NZNTV

NOYAUZERONETWORK.ORG / GENEVA, SWITZ.
Movie. Le documentaire «Hold-Up», une parodie d’investigation

FAKE NEWS Le film de Pierre Barnérias, qui entend révéler le « plan caché » derrière la pandémie de Covid-19 – et a été vu près de trois millions de fois en une semaine –, mime le travail de l’investigation journalistique. Il en est pourtant le consternant contre-exemple.

De nombreux experts, des témoins se succèdent devant la caméra. On montre des documents, avec des extraits passés au Stabilo, tandis qu’une voix off pose, l’air grave, les questions qui dérangent… Tout cela sur fond de musique inquiétante. Pas de doute, le film Hold-Up – qui tente de montrer que la pandémie de Covid-19 a été créée de toutes pièces pour servir les intérêts des puissants – emprunte bien tous les codes du documentaire d’investigation.

Le film de Pierre Barnérias, qui accumule déjà près de trois millions de vues, sur différents supports de diffusion, comme l’a montré un récent décompte publié sur le site de France Inter, est une longue « enquête » – 2 h 40 – sur les dessous de la pandémie mondiale. Mais si à première vue, à travers une réalisation plutôt léchée, Hold-Up semble cocher les cases de l’enquête journalistique, il en est pourtant une version quasi parodique – un contre-exemple parfait à enseigner dans toutes les écoles de journalisme.

Il y a bien sûr, elles sont les plus évidentes, les manipulations grossières ou les simples contrevérités dont le documentaire est truffé. Comme l’a déjà montré Libération, il est évidemment malhonnête de laisser entendre que le confinement a provoqué un pic de mortalité, en montrant que ce plus haut des décès intervient pendant cette période. C’est faire fi de la période d’incubation qui explique que ce pic arrive quelques semaines après le début du confinement.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS), contrairement à ce qu’indique un « expert » interrogé dans le film, n’a également jamais interdit les autopsies des patients décédés du Covid. L’institution a simplement mis en garde sur les risques de contamination et préconisé un protocole précis, aisément consultable.

Il est également faux d’affirmer, comme le fait la voix off, qu’avant le Covid, il n’y avait quasiment pas de virus se transmettant de l’animal à l’homme. Selon l’OMS, l’Institut Pasteur et quantité de publications scientifiques, 60 % des maladies infectieuses contractées par l’homme sont d’origine animale.

Hormis ces contrevérités flagrantes, et si facilement vérifiables, Hold-Up fonctionne aussi par l’accumulation d’allégations que rien ne vient étayer. Ainsi le pharmacien Jean-Bernard Fourtillan peut-il lancer, face caméra, sans apporter le moindre élément tangible, que l’Institut Pasteur a créé le Covid-19. « Ils ont inséré la séquence d’ADN de la malaria (dans le H1N1) », affirme-t-il évoquant un « brevet déposé en 2003 » à la suite d’un travail « commencé dans les années 1990 ».

Pour le reste, Hold-Up suggère d’ailleurs beaucoup plus qu’il n’affirme, en laissant croire au spectateur qu’il lui laisse le soin, devant tant d’éléments troublants, de se faire sa propre opinion. « Je trouve important de poser des questions comme le fait ce film », défend auprès de Mediapart la députée ex-La République en marche (LREM) Martine Wonner, qui intervient longuement dans Hold-Up« Pour ma part, je doute en permanence et il me semble que les médias devraient un peu plus s’interroger », ajoute-t-elle.

Sauf que, plus que le questionnement, c’est le sous-entendu et l’insinuation qui sont les principales figures rhétoriques employées par le documentaire. Il opère ainsi par rapprochements, censés être signifiants, entre différents faits, pour laisser croire qu’il s’agit d’un enchaînement logique ou causal. En clair des « tiens, tiens… » et des « bizarre » qui sont autant de clins d’œil adressés au téléspectateur qui doit remplir les « blancs » du raisonnement.

Bill Gates a alerté dès 2015 sur un risque de pandémie mondiale et le Covid-19 apparaît quelques années après… Bizarre. Jacques Attali avait prédit que Macron deviendrait président de la République ? Il le devient étonnamment en 2017… Curieux. L’AFP a fait une dépêche sur l’étude du Lancet mettant en cause l’hydroxychloroquine, et – comme par hasard – qui retrouve-t-on à la tête de l’AFP ? Un énarque, Fabrice Fries, ami de promo de Macron. Inutile de préciser que la plupart des journaux, indépendamment de l’AFP, ont évidemment relayé l’étude du Lancet… Un doute a été instillé dans l’esprit du spectateur, convaincu une fois de plus que tout ce petit monde se tient.

Pourquoi, s’interroge la généticienne Alexandra Henrion-Caude, les rapports de l’OMS sur le port du masque faisaient deux pages au début de la crise alors que les plus récents en font seize ? « Non mais de qui se moque-t-on ? », s’insurge-t-elle. Difficile de savoir ce qu’elle sous-entend, mais au ton courroucé de sa voix, le spectateur est censé comprendre que c’est très, très grave. Et puis « tiens, tiens… » pourquoi Gilead – le laboratoire fabriquant le remdésivir, médicament qui a raflé la mise une fois l’hydroxychloroquine écartée par l’OMS et « Big Pharma » – porte-t-il « un nom biblique » ? Étrange, non ? 

Pour ressembler à un véritable travail d’enquête, Hold-Up affiche un nombre impressionnant d’experts, dont deux « prix Nobel », et un « ancien ministre de la santé », argument d’autorité oblige. Le premier, le chimiste Michael Levitt, tient des propos plutôt anodins en se demandant si la population pourrait accepter un deuxième confinement. C’est le premier à s’exprimer, il n’est là que pour servir de caution de sérieux au film. Le deuxième, le biologiste Luc Montagnier, avance des théories depuis plusieurs années – sur la téléportation de l’ADN – qui l’ont mis au ban de la communauté scientifique.

Quant à l’ex-ministre de la santé, Philippe Douste-Blazy, qui tient dans le film des propos en faveur de l’usage de l’hydroxychloroquine pour traiter les patients du Covid-19, il explique à Mediapart avoir « le sentiment d’avoir été manipulé par le réalisateur ». « J’ai servi de caution, c’est clair ! », s’agace celui qui a, depuis qu’il a visionné le film, demandé à être coupé au montage.

Il y a bien sûr, parmi les « spécialistes » appelés à témoigner des hurluberlus notoires comme cet Olivier Vuillemin, présenté tour à tour comme un expert en « fraude scientifique » – qui n’a du reste rien publié sur le sujet –, et qui devient plus tard expert en « métrologie de la santé ». La séquence où il se livre à des rapprochements totalement hasardeux, à grand renfort d’anglicismes, entre l’internet des objets, la 5G et le Covid… est d’ailleurs devenue virale tant elle est absurde.

Hold-Up interroge également, comme un bonus à la fin du film, la « profileuse » Nadine Touzeau qui, à partir de photos, peut décrire le profil psychologique des personnes. « Cette personne est extrêmement fausse : ça se voit au niveau des commissures des lèvres et de son regard », dit-elle à partir d’une photo du docteur Laurent Alexandre, cofondateur du site Doctissimo. Ce qui fait, somme toute, assez peu progresser « l’enquête ».

Pour le reste, la plupart des « experts » appelés à témoigner n’ont – même lorsqu’ils sont issus du monde médical – aucune compétence en matière de virus ou de politique sanitaire. Ce qui explique, sans doute, l’impasse totale sur ce qu’ont vécu les hôpitaux depuis mars dernier dans ce film qui ne cesse de minimiser la gravité de l’épidémie. On entend ainsi, tour à tour, les avis d’une gynécologue, d’un oncologue, d’un radiologue et d’une sage-femme qui parlent, par ailleurs, rarement à partir de leur domaine de compétence, ce qui aboutit à un régime argumentatif assez particulier.

Ainsi, la gynécologue Violaine Guérin affirme avoir parlé avec une gendarme qui lui aurait dit qu’il y avait eu beaucoup de drames pendant le confinement : « Pendant le confinement j’étais en contact avec une gendarme de la brigade de protection des mineurs, elle me disait, c’est terrifiant, car on n’a aucun dépôt de plainte, on n’a rien sur qui se passe, les personnes étant confinées, […] donc il y a eu énormément de drames pendant cette période », explique-t-elle. « Les plaintes pour viol auraient été multipliées par trois selon un expert psychiatre de la brigade des mineurs », appuie au conditionnel la voix off, sans citer sa source, et sans s’émouvoir qu’un « expert psychiatre » ne soit pas forcément le mieux placé pour donner ces chiffres par ailleurs officiels.

Le pharmacien Serge Rader, qui soutient dans le film qu’on a euthanasié les personnes âgées dans les Ehpad, assure qu’il est certain de ce qu’il dit pour une bonne et simple raison : « Je l’ai constaté, je suis ami avec un médecin qui s’occupe de trois Ephad. » « Non seulement on ne les a pas emmenés en réanimation, mais on leur a préparé la seringue de Rivotril avec un arrêté à la clé pour les achever complètement », ajoute-t-il.

La sage-femme Nathalie Derivaux, longuement interrogée, parle elle aussi de la politique menée dans les Ehpad à partir d’une expérience singulière. « J’ai une de mes belles-sœurs qui travaille dans une maison de retraite », avance-t-elle pour expliquer « d’où elle parle ». Ni la belle-sœur de Nathalie Derivaux, ni « l’ami » de Serge Rader ne sont en revanche interrogés.

Le clou de cette argumentation, en forme de l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours, arrive lorsqu’un homme, présenté comme un « ancien agent du renseignement » – et dont on ne verra que le pull –, explique, lui, savoir que le virus a été inventé par l’homme car un responsable de l’Agence de sûreté nucléaire (ASN) le lui a dit. Et que dans ladite agence, on est évidemment particulièrement bien informé des pandémies…

Pour compléter ce tour de table d’« experts », le réalisateur choisit aussi, avec une condescendance qui ne semble pas trop l’embarrasser, de donner la parole à deux chauffeurs de taxi qui pestent sur les incohérences du gouvernement dans la gestion de la pandémie. Deux chauffeurs qu’on devine choisis au hasard et dont on ne connaîtra pas le nom. « Les chauffeurs sont de véritables décodeurs », plaide benoîtement Pierre Barnérias.

Plus le documentaire avance, plus il se perd dans un tourbillon de questionnements dont il devient de plus en plus difficile de suivre la cohérence. Les pistes s’accumulent. Pourquoi « l’informaticien » Bill Gates voudrait-il vacciner la terre entière ? Quel est son intérêt ? Comment expliquer la concomitance entre le développement de la 5G et la pandémie ? Pourquoi dans le livre sur la CIA préfacé par le journaliste Alexandre Adler était-il envisagé – dès 2009 – une pandémie venue de Chine ?

Le spectateur est peu à peu noyé, étourdi, et amené à se demander si les gouvernements mondiaux ont exagéré une « grippette » ou mis en œuvre un plan secret pour faire mourir une partie de l’humanité, non sans lui avoir au préalable posé une puce pour la faire payer en cryptomonnaie.

Heureusement, le film retombe assez rapidement sur la dénonciation de quelques « puissants » qui tirent les ficelles en secret : Bill Gates, David Rockefeller, Jacques Attali, qualifié ironiquement de « prophète » dans ce film aux relents antisémites constants et qui apparente ce documentaire à une sorte de Protocoles des sages de Sion 2.0. Aucune des personnalités mises en cause n’aura l’opportunité de faire valoir son point de vue, dans un documentaire sans aucun point de vue contradictoire.

La dernière demi-heure de Hold-Up est une sorte de bouquet final interprétatif avec une trame assez simple : les tenants d’une gouvernance mondiale, qui se retrouvent presque tous dans « l’Institut Berggruen », ont inventé la pandémie pour soumettre l’humanité au « Great reset », la grande réinitialisation. Tout y passe alors : la cryptomonnaie, les nanoparticules, la 5G… « J’ai le vertige : comment des hommes peuvent imaginer des scénarios aussi tordus ? », lance avant de clore son film le réalisateur, apparemment sans ironie.

Interrogé par France-Soir, grand soutien du film depuis le début, le producteur Christophe Cossé explique avoir choisi de travailler à ce projet car le sujet de la « désinformation » lui tenait à cœur. « J’ai décidé il y a une dizaine d’années de parfaire ma formation en faisant un master en psy et en PNL [programmation neuro-linguistique – ndlr] et c’est là que j’ai trouvé tous les outils de la manipulation », affirmait-il. On ne saurait mieux dire.

Leave comment

Your email address will not be published. Required fields are marked with *.