vraiment améliorées.

++ Sorti chez Domino, One Breath, son deuxième opus, est disponible depuis le 7 octobre dernier. L’album est également en écoute intégrale sur Deezer.

Sarah Dahan // Crédit photos : Roger Deckker.

Leave comment

Your email address will not be published. Required fields are marked with *.