L’avis du « Monde » : à voir
Aux Etats-Unis, le succès d’American Sniper – plus de 300 millions de dollars (263 millions d’euros) de recettes en un mois d’exploitation – a été comparé à celui de La Passion du Christ, de Mel Gibson, en 2004. On a vu dans les salles américaines un public qui se méfie d’Hollywood et de ses valeurs perverties. Soutenu par les commentateurs conservateurs de Fox News, vilipendé par des politiciens libéraux comme l’ancien candidat démocrate à la présidence Howard Dean, American Sniper a été adopté par l’Amérique patriotique des « Etats rouges » (républicains), comme le fut, il y a une décennie, la Passion sulpicienne aux relents antisémites de Mel Gibson.
Il était simple de réduire La Passion du Christ à l’idéologie de son auteur, tant le film était univoque. Ce serait une erreur de procéder de la même façon avec American Sniper. D’abord parce que Clint Eastwood est une créature politique difficile à appréhender en utilisant les catégories partisanes. Surtout parce que Clint Eastwood est un artiste et que l’art ne peut se réduire à un propos. Ce film trouve sa place entre deux chefs-d’œuvre, Impitoyable et Grand Torino, une méditation sur le sens de la guerre – le diptyque d’Iwo Jima, et un film résolument militariste – Le Maître de guerre.

« Légende »
En apparence, c’est à ce dernier titre – qui célébrait l’invasion américaine de l’île de la Grenade – qu’American Sniper ressemble le plus. Le sous-officier de fiction a laissé sa place à un personnage historique, Chris Kyle. Tireur d’élite à qui l’armée américaine attribuait la mort de 160 cibles humaines irakiennes, Kyle en revendiquait 255. Il s’était vu attribuer le sobriquet de « Légende » au fil des quatre missions qu’il a accomplies, de l’invasion américaine de l’Irak en 2003 à sa démobilisation en 2009. Déjà entretenue par les médias américains, sa notoriété est devenue célébrité après la publication de ses mémoires en 2012. Un an plus tard, Chris Kyle tombait dans un stand de tir du Texas, sous les balles d’un autre ancien combattant.
Le scénario d’American Sniper est tiré de l’autobiographie de Kyle, et ne s’écarte jamais du point de vue d’un Texan qui s’est engagé après les attentats de 1999 contre les ambassades américaines en Afrique de l’Est. Se refusant, parfois très énergiquement, à remettre en question les raisons de sa présence dans un pays si éloigné du sien, ce modeste héros ne se soucie pas d’autre chose que de la protection de ses camarades qui fouillent les maisons de Ramadi, Fallouja ou Sadr City pendant qu’il abat, depuis un toit voisin, tout individu qui pourrait compromettre leur sécurité.
Il vous reste 51.79% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.