NZNTV

NOYAUZERONETWORK.ORG / GENEVA, SWITZ.
Portrait. Adèle Exarchopoulos, de la bombe

EXPLOSIF. Révélée par Abdellatif Kechiche, l’actrice explosive à l’énergie soufflante qui a bluffé Sean Penn revient en anarchiste. 

En terrasse d’un café, à côté de République, son quartier, avec Adèle Exarchopoulos, ça commence par un thé et à chaque consommation renouvelée, la serveuse encaisse tout de suite, c’est la bataille de porte-monnaies. Son regard noisette grillée ne vous lâche pas d’une semelle. La tutoyeuse a des mines de farceuses de 1er avril, jumelées à des airs de chercheuse de crosses. Pour l’énerver, pourtant, il en faut beaucoup. «Mes larmes sont plus associées aux fous rires et à la tristesse qu’à la rage.»

Elle a une énergie Duracell, le souci de l’autre, et ne joue pas les rapiats de l’agenda. «Mes parents lisent Libé. Ce portrait, c’est pour eux. J’ai appris à mettre ma langue dans ma poche. Avant, je prenais tout trop à cœur, on ne retenait que ma gouaille, pas ce que je racontais.»

Avant d’entamer la ritournelle de la promo, retour sur sa petite histoire. Elle a suivi, en parallèle de sa scolarité, des cours de théâtre. Avant le Kechiche, elle a tourné pour Jane Birkin, Pascal Elbé, Roselyne Bosch ou Samuel Benchetrit.

Il y a trois ans, Adèle Exarchopoulos pestait. Elle était furax contre elle-même, le baccalauréat loupé à un point. Elle rencontre Abdellatif Kechiche. Mouvement de plaques tectoniques. Pendant qu’elle s’étonne de ses silences, il ausculte sa moelle. Six mois d’échanges. Elle a 18 ans quand elle s’engouffre dans le tournage de la Vie d’Adèleavec sa partenaire aux cheveux bleus, la désormais James Bond Girl Léa Seydoux.

Première dansl’histoire de Cannes festival, les deux actrices et le cinéaste repartent de la Croisette, scellés comme les feuilles d’un trèfle, la palme d’or valable pour trois. S’ensuivent dix neuf récompenses pour demoiselle E., dont le césar du meilleur espoir féminin. Tour du monde et moisson de lauriers lui apportent crédibilité et lumière, premiers rôles proposés sans passer par la case casting. Et après ? «Je débute, j’ai besoin de me prouver des choses, quitte à faire des erreurs. Qu’on me laisse les faire, j’ai le temps pour les assumer. Je viens d’apprendre qu’André Téchiné me retenait pour son prochain film. J’ai passé toutes les étapes du casting et ça me plaît.»

Son futur rime avec plusieurs sorties. Réplique donnée à Guillaume Gallienne, directeur d’une maison d’arrêt tombant amoureux d’une détenue, elle. Quatre mois d’improvisation avec les détenues de Fleury-Mérogis. Petite, elle se voyait visiteuse de prisons. Sous la direction de Sean Penn, elle a tourné en Afrique du Sud, «un petit rôle» – elle minimise – entre Charlize Theron et Javier Bardem. Cela raconte une histoire d’amour entre la responsable d’un camp de réfugiés et un médecin. Adèle E. joue une bénévole française. Avant de l’engager, le réalisateur l’a envoyée une semaine dans son ONG, en Haïti. La première rencontre avec Sean Penn est convenue à Los Angeles. Le soir des Critics’ Choice Movie Awards, elle en est prévenue après avoir été cueillir des applaudissements pourla Vie d’Adèle. En rentrant à l’hôtel pour troquer sa robe Vuitton contre un bas de jogging, elle descend fumer une cigarette dehors.«J’ai tourné la tête, il était là. Il fumait sa clope comme moi. Il m’a dit qu’il avait aimé la Vie d’Adèle de tous ses os. Pour moi, c’était le monde à l’envers. J’avais l’impression qu’on avait mis un truc dans mon verre, c’était irréel.»

Cette année, elle est réapparue à Cannes, pour défendre avec «une équipe du diable»les Anarchistes d’Elie Wajeman. «Au moment dela Vie d’Adèle, tout le monde ne me parlait que du futur. Cette année, on ne m’a jamais autant parlé du passé. Et si on me laissait vivre le présent ?» Son film de sortie est d’époque 1899. Il s’agit des agissements d’un groupe d’anars, infiltré par un brigadier, joué par Tahar Rahim, tiraillé entre devoirs et sentiments. Pour se glisser dans la peau de son personnage, elle a lu Souvenirs d’anarchie de Rirette Maîtrejean, a travaillé son élocution et a découvert ce qu’était de rire, d’éternuer, de marcher lacée par un corset. Tahar Rahim la raconte comme ça : «On a cette connivence parce qu’on sait que l’on sort de nulle part. On parle le même langage. On n’avait pas de référent pour avancer. Adèle a les valeurs nobles de la famille. Elle est pétillante, généreuse, pas susceptible. A l’écoute, très mature pour son jeune âge, drôle, épicurienne. En face de moi, j’ai eu une actrice qui a un instinct, une animalité et aussi une technicité de jeu. On se sent en confiance, et l’échange est juste, les émotions réelles. Oui, elle doute, on doute tous, c’est le propre de la foi. Mais son doute ne freine pas les autres, c’est un moteur.»

Il paraît qu’elle s’appelle Adèle parce que son père apprécie l’Adelscott. Elle est l’aînée d’une fratrie de trois. Deux frères, 14 et 12 ans qu’elle surnomme «Dents de fer» et «Yuri». Elle tait leur prénom pour les protéger. Avec eux, elle, qui aime Baudelaire, partage la poésie de C. Sen et Nekfeu.

Son père aux racines grecques est gérant de restaurants au Palais omnisport de Bercy. Prof de guitare, rock dans le style, il est protecteur et attentionné. Sur les textos qu’il lui envoie quand elle est loin de Paris, il lui écrit : «Méfie-toi des serpents.» Sa mère est infirmière : «C’est une douceur, le don de soi faite femme.» Enfance à Clichy, puis dans le XVIIIe arrondissement à Paris, sa grand-mère maternelle est sa baby-sitter. Colo à l’heure des vacances, appétit scolaire mitigé, un peu garçon manqué, traînant avec les grands du quartier, son sens de la repartie vient de là. Plus fourmi que cigale, elle s’est quand même acheté un appartement près de République. Y vit avec sa cousine et quasi-jumelle Inès, chez laquelle elle dormait souvent à Clichy. «Elle est ma force tranquille, elle est architecte, plein d’études mais pas de travail.» Ses frères viennent dîner souvent chez elle. Ce soir, c’est le cas.

Ses amours, c’est devenu privé. Sa spiritualité, elle dit que ça lui appartient, tout comme le nom de son dieu et le contenu de ses prières. «Je n’ai pas été guidée par une religion, mes parents sont athées, mes croyances sont contradictoires, c’est un chemin de découvertes intérieur.» Parler politique la prend de cours. Elle se rétracte, puis dit : «La parole que l’on me donne me rend privilégiée, mais je ne maîtrise pas assez tout ça pour en débattre. Je vomis l’extrême droite, j’aimerais que la parole soit donnée à ceux qui unissent. Quand, sur Canal, au Petit Journal, on me demande de passer un message aux jeunes de banlieue, j’ai simplement envie de dire : « Invitez-les et écoutez-les ! »»

Et puis, son petit frère l’appelle. Il vient d’arriver, et celle qui porte un sweat-shirt sur lequel est écrit en capitales «Just Do Nothing» s’est éclipsée.

La Vie d’Adèle

22 novembre 1993 Naissance à Paris.

2 Juin 2012 Rencontre avec Abdellatif Kechiche.

16 janvier 2014 Rencontre avec Sean Penn.

11 novembre 2015 «Les Anarchistes», d’Elie Wajeman.

Leave comment

Your email address will not be published. Required fields are marked with *.