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NOYAUZERONETWORK.ORG / GENEVA, SWITZ.
Migration. Abus sexuels, extorsion, recours à l’IA… Les nouvelles pratiques des passeurs

HAWALA Un rapport d’Europol révèle les méthodes choquantes des passeurs qui acheminent les migrants depuis la Syrie, le Maroc ou la Russie.

  • Les passeurs exploitent l’instabilité géopolitique avec des réseaux criminels diversifiés et mondialisés.
  • Les tarifs varient entre 200 et 20’000 euros selon les routes et services proposés.
  • Les trafiquants utilisent l’intelligence artificielle pour promouvoir leurs services sur les réseaux sociaux.

«Les trafiquants de migrants exploitent l’instabilité géopolitique actuelle avec une agilité sans précédent». Dans un nouveau rapport, Europol revient sur les méthodes qu’emploient les passeurs de migrants pour convaincre, puis contrôler, les individus qui contractent avec eux afin de débarquer en Europe. Ses conclusions sont édifiantes: ces trafiquants d’êtres humains sont prêts aux pires exactions pour récupérer quelques dizaines de milliers d’euros par voyage.

Ce 9e rapport d’activité du Centre européen du trafic de migrants, créé en 2016 et rattaché à l’agence de police criminelle, revient dans un premier temps sur son activité débordante en 2024, dernière année pour laquelle les données sont consolidées. Le centre a ainsi soutenu pas moins de 266 opérations contre les trafiquants de migrants, organisé 48 journées d’action pour démanteler des réseaux criminels, et reçu 14’000 messages «Siena» de la part des autorités européennes. Les messages «Siena», pour «application de réseau d’échange sécurité d’informations», ont drastiquement augmenté ces dernières années, passant de 2072 en 2016 à 14’000 en 2024, signe de la lutte renforcée contre les passeurs dans toute l’Europe.

Capables de fournir des logements… et des femmes

Mais au-delà de ces chiffres, Europol a déterminé plusieurs nouvelles «tendances» criminelles chez les trafiquants de migrants. La première d’entre elles n’est nulle autre que la «mondialisation» et la «diversification» de leurs réseaux criminels à travers, notamment, l’Europe et l’Afrique du Nord. «Chaque segment de la chaîne criminelle le long des routes de contrebande est géré par différents acteurs (passeurs locaux et criminels), tandis que la direction et les opérateurs clés sont souvent basés en dehors de l’UE, ce qui permet aux réseaux de rester opérationnels même lorsqu’une partie est démantelée», souligne Europol dans son rapport.

Autrement dit, les plus importants réseaux ont la capacité de guider des migrants de la Syrie jusqu’à la France, du Maroc jusqu’en Espagne ou de la Russie à la Suède; de produire des faux passeports au Pakistan et de les envoyer par avion en Norvège ou au Danemark; de fournir des logements «sécurisés» dans toute l’Europe; et même de trouver et de payer des femmes afin de les embarquer dans des mariages forcés. Dans un rapport-choc publié fin 2024, l’ONU alertait déjà de kidnappings sur les routes migratoires en Afrique ou au Moyen-Orient, où certaines migrantes étaient ensuite «forcées de se marier» avec le commanditaire de leur enlèvement «et d’avoir des enfants avec».

Les passeurs «développent des structures organisationnelles adaptées à leurs besoins spécifiques, telles que la création de cellules dédiées au recrutement, au transit et à l’exploitation», peut-on lire dans le rapport d’Europol. Ils basculent également régulièrement dans la polycriminalité. Europol cite notamment l’exemple d’un groupe criminel «majoritairement composé de ressortissants chinois, impliqués dans l’exploitation sexuelle, le blanchiment d’argent, la fraude et la facilitation de la migration irrégulière». Ce groupe, démantelé en décembre 2024 en Espagne et en Croatie, forçait ses 33 victimes à se prostituer sur tout le continent.

L’agence policière revient d’ailleurs dans un graphique détaillé sur les diverses routes qu’empruntent les migrants en Europe, et les tarifs associés. Un individu voulant rejoindre Chypre depuis la Syrie devra donc débourser entre 200 euros et 10’000 euros, selon le danger du trajet, les services proposés et le nombre de contrôles policiers à éviter. Un autre qui souhaite gagner l’Italie depuis la Turquie sera forcé de payer un minimum de 5000 euros. Pour rejoindre la Finlande depuis la Russie, un migrant devra débourser entre 1500 et 5000 euros. Les traversées de la Manche, et de la Méditerranée entre le Maroc et l’Espagne, sont les plus onéreuses, pouvant coûter de 10’000 à 20’000 euros. Autres tarifs affichés: une fausse carte d’identité coûte entre 500 et 3000 euros, un logement, un vol et un passeport depuis la Grèce vers d’autres pays de l’Union européenne (UE) entre 3000 et 5000 euros, et une femme… entre 1000 et 2500 euros.

Recours à l’IA et à l’hawala

Tout cet argent ne peut être transféré en liquide ou via le système bancaire traditionnel. Les passeurs envoient l’argent des migrants et de leurs proches via l’hawala, un système de paiement traditionnel qui passe par de multiples intermédiaires dans plusieurs pays. Par exemple, une personne a besoin d’envoyer de l’argent à Londres depuis Islamabad, au Pakistan. Il va contacter un «hawaladar», généralement un commerçant, lui donner une somme et convenir d’un mot de passe. Cet «hawaladar» va ensuite contacter l’un de ses confrères, à Londres, et le prévenir que le destinataire de cet argent va prochainement venir le récupérer. Celui-ci devra alors communiquer le mot de passe qu’il a reçu de l’envoyeur. Les deux «hawaladars», de leur côté, régleront leurs dettes soit en s’envoyant de l’argent, en important ou en exportant des biens locaux et, parfois, des produits illicites.

Mais désormais, les passeurs ont de plus en plus recours aux cryptomonnaies. «Certains systèmes hawala intègrent les cryptomonnaies, tandis que d’autres réseaux s’appuient sur des courtiers en crypto, des services de transport de fonds ou la conversion de cryptomonnaies en argent liquide», avance Europol. Et ils n’hésitent également plus à blanchir l’argent transféré en investissant en Europe dans des sociétés écrans légales, telles que des agences de voyages ou immobilières.

Les passeurs ne cessent d’exploiter les «nouvelles technologies dans tous les aspects de leurs activités criminelles», précise Europol, qui indique également que certains réseaux se sont inspirés des influenceurs sur les réseaux sociaux pour créer de véritables «académies», dans lesquelles des malfaiteurs novices apprennent auprès de criminels expérimentés comment promouvoir leurs services auprès d’individus potentiellement intéressés à émigrer. Pour ce faire, les passeurs n’hésitent plus utiliser «l’IA pour générer des publicités dans différentes langues», qu’ils diffusent ensuite sur les réseaux sociaux et les plateformes de messagerie chiffrée comme Telegram.

«La violence comme modèle économique»

Dernier volet du rapport: la violence qu’exercent «de plus en plus» les passeurs sur les migrants. Les femmes en sont les premières victimes. «90% des femmes et filles se déplaçant le long de la route centrale méditerranéenne sont violées», précisait d’ailleurs l’ONU dans son rapport de 2024. «Les femmes migrantes, en plus d’être violées ou agressées sexuellement par des bandes criminelles ou des passeurs, doivent payer des «pots-de-vin» en réalisant des «faveurs sexuelles», parfois auprès de groupes entiers de migrants», pouvait-on lire. En échange de ces «faveurs sexuelles», les femmes se voient proposer une «protection» et un abri.

Menaces, agressions sexuelles, torture… Selon le dernier rapport d’Europol, les passeurs et leurs réseaux multiplient depuis «récemment» les exactions à l’égard des migrants qui osent se rebeller, mais aussi contre leurs familles, afin de les extorquer de quelques milliers d’euros. Là encore, l’ONU avait souligné quelques années plus tôt avoir retrouvé en Libye «d’innombrables migrants et réfugiés», qui «ont perdu la vie en captivité, tués par des passeurs, après avoir été abattus, torturés à mort ou tout simplement avoir été laissés mourir de faim ou de négligence médicale», selon le rapport. «Dans toute la Libye, des corps non identifiés de migrants et de réfugiés portant des blessures par balle, des marques de torture et des brûlures sont fréquemment découverts dans des poubelles, des lits de rivière asséchés, des fermes et le désert.» Les réseaux criminels emploient également la violence contre d’autres réseaux pour «protéger leur marché», peut-on aussi lire dans la note d’Europol.

Toujours est-il que les plans pour endiguer le trafic de migrants en Europe (notamment l’accord franco-britannique sur les traversées de la Manche) semblent porter leurs fruits. Selon un rapport de Frontex publié en janvier 2025, le nombre d’entrées irrégulières sur le territoire de l’Union européenne en 2024 est au plus bas depuis 2021, avec 239’000 franchissements enregistrés. La route des Balkans a vu son débit réduit de 78%, et la route de la Méditerranée centrale de 59%. Les autres routes, à l’inverse, ont connu une augmentation des passages: + 14% via la route de la Méditerranée orientale et + 18% pour la route de l’Afrique de l’Ouest. Lundi, les 27 pays de l’Union européenne ont également donné un premier feu vert à un durcissement de leur politique migratoire, ouvrant notamment la voie à l’envoi de migrants dans des centres situés hors des frontières de l’UE.

AFP