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NOYAUZERONETWORK.ORG / GENEVA, SWITZ.
Science. « On pourrait tomber demain sur une planète abritant la vie »

ESPACE. En 1995, l’astrophysicien genevois Didier Queloz découvrait avec Michel Mayor la toute première planète située hors de notre système solaire. Vingt ans après, il fait le point sur les avancées de la recherche et évoque la possibilité d’une vie extraterrestre.

2016 sera-t-elle l’année de la découverte d’une planète jumelle de la Terre?

Des planètes plus ou moins similaires à la Terre, nous en avons déjà détecté: certaines ont la même masse, d’autres la même taille, d’autres encore affichent une température assez semblable. Mais aucune ne remplit ces trois critères à la fois. Cela va donc prendre encore un peu de temps pour trouver l’exacte copie de la Terre. Cela dit, en vingt ans, on a découvert plus de deux mille planètes. Il n’y a pas de raison d’imaginer que, d’ici deux décennies, on n’ait pas identifié plusieurs systèmes équivalents au nôtre, s’ils existent.

Pourtant, lorsque, en 1995, vous avez découvert avec Michel Mayor la première exoplanète, une partie de la communauté scientifique ne vous a pas crus…

Je ne dirais pas qu’elle ne nous a pas crus, mais il est vrai que nous avons dû faire face à beaucoup de scepticisme. Et pour de bonnes raisons: il y avait déjà eu plusieurs fausses annonces quant à la découverte d’exoplanètes. Par ailleurs, à l’époque, peu de scientifiques s’adonnaient à ce genre de recherches, les instruments étaient assez novateurs. Celui que nous utilisions alors en était à ses premiers mois de fonctionnement. Vu de l’extérieur, le risque d’erreur était non négligeable. Et puis surtout, la planète que nous avions trouvée n’était pas censée exister.

Ah bon? Pourquoi?

Parce qu’une planète de la même masse que Jupiter tournant autour de son étoile en quatre jours était pour nous un objet très mystérieux. Dans le système solaire, la planète la plus proche de son étoile, c’est Mercure, elle est mille fois plus petite que Jupiter et met deux à trois mois pour tourner autour du Soleil… Même moi j’ai douté dans un premier temps, je craignais d’avoir fait une erreur dans les mesures.

La découverte a finalement été confirmée par un laboratoire américain…

Oui, et cela a été un grand soulagement! Pour un jeune étudiant comme moi, c’était énorme comme événement. Assez difficile à gérer, également. J’ai eu du mal ensuite à finir ma thèse. Mais je suis conscient d’avoir eu une chance inouïe. Ce genre de découverte reste rare dans le monde scientifique. C’était un cadeau du ciel.

Depuis, vous le disiez, plus de deux mille exoplanètes ont été détectées. Leur étude est devenue une branche essentielle de l’astrophysique. Finalement, pourquoi fascinent-elles tant?

Parce qu’elles ont trait à la recherche de la vie dans l’univers. Même si, en tant que telles, les planètes ne sont qu’une des conséquences de la formation d’une étoile, qu’en termes de taille, elles ne représentent qu’un détail dans l’espace, c’est bien sur elles que la vie a une chance de se développer. On s’attaque donc à une thématique fondamentale. D’ailleurs, nous autres astrophysiciens, nous nous sommes contentés d’ouvrir le jeu: des domaines très variés tels que la biologie, la géophysique, la climatologie – puisque la vie affecte le climat et que le climat affecte l’apparition de la vie – vont prendre le relais. Bientôt, ce ne seront pas 1000 personnes qui travailleront sur le sujet, mais 10 000 ou 100 000. Et c’est sans compter l’élément émotionnel. D’ailleurs, si on veut promouvoir l’intérêt pour la science, attirer la jeune génération, on a besoin de domaines porteurs comme celui-ci, qui vont permettre de populariser l’intérêt pour la science.

Petit garçon, rêviez-vous d’aller à la rencontre d’extraterrestres?

Pas spécialement. Mais j’ai toujours été très curieux. L’astronomie, c’était pour moi un moyen de comprendre le monde et d’apporter ma pierre à l’édifice. Et puis, il y a un côté contemplatif qui correspond à mon tempérament. Cependant, je n’aurais jamais pensé que j’allais trouver des planètes et me lancer dans la recherche de la vie dans l’univers… Mais en découvrant cette première planète, j’ai été happé. A ce moment, il est devenu évident que j’allais consacrer ma carrière à cette recherche.

Et alors, pensez-vous qu’elle soit près d’aboutir?

Oui et non. On pourrait tomber demain, par pur coup de chance, sur une planète qui présenterait des indices signalant la vie. Plus vraisemblablement, je pense qu’à l’échéance de cinquante ou cent ans, on aura développé des outils qui nous permettront de mieux observer ces exoplanètes. Et dans un univers qui en comporte probablement des milliards, dont une grande quantité certainement assez similaires à la Terre, ce serait faire preuve d’aveuglement que de penser que la vie ne s’est pas développée ailleurs.

Concrètement, comment s’y prend-on pour détecter de la vie sur une planète située à des dizaines d’années-lumière de la nôtre?

C’est vrai, cela paraît incroyable, mais on a également de la peine à imaginer qu’on puisse construire des virus et les programmer génétiquement pour attaquer une maladie dans un organisme… Les outils de la science ont augmenté les capacités humaines de manière fabuleuse. Aujourd’hui, à l’heure où des satellites analysent la composition détaillée de la Terre depuis l’espace, nous pouvons également observer l’atmosphère d’une exoplanète, la présence d’eau sous forme liquide, etc. Par exemple, un dégagement particulièrement important d’oxygène donnerait une indication assez sérieuse quant au développement de la vie.

Pourquoi?

Parce que la photosynthèse – qui justement libère de l’oxygène – est un phénomène très naturel pour générer l’énergie essentielle à la vie. Si celle-ci s’est développée ailleurs, on peut imaginer qu’elle a dû trouver la même astuce.

Peut-on imaginer que la vie dans l’espace puisse prendre des formes totalement différentes de la nôtre?

C’est l’une des questions que l’on se pose. Depuis vingt ans, nous avons pris conscience de l’étonnante diversité des systèmes planétaires. Jusqu’alors, nous pensions que tous devaient ressembler au nôtre. En réalité, c’est beaucoup plus complexe que cela. Peut-on dès lors imaginer une vie qui se serait développée de manière différente que sur la Terre? Qui se fonderait sur un autre élément chimique que le carbone? En théorie, oui. Mais le carbone, c’est un peu le Lego de base, on peut tout faire, avec. On imagine donc mal une vie radicalement différente. Maintenant, si vie il y a, elle sera probablement restée à un état très simple, microscopique. Sur Terre, c’est la modification du climat notamment qui a permis l’évolution vers une vie macroscopique, mais cela a pris beaucoup de temps.

A défaut d’y trouver la vie, pourrait-on imaginer d’émigrer sur une planète jugée similaire à la Terre?

Difficilement. Pour commencer, le terme de planète habitable, bien que très porteur et souvent utilisé dans la littérature, est à prendre avec des pincettes. Imaginer qu’une planète puisse être complètement identique à la Terre, c’est irréaliste: elle aura sa propre composition, sa propre atmosphère. Même si sa distance par rapport à son étoile laisse supposer que la température est adéquate, il y a d’autres éléments à prendre en compte. Sur Terre, l’effet de serre naturel permet de conserver une température d’équilibre agréable. En théorie, celle-ci devrait pourtant s’élever à -10 °C, d’après sa distance avec le Soleil. Chaque planète étant différente, on ne peut pas appliquer les mêmes calculs de l’une à l’autre. Et puis techniquement, il serait de toute façon très difficile de s’y rendre.

En revanche, on parle de plus en plus de la colonisation de Mars. Vous y croyez?

Je pense que nous allons difficilement résister à la tentation. Par contre, il faut réaliser que c’est un environnement complètement dément. C’est épouvantable, Mars. A côté, le pôle Sud, c’est les Bahamas… Et au moins, au pôle Sud, on respire. Parce que sur Mars, il n’y a pas suffisamment d’oxygène. Il faut être complètement fou pour aller vivre là-bas. Mais bon, on est une espèce assez cinglée, on s’est bien lancé sur les océans à bord de pirogues, donc voilà…

Près de cinquante ans après la conquête de la lune, la fascination du public pour l’astronomie est-elle toujours intacte?

Mais bien sûr! L’homme a de tout temps observé le ciel. Nous avons un rapport très profond avec l’immensité du cosmos, sans le comprendre. La science n’est que la continuité du questionnement mythologique et religieux. Même si l’approche est différente, le moteur reste le même.

On vous appelle souvent la star genevoise de l’astrophysique. Vous assumez ce titre?

Quand on est scientifique, on ne fait pas du show-business. Ce n’est pas du tout mon intention d’être une star. Cela dit, si je peux servir de modèle pour stimuler des vocations, j’en suis très heureux. Et je suis content pour la promotion de l’idéal scientifique.

A visiter: l’exposition «Exoplanètes» au Muséum d’histoire naturelle à Genève, jusqu’au 4 avril.

Texte © Migros Magazine – Tania Araman

 

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