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Le Forum de Davos toujours plus déconnecté de la réalité

ELITES / BUSINESS C’est le rendez-vous annuel le plus prisé des « décideurs économiques » qui courent les mondanités affairistes. Lundi 16 janvier, le Forum économique mondial de Davos a ouvert ses portes pour une semaine. En tout, ce sont plus de 2 500 happy few du monde des affaires qui vont « réseauter » dans les couloirs de la petite station de ski huppée des Alpes suisses, et assister à des conférences de grand·es dirigeant·es d’entreprise (BlackRock, Axa, Nestlé, Bain & Company, etc.) et d’institutions internationales (BCE, OMC, etc.). 

Ce grand raout des élites économiques a été maintes fois critiqué par le passé pour ses discours déconnectés des réalités sociales et écologiques de notre monde, et abordant rarement – et souvent avec retard quand c’est le cas – les effets dévastateurs du capitalisme financiarisé. 

Rappelons que les organisateurs du forum avaient attendu 2014 pour se préoccuper du sujet des inégalités mondiales. Et encore, ce n’est pas qu’ils étaient particulièrement préoccupés par les situations de détresse sociale générées par le néolibéralisme, mais plutôt parce qu’ils venaient de découvrir que les inégalités « représentaient un risque pour la stabilité économique »

Hors-sol

Sans surprise cette année, le thème des inégalités n’est plus la priorité. Les crises sanitaire et énergétique sont passées par là et les organisateurs leur ont préféré la « coopération dans un monde fragmenté ». En effet, « ces dernières années, les niveaux de collaboration mondiale ont diminué, et le double choc de la pandémie de Covid-19 et de la crise ukrainienne a accéléré cette tendance », a écrit Mirek Dusek, le directeur général du Forum économique de Davos dans le journal La Tribune.

La crainte des organisateurs est que les situations de pénurie et d’inflation ne poussent certaines économies au repli sur soi. En somme que le libre échange mondialisé – qui a par ailleurs généré des désastres écologiques et sociaux – soit remis en cause. Horreur pour le camp du capital présent à Davos. Il s’agit ici de sauvegarder la masse souhaitable de profits des grands groupes dont les plus éminents représentants sont présents cette semaine en Suisse.

Dès lors, « que pouvons-nous faire pour endiguer cette vague de fragmentation ? », questionne Mirek Dusek. En premier lieu, « répondre aux crises immédiates aux quatre coins de la Terre » et « jeter les bases d’un monde plus durable et plus résilient d’ici la fin de la décennie », répond-il. Vastes sujets ! Pour y parvenir, il avance deux pistes de réflexion dans La Tribune « Identifier les innovations prometteuses et développer les technologies émergentes » ; et « créer et renforcer les partenariats public-privé ». Soit les sempiternelles solutions éculées avancées par le monde des affaires à chaque crise.

Nulle idée à Davos d’aller froisser les acteurs du secteur privé, en discutant par exemple des profiteurs de crise qui ont emmagasiné les milliards sur le dos des plus précaires. Un rapport de l’ONG Oxfam publié lundi 16 janvier rappelait en effet que « les milliardaires à travers le monde ont gagné plus de 2,7 milliards de dollars par jour depuis le début de la crise tandis que les entreprises des secteurs de l’alimentation et de l’énergie ont plus que doublé leurs bénéfices en 2022 ». Or, à l’inverse, « l’explosion des prix de l’énergie et des biens de première nécessité frappe en particulier les plus précaires. Plus de 820 millions de personnes souffrent aujourd’hui de la faim. 60 % d’entre elles sont des filles et des femmes ».

Mais de cela il ne sera pas question durant ce forum. Sans doute les acteurs de l’économie marchande ont-ils besoin de se donner du baume au cœur pour se convaincre qu’ils ont encore la main. Eux qui auraient pourtant été incapables de survivre aux crises sanitaire et énergétique sans le soutien décisif des pouvoirs publics. 

Un lieu de réseau 

Du reste, il faut certainement prendre le Forum de Davos pour ce qu’il est vraiment : un endroit où l’on fait du business et non où l’on réfléchit sérieusement aux enjeux du monde. Dans une chronique pour le Financial Times, un communicant anglais, ancien conseiller politique au 10 Downing Street, et qui est allé à Davos, ne dit pas autre chose.

À de nouveaux « décideurs » qui seraient enclins à aller faire un tour dans les Alpes suisses, il leur dit d’abord qu’il y a, a priori« cinq raisons d’aller à Davos : la première, c’est si vous êtes à la recherche d’un nouvel emploi ; la deuxième, c’est si vous recherchez à faire des affaires ; la troisième, c’est si vous êtes véritablement stimulé par les débats intellectuels qui s’y passent ; la quatrième, c’est que vous espérez désespérément passer dix minutes à parler avec Al Gore ou la reine Rania de Jordanie ; et la cinquième, c’est que vous voulez pouvoir dire “c’était un gros sujet à Davos cette année” pour briller en société »

Mais d’expérience, toutes ces raisons ne sont pas pertinentes, écrit-il : « Nous pouvons exclure en toute sérénité les raisons trois à cinq », témoigne-t-il. Car, pour comprendre les enjeux du monde, « lire le Financial Times est bien plus pratique » que d’aller à Davos, écrit-il sur le ton de l’humour. De ce Forum économique de Davos, il vaut en effet mieux en rire – comme l’ont aussi fait ces humoristes suisses – et l’imaginer comme une comédie balzacienne, plutôt que de le prendre réellement au sérieux. 

Mathias Thépot

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