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Interview Treichler. Une voix pour défier la machine

OLD GODS Album des 40 ans de The Young Gods, «Appear Disappear» déploie une résistance sonique affûtée. Interview de Franz Treichler.

Une rythmique à la cadence impitoyable, tout à la fois frappée et bondissante, et des guitares nerveuses trempées dans l’acide, aux cordes coupantes. Dans des orages électroniques hésitant entre shrapnels stridulants et battements d’ailes de libellules cosmiques, la voix de Franz Treichler se fraie un chemin plus libre que jamais.

Pour ses 40 ans, The Young Gods – depuis douze ans un trio avec le batteur Bernard Trontin et l’électronicien Cesare Pizzi – s’offre «Appear Disappear», album percutant mais soupesé, expression trépidante d’un savoir-faire effilé et nouvelle course-poursuite au cœur de la machine.

Franz Treichler à la production

Il est loin, le temps où les morceaux du groupe se construisaient sur quatre ou cinq sons, une voix et une batterie. Mais, malgré l’expérience engrangée et les possibilités technologiques infinies, ce 13e album studio – pourtant produit par Franz Treichler lui-même – a su se délester des effets surnuméraires pour ne garder que le blitz. Entretien avec le shaman du postpunk suisse.

Non seulement les dieux ne sont pas morts, mais ils semblent même plus jeunes que jamais?

Certains disent plutôt que cet album serait un retour old school… Mais c’est bon si l’on sent une forme de jeunesse. Ça me fait plaisir que tu dises ça. En tout cas, il y a une bonne énergie, c’est sûr.

Le côté «old school» n’est pas si contradictoire avec l’idée de la jeunesse…

À fond. Mais ce n’est pas non plus parce qu’on est pêchus qu’on est vieille école. J’ai l’impression que cet album est un peu une synthèse de tout ce qu’on a parcouru. Il y a de l’electro et c’est très rock. Les morceaux sont courts, on est d’accord, mais un peu moins «musique concrète» que le premier album. Donc ça veut dire quoi «old school»? C’est quelle période? Avec quarante ans de carrière, le spectre est large.

Disons que l’on est plutôt du côté mordant de la force et pas dans l’«ambient»…

Il doit y en avoir une minute dans un morceau (rires)! On sortait d’«In C», un instrumental (ndlr: de Terry Riley), et d’un album, «Data Mirage Tangram», avec des morceaux qui se développaient sur la longueur. Ça nous a donné l’envie de faire un truc plus concis, plus rapide. On en avait besoin. Franchement, c’est aussi notre manière de réagir à la période que l’on vit.

Il y a de la colère dans cet album?

Non, pas de colère, plutôt de l’énergie positive. La volonté de ne pas baisser les bras, de faire face au truc, sans partir dans l’émotionnel. Beaucoup de gens autour de moi sont assez désespérés. Ils disent qu’on ne peut rien faire, que ça ne sert plus à rien de se manifester. Tu finis par tomber dans ce panneau, abreuvés que nous sommes d’images, de peurs, de génocides. Sur les portables, aux news. Les gens sont dans un état d’hébétude. L’idée était de se réveiller. Le titre de travail était «Anticapituliste». On ne l’a pas gardé parce que c’était une plaisanterie, mais c’était quand même une façon de dire: il ne faut pas capituler, continuer de croire dans les valeurs des droits humains, la générosité. Ne pas devenir cynique. Car c’est ce que veut l’adversaire: t’abrutir pour te faire tout accepter.

Personnellement, tu as aussi eu tes moments d’abattement?

Bien sûr, le titre de l’album, c’est un peu ça. «Appear Disappear»… Il y a des moments où tu t’impliques, tu apparais dans la société, tu es là, actif. Et il y en a d’autres où tu disparais, où tu dois te retirer pour mieux comprendre ce qui se passe, pour mieux recharger les batteries.

Mais pas une once de colère à la base de ce disque de combat?

Il y en avait un petit peu au tout départ, juste après la question de la vaccination. On en parle peu, du Covid, mais je reviens juste un peu dessus parce qu’on a commencé à travailler pendant cette période. En 2020-2021, ça a tellement divisé la société! Au début, je trouvais qu’on avait bien géré. Il y avait une solidarité dans la société. Dès qu’il y a eu la vaccination, ça s’est dégradé. Là, j’ai eu de la colère. Surtout parce que, une fois que tout s’est un peu rouvert, il n’y a eu aucune suite, aucun débat. Le monde politique n’a pas tiré de bilan ou d’analyse de ce qu’on avait fait juste et de ce qu’on avait fait faux. On a tout foutu sous le tapis. Comme si rien ne s’était passé. On n’a rien appris. Et si ça recommence, ça va être la même merde.

Cette colère s’est transformée?

La colère n’est pas un bon outil. Je pense que ça ne sert à rien de monter sur scène pour gueuler. Il y en a déjà tellement qui le font. Dans tous les groupes de metal, j’entends «j’suis pas content». Pour moi, la musique a une dimension un petit peu plus élevée. C’est plus un outil de guérison qu’un exutoire.

L’équilibre est très bon entre électronique et guitares acérées. Cela crée beaucoup d’énergie. La force de l’expérience?

Il y a pas mal de guitares parce que j’ai repris l’instrument. Sur scène, ça me fait du bien de ne pas avoir juste le micro, le focus seulement sur la voix. Le texte est assez central, mais avoir des moments instrumentaux, ça me plaisait bien, j’y trouve plus de liberté. Les guitares sont parfois samplées. Ça peut être les miennes, mais d’autres aussi. On puise dans notre banque de sons, mais la plupart du temps, on en refait des nouvelles. Il y a un sample de Jesus Lizard, mais il n’y en a pas des masses!

Avec les Young Gods, on s’attend plutôt à un mur du son. Mais du côté de la voix, on sent une sorte de libération dans cet album…

Au bout de quarante ans, j’ai commencé à apprendre à chanter.

Sérieusement, on sent une volonté de mettre la voix en avant.

Du moment que tu ouvres la gueule et que tu as quelque chose à dire, il vaut mieux le faire bien. Ma voix est plus proche, mais plus intimiste. Elle n’est pas en colère, elle a son truc. Elle est bien présente. Elle n’est pas cachée, il y a moins d’effet. C’est un mélange d’immédiateté et de travail sur plusieurs périodes. Mais au niveau de la voix – et du reste –, on a quand même essayé de garder l’impulsion de départ, de rester un peu brut.

Rester brut… ou brutal?

On va dans des endroits assez profonds. J’estime que ce n’est pas une musique sombre, mais elle peut parfois déranger les gens. Du coup, ils pensent que c’est sombre parce qu’ils n’aiment pas être dérangés. Mais pour moi, c’est plutôt une grosse lumière ou une boule de feu. Donc il y a une violence, mais pas d’agressivité. Notre musique n’est pas faite pour faire mal aux gens.

«Appear Disappear», The Young Gods, Two Gentlemen. La tournée commence au Bad Bonn Kilbi (4 sept.) puis à l’Usine de Genève (16 oct.). www.younggods.com

The Young Gods en dates

1984 Premier concert de Franz Treichler et Cesare Pizzi pour un Nouvel-An alternatif à Genève. 1985 Concerts des Young Gods avec Frank Bagnoud à la batterie. 1987 «The Young Gods», album de l’année pour le Melody Maker. 1989 «L’eau rouge», avec Urs Hiestand à la batterie. 1991 «The Young Gods play Kurt Weill». Al Comet a remplacé Pizzi. 1992 «TV Sky», plus gros succès du groupe qui veut s’imposer aux États-Unis. 2000 Après le retour en Suisse, «Second Nature». Bernard Trontin à la batterie. 2004 «Music for Artificial Clouds», album ambient. 2011 Le groupe est en suspens: Al Comet en «congé sabbatique». 2012 Retour de Cesar Pizzi. 2019 «Data Mirage Tangram». 2022 «Play Terry Riley In C», leur lecture de l’œuvre du compositeur minimaliste américain.