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Culture. Roland Jaccard: «Une journée idéale selon Henry Miller»

BAISER. Son éducation sexuelle, Henry Miller la doit à Paris. «La première chose qu’on remarque à Paris, c’est que le sexe est dans l’air. Où qu’on aille, quoi qu’on fasse, on trouve d’ordinaire à côté de soi une femme», observe-t-il. Une femme disponible, prête, pour autant qu’on lui en donne une toute petite occasion, à se livrer à des jeux qui engagent tout son être. Ce qui est instinctif pour elle – ou qui l’était tout au moins jusqu’à ce qu’une vague puritaine et néoféministe ne change la donne – ne l’est pas pour l’homme toujours plus embrouillé que la femme et tracassé par des choses insignifiantes comme le taux de mortalité sur les autoroutes ou le degré de pollution de la planète.

Sexe, ping-pong et euthanasie
Evidemment, le sexe mène parfois à l’amour, qui nous entraîne, malgré nous, à nous mettre au service de l’espèce en procréant. Terrible déchéance qui fait de nous des épaves de l’amour. Il est toujours bon de se vacciner contre cette pente fatale en observant le dimanche après-midi sur les grands boulevards ces épaves de l’amour traînant derrière elles leur progéniture comme autant de boîtes de conserve. Henry Miller, tout comme moi, préférait jouer au tennis de table au soleil sous le regard attendri d’une jeune Asiatique. Il était très favorable à l’euthanasie, la seule cause qui lui tenait à cœur – encore un point commun – ne comprenant pas pourquoi on piquait son chien quand il souffrait, alors que l’homme dégoûté par l’existence est réduit à mendier un «suicide assisté».

N’avoir aucune contrainte
Dans Ma vie et moi, Henry Miller décrit une journée idéale – elle le serait aussi pour moi: se lever très tard, plein de sève et de vigueur. N’avoir aucune contrainte. Ecrire quelques lettres. Et s’il était inspiré, quelques pages en général autobiographiques, jamais pour la gloire ou l’argent, juste pour faire quelques pas de plus en avant dans son existence mouvementée et, parfois scandaleuse, aux yeux de ceux qui ont choisi de vivre sous cellophane. On ne leur conseillera pas son Cauchemar climatisé. Presque malgré lui, Henry Miller était proprement scandaleux. Il suffit d’être naturel pour le devenir. D’où aussi son influence sur la beat generation, Kerouac en particulier avec lequel il se lia.

Tout ce mystère sur le sexe… et puis tu découvres qu’il n’y a rien… c’est le vide, une illusion…
Mais revenons à sa journée idéale: elle commence, et c’est plus important à ses yeux que tout le reste, par se mettre au soleil et nager dans sa piscine de Big Sur. Et, en fin d’après-midi, à jouer pendant une heure ou deux au ping-pong. Une forme d’hédonisme que je partage. Ensuite, après un dîner léger, voir un bon film, de préférence japonais (ils sont moins décevants). Baiser? Pourquoi pas? Mais est-ce bien indispensable à mon âge? se demande-t-il. Ce qui est vrai, c’est qu’une présence féminine, surtout si elle a le charme de l’extrême jeunesse – et Miller n’y était pas insensible –, rend la vie plus intéressante. Souvent exténuante, d’ailleurs. Miller ajoute: «Tout ce mystère sur le sexe… et puis tu découvres qu’il n’y a rien… c’est le vide, une illusion… tu t’enflammes pour une fente avec des poils dessus. Ce serait drôle si tu y trouvais un harmonica… ou un calendrier! Mais il n’y a rien là-dedans, absolument rien.»

Moi, quand j’étais adolescent, j’imaginais qu’une tête de mort s’y dissimulait. Quant au ping-pong, j’y joue depuis mon enfance. Aux échecs aussi d’ailleurs comme Miller. Si j’en crois ses confidences, nous avons tous les deux un jeu solide, défensif, qui tient du zen. L’important au tennis de table, c’est qu’il empêche toute discussion intellectuelle. Si illustre ou charmant que soit l’adversaire, je ne lui permets jamais de distraire mon attention.

Henry Miller a terminé sa vie à Big Sur en compagnie de trois Japonaises. Il avait 88 ans. Le ping-pong conserve.

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