NZNTV

NOYAUZERONETWORK.ORG / GENEVA, SWITZ.
Abou Mohammed al-Joulani

BIOGRAPHIE Jeunesse et la guerre d’Irak. Abou Mohammed al-Joulani naît à Deraa en 19842. Selon des hauts responsables de l’armée et des renseignements irakiens, Joulani était un professeur d’arabe classique3. En 2003, il se rend en Irak où il combat les forces américaines2.

Il gravit rapidement les échelons d’Al-Qaïda, et aurait été un associé proche d’Abou Moussab Al-Zarqaoui, le dirigeant jordanien de la branche d’Al-Qaïda en Irak. Al-Joulani quitte l’Irak à la suite de la mort d’Al-Zarqaoui, lors d’une frappe aérienne américaine en 2006, et il s’installe brièvement au Liban, dans le but d’offrir un soutien logistique au groupe Jound al-Sham, qui suit aussi l’idéologie d’Al-Qaïda. Il retourne ensuite en Irak pour continuer de combattre mais il est arrêté par les forces militaires américaines qui l’envoient au Camp Bucca, à proximité de la frontière du Koweït, au sud de l’Irak. Dans ce camp, où les forces militaires américaines détiennent des dizaines de milliers de détenus suspectés d’être des combattants, il enseigne l’arabe classique aux prisonniers4.

Al-Joulani reprend ses activités militantes une fois libéré du Camp Bucca en 2008, cette fois-ci avec Abou Omar al-Baghdadi, le dirigeant de l’État islamique d’Irak. Il est ensuite nommé à la tête des opérations de l’EII dans la province du Ninive4.

Fondation du Front al-Nosra en Syrie

En août 2011, quelque temps après le début des manifestations contre le régime de Bachar el-Assad, al-Joulani regagne la Syrie2. Il forme et prend la direction du Front al-Nosra qui annonce officiellement sa fondation le 23 janvier 20122,5,6.

Le 16 mai 2013, al-Joulani est désigné comme « terroriste mondial » par les États-Unis7. La même année, il est placé sous sanctions par l’ONU8 et par la Suisse9.

Rupture d’al-Joulani avec l’État islamique d’Irak

Le 9 avril 2013, Abou Bakr al-Baghdadi, chef de l’État islamique d’Irak (EII), révèle le parrainage du Front al-Nosra par son organisation, caché jusqu’ici pour des raisons stratégiques et de sécurité selon lui, et le choix d’Abou Mohammad al-Joulani pour le diriger10,11. Il annonce alors la fusion de l’État islamique d’Irak et du Front al-Nosra et la formation de l’État islamique en Irak et au Levant12. Mais al-Joulani ne répond pas favorablement à l’appel d’al-Baghdadi : il reconnaît avoir combattu sous ses ordres en Irak, puis d’avoir bénéficié de son aide en Syrie, mais affirme ne pas avoir été consulté à propos de la fusion12,13. Le 10 avril, al-Joulani prête allégeance non pas à al-Baghdadi, mais à Ayman al-Zawahiri, l’émir d’Al-Qaïda12,13. Ce dernier prend le parti d’al-Joulani : il déclare dans une lettre relayée en juin par Al Jazeera que la formation de l’EIIL est invalidée et que le Front al-Nosra demeure une branche indépendante d’al-Qaïda ; il appelle les deux groupes à coopérer et nomme un religieux, Abou Khaled al-Souri, membre d’Ahrar al-Cham, comme médiateur14. Ces déclarations sont confirmées par un document audio diffusé le 8 novembre 2013 : al-Zawahiri réaffirme la dissolution de l’État islamique en Irak et au Levant, l’État islamique en Irak reste opérationnel en Irak et le Front al-Nosra reste opérationnel en Syrie15. Ayman al-Zawahiri reconnaît le Front al-Nosra comme la seule branche d’al-Qaïda en Syrie15,16. Mais Abou Bakr al-Baghdadi passe outre : il envoie des hommes en Syrie, tandis qu’une partie des membres du Front al-Nosra font défection et lui prêtent allégeance17.

Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), al-Joulani aurait été blessé au pied en mai 2013 lors d’un bombardement de l’armée syrienne au sud de la province de Damas18. L’information est cependant démentie par le Front al-Nosra19.

Le 3 janvier 2014, un conflit général éclate entre les rebelles syriens et l’État islamique en Irak et au Levant20. Abou Mohammed al-Joulani appelle à un cessez-le-feu le 7 janvier21. Mais à Raqqa, contrairement aux autres régions, le Front al-Nosra entre en guerre contre l’EIIL et combat dès le 6 janvier aux côtés des rebelles22Abou Khaled al-Souri, le médiateur nommé par Ayman al-Zawahiri, est tué dans un attentat-suicide le 23 février 2014 à Alep23. L’État islamique et le Front al-Nosra entrent alors en conflit.

Le 4 avril 2014, Ayman al-Zawahiri appelle à un « arbitrage indépendant en vertu de la loi islamique » afin de mettre fin aux combats qui opposent en Syrie l’État islamique en Irak au Levant et le Front al-Nosra24. Le 2 mai, il donne l’ordre au Front al-Nosra de cesser de combattre d’autres groupes djihadistes et de « se consacrer au combat contre les ennemis de l’islam, en l’occurrence les baasistes, les chiites et leurs alliés » et appelle également Abou Bakr al-Baghdadi à se concentrer sur l’Irak25. Ces instructions ne sont pas suivies26. Le 12 mai, Abou Mohammed al-Adnani, chef de l’EIIL en Syrie, qualifie les messages d’Ayman al-Zawahiri de « déraisonnables, irréalistes et illégitimes ». Il déclare à ce dernier dans un enregistrement : « Vous avez provoqué la tristesse des moudjahidines et l’exultation de leur ennemi en soutenant le traître (Abou Mohammad al-Joulani, chef d’al-Nosra). Le cheikh Oussama (c’est-à-dire : Oussama ben Laden, ancien chef d’Al-Qaïda) avait rassemblé tous les moudjahidines avec une seule parole, mais vous les avez divisés et déchirés. […] Vous êtes à l’origine de la querelle, vous devez y mettre fin27. »

En mai 2015, al-Joulani est interviewé, visage caché, par Ahmed Mansour, un journaliste de la chaîne qatarie Al Jazeera. Il décrit la conférence de paix de Genève comme une farce et affirme que la Coalition nationale syrienne soutenue par l’Occident ne représente en aucun cas le peuple syrien et n’a aucune présence en Syrie. Al-Joulani mentionne que al-Nosra n’a pas l’intention de lancer des attaques contre l’Occident depuis la Syrie, et que leur priorité est focalisée sur le régime syrien, le Hezbollah, et l’État islamique de l’Irak et du Levant. Al-Joulani déclare que « le Front al-Nosra n’a aucun plan ni directive pour cibler l’Occident. Nous avons reçu des ordres clairs d’Ayman al-Zawahiri pour ne pas utiliser la Syrie comme une rampe de lancement pour attaquer les États-Unis ou l’Europe afin de ne pas saboter notre véritable mission qui est de combattre le régime. Peut-être que Al-Qaïda fait cela mais il ne le fera pas depuis la Syrie »28.

Questionné sur les ambitions d’al-Nosra après la guerre civile, al-Joulani répond qu’après la guerre, toutes les factions rebelles seront consultées pour établir un État islamique. Il mentionne aussi que al-Nosra ne ciblera pas la minorité alaouite du pays, en dépit de leur soutien au régime d’al-Assad. Il déclare alors que « notre guerre n’est pas une question de vengeance contre les alaouites malgré le fait que dans l’islam, ils sont considérés comme hérétiques. »28. Al-Joulani ajoute également que les alaouites resteront isolés tant qu’ils n’abandonneront pas les éléments de leur foi qui, selon lui, contredisent l’islam29.

Formation du Front Fatah al-Cham puis création de Hayat Tahrir al-Cham

Le 28 juillet 2016, le Front al-Nosra annonce qu’il rompt avec al-Qaïda et qu’il prend le nom de Front Fatah al-Cham30. Cette rupture se fait avec l’accord du chef d’al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri. Abou Mohammed al-Joulani apparaît pour la première fois à visage découvert dans un enregistrement diffusé par la chaîne al-Jazeera, il affirme que la décision « d’arrêter d’opérer sous le nom de Front al-Nosra et de recréer un nouveau groupe » s’est faite pour « protéger la révolution syrienne » et pour « faire ôter les prétextes avancés par la communauté internationale » pour viser le groupe classé « terroriste » par les États-Unis31. Avec cette séparation, le Front al-Nosra veut se rapprocher des autres groupes de la rébellion et se présenter comme un mouvement strictement syrien32. Abou Mohammed al-Joulani espère également réaliser une fusion de son mouvement avec le puissant groupe Ahrar al-Cham, qui refusait de se lier avec al-Qaïda33,34.

Le 28 janvier 2017, le Front al-Nosra fusionne avec d’autres groupes pour former Hayat Tahrir al-Cham. Le groupe est dirigé par Abou Jaber, même si al-Joulani conserve le commandement militaire. Cependant, Abou Jaber démissionne le 1er octobre 2017, Abou Mohammed al-Joulani prend alors seul la tête du groupe35,36,37.

Le 4 octobre, l’armée russe affirme avoir blessé al-Joulani, tué douze commandants de Hayat Tahrir al-Cham et blessé une cinquantaine d’autres38. Le ministère russe de la Défense déclare dans un communiqué : « A la suite de cette frappe, (…) Mohammad al-Joulani a subi des blessures graves et multiples, a perdu un bras et se trouve dans un état critique, selon plusieurs sources indépendantes »38. Cette annonce est cependant démentie par le groupe Hayat Tahrir al-Cham39 et est également qualifiée de « totalement fausse » par l’Observatoire syrien des droits de l’homme40.

En janvier 2018, lors de l’offensive de la poche d’Idleb, Abou Mohammed al-Joulani appelle dans un document audio les rebelles à « resserrer les rangs » contre le régime et déclare : « Nous sommes prêts à nous réconcilier avec tout le monde et à tourner une nouvelle page à travers une réconciliation globale. Occupons-nous de nos ennemis plus que de nous-mêmes et de nos désaccords »41.

Gouvernance de la province d’Idlib

Parvenu à contrôler 75 % de la poche d’Idlib, Mohamed Al-Joulani met en place une administration qui perçoit l’impôt auprès des commerçants, prélève des droits de douanes à Bab Al-Hawala, le point de passage avec la Turquie, et tire bénéfice du trafic de captagonexporté de Syrie vers le reste du Moyen-Orient, principalement l’Arabie saoudite3. Pragmatique dans un gouvernorat qui n’a jamais adhéré au sunnisme radical, et en recherche de soutiens étrangers, Mohamed Al-Joulani renonce à faire appliquer la charia de façon rigoriste, et se montre tolérant envers les femmes et envers les minorités religieuses3. Parallèlement, il tente d’étendre son influence sur le nord de la Syrie et lance des offensives sur les villes d’AfrineAzazAl-Bab et Jarablous pour affaiblir les factions rebelles fidèles à la Turquie regroupées au sein de l’Armée nationale syrienne3. Si cette dernière réagit peu dans l’immédiat, priorisant ses offensives contre les factions kurdes syriennes, elle pourrait néanmoins se retourner contre lui si les président turc et syrien Recep Tayyip Erdoğan et Bachar el-Assad normalisaient leurs relations diplomatiques3. Après la réintégration de la Syrie au sein de la Ligue arabe, Ankara, qui a de moins en moins intérêt à cette brouille à présent que son « ennemi » arabe n’est plus isolé, pourrait laisser le régime syrien et son allié russe reprendre la poche d’Idlib contre un rétablissement des relations diplomatiques turco-syriennes3.

Offensive au Nord-Ouest de la Syrie

En 2024, alors que ses troupes ont rencontré des victoires et ont notamment capturé Alep et Hama, Joulani assure que les minorités ethniques ou religieuses, notamment chrétiennes, seront respectées et explique que les militaires quitteront bientôt les zones civiles au profit d’un organe de transition. Pour Fabrice Balanche, il donne des gages aux occidentaux et soigne son image. Pour Jerome Drevon du Crisis Group, il cherche à se mettre en avant comme une alternative politique à Bachar el-Assad42.

Hayat Tahrir al-Cham est le principal groupe rebelle participant à l’offensive début décembre 2024, qui mène à la prise de Damas, la capitale syrienne43.