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Music. Jim Jarmusch adresse une lettre d’amour à Iggy Pop

BLABLABLA. «Gimme Danger» alterne documents d’archives rares et interviews de la star du rock.

Jim Jarmusch face à Iggy Pop. A moins que ce ne soit l’inverse. Pour filmer une icône punk, une légende de la musique, le cinéaste a évidemment son importance. Iggy Pop, James Osterberg au civil, aurait-il accepté de se dévoiler autant devant un inconnu? Aurait-il ne serait-ce que dit oui au projet? Et, dans l’affirmative, n’aurait-il pas été tenté, entre souvenirs transformés et attitudes post-punk rabâchées, de se livrer à ces numéros démagogiques truffés d’anecdotes inventées afin de mettre un public de toute façon acquis dans sa poche? Tout cela est fort probable.

Dans Gimme Danger, essai plus que simple documentaire qui avait fait l’ouverture du dernier Festival tous Ecrans, Jarmusch cadre avant tout l’idole. Aux deux sens du terme. D’abord avec sa caméra, qui le place logiquement au centre du plan. Puis dans sa démarche, qui consiste, dans un mouvement assez classique, à alterner images d’archives et interviews de l’iguane, assagie aussi bien par les années que grâce au dispositif mis en place.

Deux films à la fois
Gimme Danger, s’il s’adresse en premier lieu aux fans, déborde aussi, grâce au regard universel du cinéaste, sur le terrain du pur cinéma. Celui qui associe expérimentation avec une part de didactisme, qui évoque le passé en misant sur le futur. «Mon film est une lettre d’amour aux Stooges plus qu’un documentaire sur eux, nous dévoilait Jarmusch à Cannes, où il présentait en même temps Paterson (en compétition) et Gimme Danger (en séance de minuit). J’ai mené les deux films en parallèle. Pendant mes pauses sur Paterson, je me consacrais à Gimme Danger. La chose est possible lorsque les projets sont très différents.»

Gimme Danger, titre d’un morceau des Stooges («Gimme danger, little stranger/And I feel with you at ease/Gimme danger, little stranger/And I’ll feel your disease»), est plus captivant, quoi qu’en pense son réalisateur, lorsqu’il se concentre sur l’archive que lorsqu’il donne la parole à son sujet, Iggy Pop. D’abord parce que ce dernier n’apprendra rien, ni à ceux qui l’idolâtrent ni aux autres. Anecdotes chiadées de toxico un rien vantard, fierté mal placée du fumeur de joints qui se suppose au-dessus du monde, Iggy Pop évoque moins volontiers ses souvenirs musicaux. Mais les images parlent pour lui. Du moins lorsqu’elles existent. Car – et on ne le sait pas forcément – il n’existe pas non plus des cargaisons d’archives sur ces années de libération, entre la fin des sixties et le début des seventies, époque charnière où même le rock s’émancipait, annonçant ce mouvement punk qui allait révolutionner la décennie à suivre. Bercé aux Stooges, au Velvet Underground et aux MC5 – tout ce beau monde est cité dans le film – Jarmusch a fouillé un peu partout pour dénicher de l’inédit.

Mais les apparitions télé sont rares, difficiles d’accès ou perdues. Quant aux images de concerts, souvent filmés à l’arrache, il faut un peu compter sur le hasard pour en découvrir des utilisables. D’où un film très monté, dans lequel les plans s’enchaînent parfois de manière abrupte, avec un sens de la coupe très judicieux.

De ce torrent d’extraits se dégagent quelques constantes, quelques moments marquants. Telles celle – bien connues – d’Iggy Pop bondissant dans la foule comme un gladiateur dans l’arène. Jarmusch aurait sans doute dû confronter son idole à ces images, observer sa réaction, orienter sa démarche afin de perturber davantage celui qu’il adule, quitte à briser le réceptacle confortable dans lequel il l’a installé pour lui parler. Jarmusch cinéaste, certes, mais Jarmusch groupie. Au point qu’il est lui-même partie intégrante de cette contre-culture sur laquelle il se penche.

Cette forme d’idolâtrie assumée empêche paradoxalement ce portrait de s’apparenter à une mise à nu, dans la lignée de ce que fut par exemple en 1991 un film comme In Bed with Madonna d’Alek Keshishian. On y voyait la reine de la pop en coulisses, pas forcément à son avantage (et pourtant, elle avait un droit de regard), et cela aussi dans le but d’entretenir une image écornée afin de forger sa propre légende. «Les mythes sont faits pour être détruits», claironnait à l’époque l’affiche du film. C’est un peu ce qui manque au final dans Gimme Danger, toutes proportions gardées. Le mythe Iggy Pop n’est pas assez détruit, pas assez sali. Ce qui est un comble pour une star autant versée dans une forme d’autodestruction symptomatique des symboles du punk. C’est d’autant plus gênant qu’à Cannes, avant la conférence de presse rituelle, Iggy Pop et Jarmusch s’amusaient à faire des doigts d’honneur aux photographes présents. Attitude puérile et quelque peu convenue que nul n’est contraint d’approuver. Reste le film, qui conserve une certaine tenue dans la narration documentaire, des archives hallucinantes et l’humilité d’un Jarmusch qui demeure fidèle à ses préceptes de cinéaste.

Pascal Gavillet

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