Movie. « The Apprentice », une plongée « dans l’eau sale » avec le jeune Donald Trump

PREMIERE MAIN En pleine campagne électorale, le film d’Ali Abassi zoome sur le début de la carrière du candidat républicain. Une période marquée par sa rencontre avec Roy Cohn, ancien assistant de Joseph McCarthy, pourfendeur du communisme, et avocat de la mafia new-yorkaise.
À New York, la vingtaine finissante, Donald Trump commençait à peine à se faire un prénom dans l’ombre de son père, le promoteur immobilier Fred Trump. Nous étions dans les années 1970 et 1980, bien avant que le jeune homme ambitieux ne se transforme en marque, puis en vedette de la téléréalité, et enfin en 45e président des États-Unis, aujourd’hui candidat à un nouveau mandat.
C’est ce que nous voyons dans The Apprentice, sur les écrans français à partir du 9 octobre et aux États-Unis deux jours plus tard, un film passionnant qui est l’équivalent d’un roman d’apprentissage. Jusque-là, le réalisateur irano-danois Ali Abassi avait habitué son public à des univers plus proches de David Lynch (Borders ou Les Nuits de Mashhad), beaucoup moins en lien avec la réalité et l’actualité.
Mais la rencontre avec un journaliste américain, Gabriel Sherman, lui a fait prendre une nouvelle direction. Sherman a écrit le scénario après avoir suivi la campagne présidentielle victorieuse de Trump en 2016, côtoyé le candidat, ses proches et son équipe de campagne. « Il connaît ces gens de première main, il a traîné avec eux », explique Ali Abassi, rencontré lors de son passage à Paris à la mi-septembre.
Ce qui a particulièrement intéressé Gabriel Sherman, ancien reporter du New York Magazine et de Vanity Fair, est la relation entre Donald Trump et son mentor, l’avocat diabolique Roy Cohn. De celui qui avait joué un rôle de premier plan dans la chasse aux sorcières anticommuniste lancée dans les années 1950, un journaliste, Wayne Barrett, a pu dire : « Pendant les déjeuners d’affaires avec Roy Cohn, j’avais l’impression d’être avec Satan. » L’avocat des grandes familles de la mafia cultivait les réseaux, utilisait la presse, recourait au chantage sans vergogne.
Trump a 30 ans à peine et sa rencontre avec Roy Cohn va changer sa vie. Cohn lui explique ses « trois règles » : « 1) Attaquer. Attaquer. Attaquer. 2) Ne rien reconnaître. Tout nier en bloc. 3) Revendiquer la victoire et ne jamais reconnaître sa défaite. » Cohn est le maître, Trump le disciple. D’où le titre du film, qui était aussi le nom de l’émission de téléréalité animée au début des années 2000 par Donald Trump et qui l’a porté à des sommets de popularité.
Comprendre
Ces règles de Cohn, devenues par la suite celles de Trump – on le voit dans le long métrage lorsqu’il les expose au journaliste chargé d’écrire son livre The Art of The Deal (L’Art de la négociation), publié en 1987 –, expliquent bien des situations d’aujourd’hui. Et nombre de malheurs de l’Amérique contemporaine.
Mais, pour Ali Abassi, il ne s’est pas agi de s’embarquer dans un film de dénonciation. Il nous l’expose dans le salon d’un hôtel de luxe parisien où il enchaîne les interviews avec la presse, vêtu d’un tee-shirt sur lequel est inscrit « Ne jamais reconnaître la défaite ». « Ce que j’ai aimé dans l’approche de Gabriel [Sherman], c’est qu’étant un journaliste libéral [progressiste au sens américain – ndlr] – parce qu’aux États-Unis, toute personne qui n’est pas d’extrême droite est par définition considérée comme de gauche –, il n’a pas cherché à le diaboliser. Il n’a pas essayé de faire des attaques politiques faciles. Il a vraiment essayé de comprendre. »
Nous ne sommes pas, en effet, dans un biopic classique. « Je doute que j’aurais fait un film uniquement sur Donald Trump », remarque d’ailleurs Ali Abassi. Servi par deux acteurs et une actrice époustouflant·es (Sebastian Tran dans le rôle de Trump, Jeremy Strong dans celui de Cohn et Maria Bakalova dans celui d’Ivana, la femme de Trump), le réalisateur dépeint l’évolution de ce rapport entre les deux hommes, dans lequel l’élève finit par dépasser le maître.
Dans une des scènes les plus terribles, un Trump au sommet humilie un Cohn au plus bas, affaibli par le sida qui finira par l’emporter, alors qu’il est censé lui rendre hommage à l’occasion d’un dîner à Mar-a-Lago, la résidence bling-bling de Floride du milliardaire new-yorkais.
Ali Abassi cherche à rendre au plus près l’ambiance de ce New York à l’aube du triomphe du néolibéralisme, où règnent l’argent, le crime, le sexe et les paillettes. « J’aime la musique. J’aime la mode. J’aime la démesure. Ce sont donc deux décennies très colorées dans l’un des endroits les plus colorés du monde, avec des personnages très colorés. Il n’y a pas mieux », explique-t-il.
Se confronter à la réalité n’a pas rebuté Ali Abassi. D’autant plus, explique-t-il, que le cinéma ne s’empare pas assez d’histoires qui racontent le monde d’aujourd’hui, au risque, selon lui, que le septième art ne rejoigne l’opéra au rang de ces divertissements importants mais guère influents. Il se place en héritier de son maître Buñuel – il a appelé son fils Luis – et de Costa-Gavras. « Ils n’hésitent pas à s’emparer de sujets importants. Il faut plonger dans l’eau sale et nager, c’est important de prendre des risques. »
En tout cas, l’irruption de son film en pleine campagne électorale, avec un duel serré entre le républicain Donald Trump et la démocrate Kamala Harris, n’a pas laissé indifférent le premier intéressé. L’équipe de campagne de Trump a agité la menace de poursuites lors de la présentation du film au Festival de Cannes. « Il poursuit tout le monde, mais combien de fois a-t-il gagné ? », s’amuse Ali Abassi, persuadé que le candidat finira par le voir. « Le Donald Trump que je connais, et je l’ai étudié, ne peut pas ne pas regarder ce film. Même pour le détester », dit-il.
« Trump a l’étrange capacité de comprendre les médias mieux que beaucoup de gens, mieux que beaucoup de journalistes, mieux que moi, sans aucun doute, affirme Ali Abassi. Comme on le voit dans le film, il a embauché Tony Schwartz après que ce dernier eut écrit un article très critique sur lui dans le magazine New York. C’était vraiment un article à charge, mais il a attiré l’attention et l’on a beaucoup parlé de Trump. Lorsqu’il a voulu écrire son livre L’Art du deal, il s’est dit : “Appelons ce type car il est bon, il est accrocheur.” »
Pense-t-il que The Apprentice sera, d’une manière ou d’une autre, instrumentalisé pendant la campagne électorale ? Le réalisateur s’est posé la question, s’est dit que peut-être mais qu’il était surtout intéressé par la complexité humaine et non l’opposition entre conservateurs et libéraux. Et, surtout, sa compagne l’a rassuré : « Écoute, tu n’es pas Taylor Swift. Détends-toi. »