
« Le Monde » explore l’univers et les moments clés d’un écrivain à la fois à côté du monde et au cœur de son époque. Episode 1/6.
Et si on prenait un peu d’altitude ? Si l’on s’envolait de quelques étages pour raconter Houellebecq ? Une tour haute comme un gratte-ciel, dans le XIIIe arrondissement de Paris. De ce sémaphore seventies, l’écrivain a fait son refuge. A son pied, des vendeurs de courges, de melons d’eau, de bouquets de ciboulette, de cerfeuil et d’aneth. Pas très loin, Tang, ses nouilles chinoises, ses fruits bizarres ; puis le supermarché du boulevard Auriol où le plasticien Jed échange avec la caissière de La Carte et le territoire sa seule parole « sociale » de sa journée, « non », lorsqu’elle lui demande s’il a la « carte Club Casino ». Au bout de l’avenue, le centre commercial Italie2, ses magasins de lingerie et son repaire de geeks, L’Homme moderne, où l’écrivain achète ses cadeaux et où flâne aussi François, le prof de Soumission.
Du haut de sa tour, l’écrivain pourrait dominer Paris. Profiter d’un « panorama exceptionnel», comme disent les agences immobilières, petites annonces et autres notices qu’il aime tant décortiquer. Mais l’appartement regarde davantage vers le périphérique que vers la capitale. « Il m’a expliqué qu’il ne voulait apercevoir aucun monument parisien », raconte le journaliste Sylvain Bourmeau, qui fut longtemps son confident. En Irlande, il s’était installé dans un lotissement sans âme, plein d’étranges sens giratoires, près de l’aéroport de Shannon. De son autre logement, un ancien bed and breakfast (« The White House »), on apercevait à peine la mer. En Espagne, où il a poursuivi ses douze années d’exil, « son bureau était installé au sous-sol » de l’appartement, confie Marie-Pierre Gauthier, sa seconde épouse, dont il est séparé.
Dans le monde, hors du monde : Houellebecq raffole des contradictions. Houellebecq est un déménageur qui aime les paysages de la banalité, « le seul à les raconter et en voir le romantisme, comme Tarkovski au cinéma ou Caspar Friedrich dans ses peintures », dit Arielle Dombasle, son amie. A son retour en France, il y a trois ans, il a écumé les Citadines de la capitale. Les appart-hôtels sont des logements pour sédentaires-nomades un peu perdus, les palaces de la post-modernité, au fond, pour artistes qui hésitent entre marge et intégration. Ceux de la place d’Italie et de la rue Esquirol toute proche lui avaient particulièrement plu. « Le bord du périph, c’est pratique : je prends ma bagnole et je file », explique le romancier à ses amis. A l’image du héros de Soumission après l’élection présidentielle de 2022, lorsque son pays se retrouve aux mains du Parti musulman.
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