Gianni Dagli Orti/Aurimages

La grande bouffe, de la Renaissance à Instagram

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Publié le 29 juillet 2016 à 06h35 - Mis à jour le 30 juillet 2016 à 14h31

Cinq fruits et légumes par jour, déjà, dans la peinture flamande du XVIIe siècle. (Osias Beert, au Musée des beaux-arts de Grenoble.)
Cinq fruits et légumes par jour, déjà, dans la peinture flamande du XVIIe siècle. (Osias Beert, au Musée des beaux-arts de Grenoble.) Gianni Dagli Orti/Aurimages

Cet été, tout comme il y a un an, les réseaux sociaux continueront à se remplir de photos de homards grillés et de cupcakes… Certains y verront le signe d’une ultime décadence, d’un Occident gavé qui ne voit pas plus loin que le bout de son assiette. Des chercheurs américains y discernent au contraire le prolongement d’une fascination historique.

Pour leur étude, « 500 ans de Pornfood », ils ont passé en revue ce qui figure sur la table des grandes peintures, de la Renaissance au XXe siècle. Conclusion : on n’a pas attendu Instagram pour mettre en scène une nourriture outrageusement appétissante ou chargée d’en mettre plein la vue à qui douterait de notre statut social.

« Ces tableaux nous donnent une idée de ce que les foodies auraient posté sur Snapchat pendant la Renaissance. » Andrew Weislogel, curateur du Johnson Museum of Art de l’université Cornell

« Ces tableaux nous donnent une idée de ce que les foodies auraient posté sur Snapchat pendant la Renaissance », nous explique Andrew Weislogel, curateur du Johnson Museum of Art de l’université Cornell (Etat de New York).

Pour conduire leur recherche, Brian Wansink, Andrew Weislogel et Anupama Mukund ont feuilleté des livres d’art américains et européens puis ils ont sélectionné 750 tableaux de cinq pays représentant des repas. Ils ont éliminé les trop gros banquets où les plats semblaient difficiles à identifier. Sur les 140 peintures restantes, ils ont compté tout ce qui se mangeait.

Toutes sortes de stimuli

De quoi remettre à leur place ceux qui sont convaincus que les anciens mangeaient plus équilibré. Seuls 19 % des tableaux montrent des légumes (15 % en France) alors que 54 % comportent du pain et des pâtisseries. « Depuis toujours, les peintres mettent en scène les aliments contre lesquels les régimes nous mettent en garde : du sel, de la charcuterie, du pain… », constate Brian Wansink, le responsable de l’étude.

Hier comme aujourd’hui, les aliments les plus représentés ne sont pas ceux que nous consommons le plus couramment.
Hier comme aujourd’hui, les aliments les plus représentés ne sont pas ceux que nous consommons le plus couramment. Pieter Claesz (1597-1660) - Aurora/hemis.fr - Jean Daniel Sudres/Voyage gourmand

Ce scientifique s’est bâti une solide réputation en recherche nutritionnelle grâce à une batterie d’expériences prouvant qu’on ne s’alimente pas pour se nourrir mais en réponse à toutes sortes de stimuli.

C’est déjà lui qui, dans son laboratoire, a mis à table des mangeurs devant des bols sans fond pour mesurer à partir de quand les sujets cessaient de manger ; ou qui a conduit une étude constatant une augmentation de 65 % de la taille des assiettes dans les représentations, au cours du dernier millénaire, de l’ultime repas du Christ.

Afficher son statut social

Leur analyse quantitative montre que la nourriture représentée sur ces 500 ans de tableaux ne reflète pas plus la réalité de l’alimentation de l’époque que les assiettes « instagramées » d’aujourd’hui.

A regarder ces peintures, on pourrait croire que l’artichaut était le légume le plus couramment répandu. « J’imagine que, pour un peintre, l’artichaut présente un grand intérêt visuel. Avec ses pétales, qu’il soit fermé ou ouvert, il est sûrement plus intéressant à peindre qu’un concombre », remarque Andrew Weislogel. Une réflexion qui peut aussi bien expliquer le succès du chou romanesco sur Instagram.

« Il y a 350 ans, les mêmes forces influençaient ce que l’on représentait dans les peintures. » Andrew Weislogel, université Cornell

Ce qu’on mangeait le plus fréquemment autrefois – poulet, œufs, cucurbitacées – est le moins représenté. Dans la peinture hollandaise du XVIIIe siècle, les citrons, très présents, tiennent une plus grande place que les légumes ordinaires de l’époque.

« Ils donnaient de l’allure. Produits exotiques, ils symbolisaient la nouvelle force hollandaise dans le commerce. C’était presque une déclaration nationaliste… Ils ajoutaient aussi en sensualité avec le goût et l’odeur du citron… », poursuit le chercheur.

On trouve des fruits de mer – particulièrement du homard – dans 22 % des tableaux – et notamment dans la peinture allemande – alors qu’ils étaient inaccessibles pour l’essentiel de la population. Un peu, finalement, comme les assiettes d’Alain Ducasse, plus présentes sur les réseaux sociaux que dans nos menus.

Montrer sa nourriture était déjà une façon d’afficher son statut social. Andrew Weislogel refuse de s’en étonner : « Il y a 350 ans, les mêmes forces influençaient ce que l’on représentait dans les peintures… Notre société n’est pas plus extrême. »

« Food Art Does Not Reflect Reality : A Quantitative Content Analysis of Meals in Popular Paintings. »

Lire aussi : A la Renaissance, le repas est un spectacle

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