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Interview. Alain Juillet : « Vers un bouleversement des équilibres économiques mondiaux »

BUSINESS. Alain Juillet, président de l’Académie de l’intelligence économique et président du Club des directeurs de sécurité des entreprises en France, détaille ce qui est à l’oeuvre dans le contexte actuel, à l’heure où la carte géopolitique et économique du monde change à vitesse accélérée.

Comment les entreprises peuvent-elles s’adapter à la transformation géopolitique constante ?

Il est essentiel de faire de la prospective, d’essayer de préempter l’événement, en tâchant de comprendre ce qui pourrait se passer dans le futur. A partir de là, on peut décliner des stratégies. Si on regarde au Proche Orient, il est évident que le marché iranien va s’ouvrir, il faut donc s’intéresser à l’Iran. Si on regarde en Amérique du Sud, il faut suivre de près ce qui va se passer au Venezuela, à Cuba et même ailleurs. Là, il s’agit de prospective géographique et économique. Mais il faut se projeter plus loin encore. Prenons un élément qui me semble fondamental, la création de la banque chinoise qui se veut un autre FMI. Elle a pour ambition de devenir une banque planétaire d’influence qui va venir contrebalancer la puissance du dollar. Il est évident que parmi les étapes futures, il y aura la création d’un pôle de monnaies commun. Et, derrière, la fin de la suprématie absolue du dollar. Cela va bouleverser tous les équilibres économiques mondiaux. Ca prendra peut-être cinq, dix ou quinze ans. Mais on y est !

Quels sont les pays sur lesquels porter une attention particulière aujourd’hui ?

L’Asie est devenue un pôle économique mondial mais il ne faut pas se focaliser sur la Chine, l’Inde, Taïwan, le Japon ou la Corée. D’autres pays présentent de réelles opportunités. C’est le cas du Vietnam qui garde son indépendance, notamment économique et technique. La Thaïlande est également en train d’évoluer et devient un état ayant une vraie capacité industrielle. Citons encore la Birmanie qui dispose de réelles richesses et d’un potentiel qui n’a pas encore été exploité. Toujours dans cette zone, l’Indonésie va devenir une des dix premières puissances mondiales. Son potentiel est énorme, dans de nombreux domaines : ils ont des mines, ils ont des énergies, ils ont la mer… ils ont tout ! Autre continent auquel il faut s’intéresser : l’Afrique qui va devenir LE continent de croissance et de développement de demain. Les taux prévus jusqu’en 2030 sont équivalents à ceux qu’a connus la Chine. L’Afrique n’est plus celle qu’on a connue pendant la colonisation ou la décolonisation. Des élites s’y installent et prennent en main le destin économique de leur pays. Évidemment, il ne faut pas aller partout, par exemple dans l’arc saharien. Au Mali, au Niger, au Tchad, au Nord du Nigeria, en Centre-Afrique, il faut être très prudent pour l’instant. Mais prenez l’Angola, le Zaïre ou la Côte-d’Ivoire. Ces pays ont un potentiel énorme. Il faut qu’on en profite.

L’avancée du nucléaire iranien préfigure-t-elle une recomposition des rapports de force au Moyen Orient ?

L’Iran est un marché de 85 millions de personnes qui ne demande qu’à se développer. La population iranienne manifeste une réelle envie de changement et d’ouverture vers le monde. Et les États-Unis sont en train de négocier tous les futurs contrats avec le gouvernement iranien. Les Américains sont sur le point de réussir un pari extraordinaire, celui de l’autosuffisance, c’est-à-dire qu’ils n’auront plus besoin d’acheter du pétrole ou du gaz à l’extérieur : pour la première fois de leur histoire, avec le gaz de schiste et le pétrole de schiste, tout sera produit chez eux. Les pays producteurs vont être déstabilisés. La réaction sur le prix de l’Arabie Saoudite s’inscrit dans cette démarche. Mais s’ils décident de lâcher les pays fournisseurs de pétrole, les États-Unis ne vont pas pour autant lâcher leur allié de toujours : Israël. Nous sommes donc face à un choix stratégique majeur de la part des Américains : l’abandon des pays du Moyen et du Proche Orient, à l’exception d’Israël et de l’Iran. Nous aurons les deux peuples non arabes de cette zone, le peuple perse et le peuple israélien, alliés avec les États-Unis qui auront abandonné le reste de la zone arabe.

A l’occasion du Sommet des Amériques, nous avons pu observer un autre choix stratégique des États-Unis : la poursuite du rapprochement avec Cuba…

En effet, le Président Barack Obama pratique, d’une certaine manière, la doctrine de Monroe qui consiste à se replier sur l’Amérique. Les principaux pays émergents d’Amérique du Sud qui avaient tendance à vouloir faire cavaliers seuls, se trouvent aujourd’hui en difficulté économique. Les Américains en profitent pour s’ouvrir vers le Sud. Pour Cuba, c’était prévisible. Les discussions en cours portent notamment sur l’ouverture de Cuba aux ressortissants nord-américains (sans parler des Canadiens qui y vont déjà). Tout l’enjeu étant d’éviter que Cuba ne redevienne le pays qu’il était à l’époque de Batista : un pays touristique, contrôlé en partie par des mafias américaines. Mais il faut également regarder ce qui se passe au Venezuela, en Colombie ou au Mexique. Des équilibres sont en train de changer en Amérique centrale et en Amérique du Sud. Il y a de nouveaux pôles de développement. Et l’Amérique du Nord, qui considère cette zone comme son mare nostrum, proche d’elle, veut la contrôler.

Propos recueillis par Arnaud Le Gal et Julie Le Bolzer